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LEÇON II.

DE LA NATURE de l'union dE L'AME AVEC le corps.

Etat de la question. Double sorte d'union. — Hypothèses imaginées pour expliquer l'union de l'âme avec le corps. - Système de l'influx physique; celui du médiateur; des causes occasionnelles; de l'harmonie préétablie. — Appréciation succincte de ces hypothèses. l'action réciproque de l'àme et du corps.

et réponses.

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Conclusion.

-

Réalité de

Difficultés

§ 17. L'âme et le corps coexistent, et nous venons d'établir dans la leçon précédente l'origine du premier de ces deux facteurs de l'homme, le mode de sa résidence et quel est le moment de son introduction dans le corps. Toutefois entre l'âme et le corps il n'y a pas seulement coexistence, il y a aussi communauté. Cette communauté se révèle par des faits spirituels d'une part, des faits corporels de l'autre, liés entre eux par une relation quelconque. Quelle est la nature de cette relation? comment concevoir cette union, cette correspondance intime qui se manifeste dans l'ensemble des actes qui composent la vie humaine? L'esprit de l'homme s'est épuisé en d'inutiles efforts pour sonder les profondeurs de ce mystère. Examinons les différentes hypothèses qui ont été imaginées pour en donner l'explication. Mais avant il importe de préciser le sens du mot union.

S 18. L'union n'est pas la juxta-position, mais la jonction de deux ou de plusieurs êtres. Considérée dans sa nature, l'union est physique ou morale; physique, si elle ré

sulte du concours de plusieurs éléments qui constituent une seule substance individuelle. Ainsi il y a union physique entre la statue et le marbre dont elle est formée; entre l'oxygène et l'hydrogène formant un seul tout appelé eau; entre l'arbre et les parties diverses qui le constituent dans son intégrité; entre le tronc de l'animal et toutes les parties de son organisation. L'union est morale si elle résulte du concours de plusieurs éléments qui subsistent par eux-mêmes, et sont censés faire un tout au jugement des hommes. Telle est l'union entre deux amis; entre les divers individus d'une armée, d'une société quelconque, entre le coursier et le cavalier.

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Considérée dans son principe, l'union est encore ou naturelle ou accidentelle. La première dérive de la constitution même des parties assorties entre elles, comme dans un végétal, un animal; la seconde dérive d'une cause purement extrinsèque telle que l'art, la volonté des hommes, etc., comme dans une montre, dans un vaisseau, etc., où l'union des choses, des hommes est factice, accidentelle.

$19. Entre l'âme et le corps, l'union est-elle physique ou morale, naturelle ou accidentelle? c'est ce que nous allons voir. Regardons d'abord aux divers systèmes proposés par les philosophes pour expliquer le mode de causation, d'influence respective qui existe entre les deux ordres de phénomènes de l'âme et du corps.

Hypothèse des images ou espèces intermédiaires.

Cette hypothèse, bien qu'elle eût pour but d'expliquer l'origine et la nature des perceptions externes, essayait en même temps de résoudre comment la matière a de l'action sur

l'âme. Nous en avons parlé dans la psychologie expérimentale (S 79), et nous avons montré qu'elle ne saurait soutenir un examen sérieux. De plus, en ce qui concerne le problème en question, elle n'explique rien. Les effluves qui émanent des corps et vont se glisser jusqu'à l'âme étant matériels, reste à savoir comment ces espèces intermédiaires ont prise sur l'âme. Cette hypothèse, comme on le voit, repose tout entière sur la nécessité d'établir un lien, un être intermédiaire entre l'âme et le monde externe, pour rendre raison de la communication qui existe entre l'une et l'autre. Une difficulté tout aussi grande existe pour la communication de l'âme et du corps, et cette difficulté reste sans solution.

Système de l'influx physique.

