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§ 2. Pour atteindre ce but, deux choses surtout sont nécessaires la première, c'est d'étudier l'âme dans sa faculté intellectuelle qui constitue le caractère propre de l'espèce humaine; la seconde, de l'étudier dans sa nature intime, eu égard à son union avec le corps et relativement à sa destinée.

§ 3. Cette double étude de l'âme humaine fera l'objet de quatre chapitres distincts. Dans le premier, il sera traité de l'âme humaine considérée dans sa faculté intellectuelle. Dans le second, de la nature de l'âme considérée en ellemême. Dans le troisième, de l'âme dans son union avec le corps. Dans le quatrième enfin, de sa destinée en cette vie et dans l'autre. Le développement de ce quadruple point de vue nous donnera la solution de ce double problème : Quelle est, dans l'homme, la nature de l'intelligence et de la connaissance? Quelle est la nature de l'esprit humain

lui-même?

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S4. La psychologie rationnelle se présente donc comme le complément de la psychologie expérimentale. La première a besoin de la seconde; elle la suppose comme une condition nécessaire à son existence, comme un point de départ indispensable. Mais tout en la complétant elle va plus loin que celle-ci, elle passe de l'ordre des phénomènes aux causes qui les produisent, et à la substance qui les soutient, et satisfait ainsi un besoin impérieux de l'esprit, qui ne saurait se contenter d'une analyse stérile des phénomènes, dont il est lui-même le sujet ou le théâtre. Il faut qu'il franchisse les bornes de l'observation, et que, puisant à toutes les sources de la science, il pénètre dans le secret de sa propre nature et de sa vie intellectuelle. D'ailleurs, cette recherche est une exigence de la science, qui existe à la seule condition de remonter aux causes et aux lois des

phénomènes. C'est donc la psychologie rationnelle qui élève la psychologie expérimentale à la hauteur d'une science. C'est dire assez pour faire soupçonner déjà son importance.

§ 5. Quant à la méthode à suivre dans ces recherches, elle sera conforme à celle que nous avons adoptée dans la logique. Cette méthode nous l'indiquions tout-à-l'heure : appuyés d'une part sur l'observation, et de l'autre, sur les principes de la raison, nous nous efforcerons, dans nos recherches, de suivre constamment cette maxime de Newton: Causas rerum naturalium non plures admitti debere, quam quæ et veræ sint, et earum phænomenis explicandis sufficiant. On ne doit admettre pour causes des effets naturels, que des causes réelles et suffisantes pour expliquer les phénomènes. « Cette règle, dit Reid, est une règle d'or, c'est une pierre de touche infaillible pour distinguer en philosophie ce qui est vrai de ce qui est faux.» (Ess. I. 3.) Elle nous sera d'autant plus nécessaire dans le sujet actuel de nos études, que l'abus des hypothèses y est plus à craindre.

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S 1. Le phénomène de la pensée est un fait du moi, un fait complexe. Je conçois; je juge; je me souviens; je prévois; je prononce sur l'infinie variété des objets qui m'entourent; je leur attribue l'existence, leur reconnais certaines qualités; je taxe mes actions propres, celles d'autrui, de bonnes ou de mauvaises, de justes ou d'injustes, etc. Ces faits sont de toute évidence. Ce qui ne l'est pas moins, c'est que ces faits m'appartiennent. Non seulement ils sont en moi, mais ils émanent de moi. Je les produis; c'est moi qui conçois, qui juge, en un mot qui pense, qui produis la pensée, qui ai le pouvoir de la produire. Mais cette production, comment se fait-elle? Quelle est la loi qui préside à la formation des idées? Suppose-t-elle des éléments générateurs dans le moi? Exige-t-elle certaines conditions, certaines influences pour qu'elle puisse s'accomplir? En un

mot, d'où viennent les connaissances dont l'homme se trouve investi, et comment se forment-elles dans son intelligence? Poser cette question, c'est rechercher la nature intime de la puissance intellective, c'est demander la solution du problème qui a pour objet l'origine et la formation des idées. § 2. Pour le résoudre, l'évidence, de prime abord, nous refuse sa lumière. C'est la cause, du moins partielle, de la discordance d'opinions, dont ce problème a été l'objet. D'ailleurs cette question est une de celles qui semblent se soustraire à toute investigation humaine. « La pensée, dit V. Cousin, est un fleuve qu'on ne remonte pas aisément; sa source, comme celle du Nil, est un mystère. Comment, en effet, retrouver les phénomènes fugitifs, dans lesquels s'est marquée la pensée naissante? Est-ce par la mémoire? Mais vous avez oublié ce qui se passait alors en vous, car vous ne le remarquiez pas. On vit, on pense alors sans faire attention à la manière dont on pense et dont on vit, et la mémoire ne rend pas le dépôt qu'on ne lui a pas confié. Consulterez-vous les autres? Ils sont dans le même cmbarras que vous. Etudierez-vous les enfants? Mais qui démêlera ce qui se passe sous les voiles de la pensée d'un enfant? Les déchiffrements de cette nature conduisent aisément à des conjectures, à des hypothèses... (Leçon 16.) § 3. On le voit, la question de l'origine de nos idées n'est pas facile à résoudre. Cependant ne dût-elle aboutir qu'à des hypothèses, elle n'en serait pas moins pleine d'intérêt comme toutes les questions d'origine. D'ailleurs, pour peu qu'elle s'étende, elle prend des proportions immenses, et amène les résultats les plus sérieux. Se projetant sur tous les points du domaine de la science elle va toucher à tous les mystères de la pensée humaine. Se méprendre sur la vraie origine des idées, c'est s'exposer à méconnaître la na

ture même de l'esprit humain. D'une fausse idéologie, à une ontologie, à une logique fausse, il n'y a qu'un pas.

S4. Il importe d'éviter ces écarts. Pour y réussir il faut surtout bien se placer en commençant, c'est-à-dire prendre pied sur le terrain de l'observation. En partant de l'actuel nous pouvons remonter au primitif; et le connu, tel qu'il se révèle dans l'expérience, doit nous conduire légitimement à l'inconnu, objet de nos recherches. Tel est le procédé le plus sûr pour arriver au but sans s'égarer. C'est la route à tenir.

S5. Dans la question que nous allons aborder, tout revient au fait de la connaissance. Mais en saisissant ce fait dans les divers moments de sa phénoménalité, on y découvre des points de vue multiples qui répondent aux éléments qui le composent. De là les questions qui suivent :

1o Dans quel ordre se développe l'intelligence? Quel est pour elle le premier objet à connaître?

2o Comment se développent en nous les éléments formels de la connaissance, c'est-à-dire les idées?

3o Quelle est l'origine des idées appliquées aux objets divers de nos connaissances, ou comment se développe l'élément matériel de la connaissance?

4o Le développement intellectuel dépend-il de certaines conditions, et ces conditions quelles sont-elles?

5o A quel point ces conditions sont-elles nécessaires? Ainsi, déterminer le caractère de priorité et de postériorité suivant lequel se développe l'intelligence quant à son objet; indiquer la source, ou plutôt la cause d'où dérivent les éléments formels de la connaissance ou les idées; assigner le mode de leur formation; exposer enfin les conditions du fait de la connaissance, en d'autres termes, les circonstances, qui, sans le produire, concourent à sa produc

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