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que pas la catégorie de la substance qui suppose toujours une intuition donnée. (Ibid., p. 20-21.)

Sommes-nous donc condamnés à ne rien savoir de notre nature? La science nous laisse nécessairement dans le monde des phénomènes; mais si nous passons de la raison pure à la raison pratique, de la faculté de penser à la faculté d'agir, la foi morale nous donne des lumières nouvelles sur notre nature. L'idée du devoir suppose la liberté du vouloir. En tant qu'être moral, soumis à la loi du devoir, l'homme est indépendant du mécanisme de la nature, il est une personnalité, il appartient au monde des fins en soi, des noumènes. L'esprit qui sent et qui pense ne s'aperçoit que comme phénomène ; l'esprit qui veut et agit se pose comme une chose en soi. Pour la raison pure, l'esprit n'est que le phénomène d'une chose en soi inconnue; pour la raison pratique l'esprit est un être autonome et libre.

Fichte, Schelling,

Retour à la métaphysique Hégel : l'esprit absolu. — Kant avait fermé à l'intelligence le monde des noumènes. De sa philosophie même sort l'idéalisme le plus hardi. Fichte supprime ces choses en soi, inconnues et inconnaissables. Que reste-t-il? l'Esprit, le moi. C'est de cet unique principe que tout doit être déduit. Ce moi absolu, point de départ de la déduction philosophique, ne doit pas être confondu avec le moi empirique, individuel, que révèle la conscience. Le moi absolu est connu par une intuition intellectuelle, qui est la conscience immédiate d'agir. « La volonté est l'essence même de la raison, le pouvoir pratique la racine la plus profonde du moi. » L'esprit est acte, énergie, et cet acte est la réalité même. « Le sujet de la conscience et le principe de la réalité se confondent. » L'esprit fait tout ce qu'il sait, c'est parce qu'il agit qu'il connaît, et dans toute connaissance il se connaît lui-même, dans toute science il sait quelque chose de lui. Si le moi seul existe, la science de l'âme est la science de la réalité véritable. Le monde sensible est une illusion, née d'un jeu de formes et de catégories, qui dans le moi oppose quelque chose qui semble extérieur au moi, mais une illusion nécessaire dont on trouve la raison dans la nature de l'esprit et de ses fins. De même, du moi absolu, comme moment nécessaire de son développement, et du non-moi posé par le moi se déduit la pluralité réelle des moi individuels. Ainsi, pour Fichte, il n'y a de réalité que la réalité spirituelle: un moi absolu, une âme universelle, dont l'essence est l'activité, et qui, pour se développer elle-même,

J. HIST. DE LA PHIL.

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pour agir, s'oppose un monde extérieur illusoire et se divise en une pluralité d'êtres libres et agissants.

Fichte, uniquement occupé de la vie morale, ne laisse subsister que l'énergie spirituelle en acte; Schelling, versé dans les sciences de la nature, veut sortir de ce subjectivisme, rendre au monde sa réalité sans le séparer de l'esprit. Le réel et l'idéal, l'objectif et le subjectif, sont comme les deux pôles de l'absolu. L'œuvre de la philosophie est de faire sortir tour à tour la nature de l'intelligence et l'intelligence de la nature, d'établir ainsi l'identité des deux termes; elle s'achève par la science du beau que crée le travail simultané du conscient et de l'inconscient fondus dans l'inspiration du génie. L'unité et le progrès de la nature ne s'entend que par une âme du monde (Weltseele), un principe plastique qui organise l'univers. Cette âme du monde, cet absolu, qui comprend et concilie dans son indifférence le sujet et l'objet, nous le saisissons par une intuition intellectuelle (intellectuelle Anschauung), au plus profond de nous-mêmes. Ce qui dans notre esprit arrive à la conscience de soi, ce sont les activités mêmes qui, dans la nature, créent l'univers. La matière est de l'esprit éteint. La réalité est l'évolution de l'absolu, la vie de l'âme universelle. La philosophie est l'histoire de Dieu. On ne comprend l'esprit que par une construction de la nature: la pluralité des âmes n'est qu'un moyen pour l'absolu de se développer en prenant de plus en plus conscience de lui-même et de sa liberté.

Hégel admet avec Schelling que tout vient de l'absolu, mais il reproche à son prédécesseur de poser l'absolu sans le définir (das Absolute sei wie aus der Pistole geschossen: « l'absolu est en quelque sorte tiré comme par un coup de pistolet »). Pour Hégel, l'absolu est l'Idée, la réalité est la Vérité. La conscience n'est qu'un moment dans le développement de l'Etre. Pour la science absolue, l'être et la pensée sont identiques; le rationnel est le réel, le réel est le rationnel. La métaphysique est une logique. La logique développe le système des concepts qu'expriment tous les développements de la nature et de l'esprit. Sa méthode est une dialectique qui procède par thèse, antithèse et synthèse, marchant ainsi de contradictions en conciliations toujours plus riches et plus complexes, dialectique réelle, que la conscience ne crée pas, dont le mouvement est le mouvement même qui fait l'évolution des choses. Par un enchaînement dialectique ininterrompu, la logique conduit à la philosophie de la Nature, c'est-à-dire à l'Idée devenue comme étrangère à elle-même, et celle-ci à la philosophie de l'Esprit, ou à

