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Quelle justesse dans ce principe que j'appellerais volontiers un axiome! « Bien écrire, c'est tout à la fois bien penser, bien sentir et bien rendre; c'est avoir en même temps de l'esprit, de l'âme et du goût. » L'excellence du fond ne vaut-elle pas celle de la forme, quand il ajoute : « Les règles ne peuvent suppléer au génie... L'imitation n'a rien créé........ Le ton n'est que la convenance du style à la nature du sujet. »Ne semble-t-il pas faire son portrait, lorsqu'il continue en disant? « Si l'on s'est élevé aux idées les plus générales,... si le génie fournit assez pour donner à chaque objet une forte lumière; si l'on peut y ajouter la beauté du coloris à l'énergie du dessin; si l'on sait en un mot représenter chaque idée par une image vive et bien. terminée, et former de chaque suite d'idées un tableau harmonieux et mouvant, le ton sera... sublime. » Je soupçonne aussi qu'il songe à lui-même, en affirmant « que les ouvrages bien écrits seront les seuls qui passeront à la postérité. >>

Le style est l'homme même. Il ne s'oublie pas davantage dans ce dernier mot dont la fortune est devenue si populaire : « Le style est l'homme même 1. » Disons seulement qu'adopté comme un aphorisme, il a pris plus de valeur qu'il n'en avait dans le passage, où il se rencontre. Isolé de ce qui le précède et de ce qui le suit, il signifie aujourd'hui que le style représente, comme un miroir psychologique, l'homme tout entier, avec son tempérament, son caractère, son intelligence et son cœur, modifiés et façonnés par les circonstances, ou les conditions du milieu qu'il a pu traverser. C'est cette pensée de Platon: « Ołos

1. M. Nadaud de Buffon, dans les notes de la Correspondance, a publié divers fragments du discours de Buffon, tel qu'il était, lorsque l'auteur le communiqua à son ami M. de Ruffey. On remarquera que, dans cette première rédaction, le mot fameux le style est l'homme méme ne se trouvait pas. Buffon disait « La singularité des faits, la nouveauté des découvertes ne suffisent pas pour faire vivre un livre, s'il est écrit sans goût, sans noblesse et sans génie, et s'il roule sur de petites choses, parce que les faits et les découvertes s'enlèvent, et gagnent à être transportés d'un livre mal écrit dans un ouvrage bien fait; le style, au contraire, ne peut ni s'enlever, ni s'altérer.»

ὁ λόγος, τοιοῦτος ὁ τρόπος 4. » C'est ce que répéta Sénèque : « Talis hominibus fuit oratio qualis vita,» ou bien encore, «Oratio vultus animi esta. »

Or, il est vraisemblable que le verbe de Buffon ne visait pas aussi loin; ce ne fut qu'un éclair furtif, qu'un instinct rapide. On l'a même dit, et avec des arguments plausibles: ce cartésien du dix-huitième siècle, ramenant l'âme à la pensée, voulait seulement nous faire entendre que le style doit tout emprunter à la raison, qui est l'homme même. Quoi qu'il en soit de cet ingénieux aperçu, nous préférons accepter la signification si pleine et si vraie que prête définitivement à ces mots la conscience universelle des lettrés. Dûssions-nous être ainsi dans l'erreur, nous aimons à nous tromper avec tout le monde, surtout quand cette méprise tourne à l'honneur d'un maître, et devient un enseignement de premier ordre. Terminons donc l'analyse de ce discours, en disant que cette parole en est encore la plus vivante. Car elle contient toute une poétique, toute une rhétorique; elle est même plus qu'une théorie littéraire, et M. Nisard fait observer avec autorité qu'elle peut devenir une règle de conduite et de morale pratique : en effet, si la bonne foi avec soi-même fait la vérité du style, elle est aussi le premier devoir envers le lecteur. Ce conseil s'adresse donc à tout honnête homme qui, dans sa parole ou ses actes, veut qu'on stime et qu'on aime sa personne et son caractère3.

1. Telles sont les mœurs, tel est le discours.

2. Pour les hommes, telle est la vie, telle aussi sera la parole. est la physionomie de l'âme.

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3. Ce discours a pour épilogue une adresse à MM. de l'Académie française. Buffon s'y acquitte des convenances officielles avec autant de brièveté que d'emphase. Si l'habitude autorisait ces hyperboles, disons pourtant que l'éloge de Louis XV put paraitre exagéré même à cette époque. Il est vrai qu'il ne. consacre qu'une ligne à son prédécesseur, auquel l'Académie reprochait trop de zèle contre les Jansénistes.

FIN.

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