Ce système a été appelé de la sorte parce qu'il suppose que le corps et l'âme agissent réellement, c'est-à-dire physiquement, l'un sur l'autre par impulsion et par une impulsion matérielle. Dans cette hypothèse, le cerveau est le siége de l'âme, qui est comparée à une araignée au milieu de sa toile. L'insecte est averti du moindre mouvement qui survient aux extrémités de sa toile. L'âme l'est également au fond de sa demeure. Placée à un point où aboutissent tous les nerfs elle prend connaissance de ce qui se passe dans toute l'étendue de l'organisme, se rend l'arbitre du corps, et préside à tous ses mouvements.

« Ce système, dit Laromiguière, est extrêmement simple; mais la simplicité n'a de prix, qu'autant qu'elle est unie à la vérité. Le corps étant une substance étendue, et l'âme étant une substance inétendue, conçoit-on l'action physique de l'une sur l'autre? Tangere enim aut tangi

nisi corpus nulla potest res,

a dit Lucrèce, une chose ne peut toucher, ou être touchée, qu'autant qu'elle est corps, qu'autant qu'elle a des parties. L'àme ne saurait donc recevoir le contact du corps, et l'influx physique est impossible. »

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Euler, dans ses lettres à une princesse d'Allemagne, adopte ce système en le modifiant : il n'admet pas de contact entre l'âme et le corps. L'âme, dit-il, a la perception du mouvement des fibres du cerveau, et cette perception lui donne des sensations agréables ou désagréables, selon que les rapports qui se trouvent entre les mouvements des fibres, sont plus ou moins faciles à apercevoir.

n'est

<< Cette opinion est démentie par l'expérience car, il pas vrai que l'âme s'aperçoive du mouvement des fibres du cerveau; elle ne sait pas même qu'il existe un cerveau; et nous l'ignorions, si on ne nous l'eût appris. D'ailleurs, la sensation ne dérive pas de la perception : c'est le contraire; car nous sentons avant tout. » (Leç. 9.)

Système du médiateur plastique.

C'est celui du philosophe anglais Cudworth. Le médiateur plastique est un être qui n'est ni corps ni esprit, mais qui participe de l'un et de l'autre; c'est un agent intermédiaire, interposé entre les deux substances et servant de lien de communication entre elles. Etant spirituel, il agit sur l'âme; étant aussi matériel, il agit sur le corps. Il fait donc le rôle de médiateur. Il est encore appelé plastique dans le sens du même philosophe, pour qui la nature plastique était à peu près ce que l'âme du monde était pour Platon, c'est-à-dire un agent organisant les corps sous la direction de l'Être suprême. Au moyen d'une semblable

T. III.

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médiation, la communication entre l'âme et le corps était établie, et l'abîme qui sépare l'esprit et la matière, comblé. Le système du médiateur plastique a été soutenu par Jean Leclerc, philosophe hollandais.

Mais dans cette supposition, la difficulté loin d'être résolue, est seulement reculée. « Un pareil médiateur n'est bon à rien. C'est une espèce d'amphibie, qui, pour vouloir réunir en une seule nature deux natures opposées, s'anéantit lui-même. Entre une substance étendue et une substance inétendue, il n'y a pas de milieu, si le médiateur n'est ni esprit ni corps, c'est une chimère : s'il est, tout à la fois, esprit et corps, c'est une contradiction; ou si, pour sauver la contradiction, vous voulez qu'il soit, comme nous, la réunion de l'esprit et de la matière, il a luimême besoin d'un médiateur. »

Passons à deux autres théories tout opposées aux précédentes.

Système des causes occasionnelles.

L'idée de ce système mentionné déjà par St-Thomas, a été adoptée par les Cartésiens. Suivant eux, le corps ne pouvait agir sur l'âme, ni l'âme sur le corps. Mallebranche développa ce principe en plusieurs endroits de ses ouvrages et l'embellit de son imagination. De là la théorie des causes occasionnelles, appelée de la sorte parce que, selon ce philosophe, c'est Dieu qui, à l'occasion des mouvements du corps, produit les sensations dans l'âme, et à l'occasion des volontés de l'âme, les mouvements volontaires dans le corps. Dieu seul, par conséquent, est la cause réelle et immé diate de tous les faits corporels et de tous les faits spirituels qui s'accomplissent en nous. Mais pourquoi l'est-il? deman

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