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LALANE.

Plus de force pour vivre, ou moins de dons céleftes,

A fon corps fi funeftes!

Ah j'adreffe ma plainte à qui n'écoute pas,
Et je murmure en vain d'un fi cruel trépas :
Quand une fois la Parque arrête notre course,
Nous tombons fans reffource.

Mais toi, cruel tyran, mon fuperbe ennemi, Deftin, pourfuis ton coup, tu n'as fait qu'à de

mi:

Ne vois-tu pas encore en ma langueur mourante
Un refte d'Amarante ?

Si je fus tout en elle en lui donnant ma foi,
En me donnant la fienne elle fut tout en moi;
Lorfque par ton decret sa mort fut réfoluë
La mienne fut concluë.

Exécute fur moi cet arrêt inhumain ;
Amarante me preffe, elle me tend la main,
Et dans mon trifte cœur j'entends le fien qui crie,
Viens, Daphnis, je te prie.

Au nom d'une fi tendre & fi forte amitié,
Deftia, fois piroyable en manquant de pitié;
Joins mon ame à la fienne, & dans fa fépulture
Confonds notre avanture,

Ce ténébreux féjour, tout horrible qu'il eft,

Des biens dont je me flatte eft le feul qui me plaît, LALANE, Et ce froid monument où ma flamme repose,

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Ainfi parloit Daphnis en irritant le Sort, Qui de fon Amarante avoit hâté la mort : Heureux fi dès l'inftant qu'elle ceffa de vivres Il fut mort pour la fuivre!

Mais le Ciel qui le plonge en un gouffre d'en nui,

"Pour la gloire d'amour l'a gardé malgré lui, Afin que dans fa bouche Amarante demeure, Et revive à toute heure.

Il invite M. Ménage à le venir voir dans fa folitude.

AFFRANCHIS-TOI, romps tes liens,

Quelque légers qu'ils puiffent être ;
Viens MENAGE, en ce lieu champêtre,
Où content de tes propres biens,
Tu n'auras que toi pour ton maître..

Tes fens y goûteront en paix
Ce que la Nature nous donne,
Qui toute fimple & toute bonne,
Y communique fes bienfaits,
Sans les refufer à perfonne.

LALANE.

Les plaifirs y font purs & doux
Comme l'air que l'on y refpire;
L'innocence y tient fon empire,
Et chacun, fans être jaloux,
Y poffede ce qu'il defire.

La folle paffion d'amour
En eft entierement bannie,
Et l'ambitieufe manie,
En cet agréable féjour,
N'exerce point fa tyrannie.

La plus éclatante grandeur
Pour qui le Courtifan s'immole,
Nous eft moins qu'une vaine idole
Et nous méprisons la splendeur
De tous les tréfors du Pactole.

fouvent

Nous n'avons fçû que trop
Tout ce que peut un beau vifage;
Mais par un tel apprentiflage
Notre cœur devenu sçavant,
En eft auffi devenu fage,

Ici, comme dans un miroir,
Notre ame à foi-même connuë
Et de nulle erreur prévenuë,
Se confidere & fe fait voir
Libre, fans frd & toute nue,

Des violentes paffions
Qui la tenoient envelopée,
Comme d'un dédale échapée,
A bien régler les actions
Elle eft feulement occupée.

Chacun fçait que mes triftes yeux
Pleuroient ma compagne fidelle,
Amarante qui fut fi belle,

Que l'on n'a rien vû fous les cieux
Qui ne fût moins aimable qu'elle.

J'allois fuccomber aux ennuis,
Lorsque je trouvai fans étude
Un charme en cette folitude,
Qui me laiffant de douces nuits,
Enchanta mon inquiétude.

Si ton fein rongé de fouci,
Porte quelque trait qui l'enflamme,
Nos jardins en ont le dictame;
Et dès que tu feras icì,
Tout fera paifible en ton ame.

Viens donc en ces lieux peu battus
Où la Fortune & fes careffes,

L'Amour & toutes fes tendreffes

Cédent aux folides vertus,

Qui font nos biens & nos Maîtreffes.

LALANE.

D'ACEIL
LY.

LE CHEVALIER

D'ACEILLY.

ON véritable nom étoit de CAILLY, qu'il jugea à propos de changer en celui de d'Aceilly, qui en eft l'anagramme. Son efprit le fit bien-tôt connoître à la Ville & à la Cour, où il eut pour amis plufieurs perfonnes de mérite & de confidération. Le Roi Louis XIV. à la recommandation de M. de Colbert, lui donna la Croix de Chevalier de Saint Michel. D'un affez grand nombre d'Epigrammes qu'il a faites, il y en a fort peu de médiocres; & la plûpart font admirables pour la naïveté du ftile & des penfées. Content de fon état, il fuyoit affez volontiers ce que tant d'autres recherchent avec ardeur. Heureux d'avoir sçu préférer une vie aisée & tranquille à toute idée de fortune & d'ambition! Il étoit

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