l'Idée qui de la nature revient en soi et prend avec la possession d'elle-même une existence pour soi. Le développement de l'Esprit est le progrès logique qui le conduit de la dépendance de la nature à la liberté, qui est son essence. Les moments de ce progrès sont l'esprit subjectif, l'esprit objectif, l'esprit absolu. L'esprit subjectif, en tant qu'il dépend de la nature et du corps (races, tempéraments, sommeil, etc.), est étudié par l'anthropologie. La phénomé:nologie étudie l'esprit subjectif dans son élévation progressive vers la raison; la psychologie l'étudie dans sa puissance spéculative et pratique. L'intelligence s'affranchit spéculativement, quand elle reconnaît que tout est la raison réalisée; pratiquement, quand la volonté détermine son contenu. L'unité de la volonté et de la pensée, c'est l'énergie de la liberté se déterminant elle-même. L'essence de la moralité est la volonté prenant la raison pour fin c'est dire que l'esprit est libre quand il reconnait qu'il crée tout, quand par suite il veut tout ce qu'il crée, en d'autres termes quand l'Idée devenue consciente d'elle-même et de ses œuvres se reconnaît Dieu dans l'esprit. L'esprit objectif, ce sont les produits de la volonté, les mœurs, les lois, les cités; l'esprit absolu, c'est l'art, qui est l'Idée apparaissant dans une forme déterminée ; la religion, qui est la forme sous laquelle apparaît l'absolu à l'imagination et au sentiment; la philosophie, qui est l'Idée se pensant elle-même, la vérité se sachant, la Raison consciente. L'Esprit divin se retrouve et se repose enfin dans l'esprit de Hégel et de ses disciples. La vérité devenue l'âme, c'est Dieu même.

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Parallèlement

Spiritualisme écossais et français. à ces spéculations hardies se développait une philosophie plus modeste. Thomas Reid, fondateur de l'École écossaise, pour échapper au scepticisme de Hume, s'en remettait au sens commun. « Je prends pour accordé, dit-il, que toutes les pensées dont j'ai conscience ou dont je me souviens sont les pensées d'un seul et même principe pensant, que j'appelle moi ou mon esprit.» (Ess. sur les fac. intell., I, 2.) Il cherche cependant à établir par le raisonnement l'existence de l'âme, qu'il a d'abord admise sans discussion. Il part d'un principe de sens commun : « Tout acte ou opération suppose un agent, toute qualité un sujet; nous ne donnons pas le nom d'esprit à la pensée, à la raison, au désir, mais à l'être qui désire, qui pense et qui raisonne. » (Ibid.) Pour déterminer la nature de l'âme, il conclut des phénomènes à la substance. «< Mon identité personnelle, constatée par la mémoire, suppose l'existence

continue de ce quelque chose d'invisible que j'appelle moi. » (Essai sur les fac. int., III, 4.)

Royer-Collard accepte les idées de Thomas Reid. Maine de Biran insiste fortement sur les différences qui opposent la connaissance de soi-même, immédiate, directe, à la connaissance des choses extérieures, médiate, indirecte. Sans doute, l'âme considérée dans sa substance est un x, mais par la réflexion sur soi le sujet se connait comme cause et se distingue de tous ses phénomènes. Déjà dans l'effort, ce fait primitif, le moi se saisit dans son opposition au non-moi, et par suite se pose lui-même en s'opposant à ce qui n'est pas lui. Jouffroy, qui avait d'abord admis avec Reid le passage des phénomènes à la substance, se rallia à cette idée que seule la réflexion intuitive permet d'atteindre le moi. M. Ravaisson, développant les idées de Maine de Biran, soutient que la réflexion ne laisse pas en dehors d'elle je ne sais quelle substance inconnue; qu'elle saisit l'essence même de l'àme, qui est force d'abord et amour en dernière analyse, puisque force suppose ten-dance. En même temps, insistant sur le passage incessant de la vie à la pensée, il revient du dualisme cartésien à une doctrine qui se rapproche de celles de Leibniz et de Schelling.

Conclusion. Ce qui suggère l'hypothèse de l'âme, c'est la nécessité de trouver une raison et à l'unité de l'univers et à l'unité du corps et de la pensée de là l'âme universelle et les âmes individuelles. L'hypothèse d'une âme du monde tend a reparaître dès qu'on veut se passer d'un Dieu créateur et providence. Matérialisme, empirisme, criticisme, spiritualisme, telles sont les grandes solutions que nous avons rencontrées. Le matérialisme ne voit pas la question; il ne laisse qu'un principe de division et de multiplicité, qu'il n'arrive même pas à définir. L'empirisme, en développant par ses analyses les données du problème qu'il refuse d'aborder, contribue à le poser de mieux en mieux. Le criticisme explique tout à la fois et l'enchaînement des phénomènes et l'unité de l'esprit par les formes a priori de la pensée. Les hypothèses métaphysiques sont des efforts toujours renouvelés pour trouver à l'harmonie de l'univers, comme à l'unité du corps et de l'esprit humain, un principe réel qui en soit la raison suffisante.

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CHAPITRE IV

LA MATIÈRE ET L'AME.

COMMUNICATION

DES SUBSTANCES

Les systèmes qui n'admettent pas le dualisme sont tenus du moins de rendre compte des apparences qui en ont suggéré l'hypothèse. Toute métaphysique reconnaît un principe d'action et un principe d'inertie, explique la vie de la nature et de l'homme par le rapport de ces deux termes. Ce que nous chercherons à travers l'histoire, ce sont donc les solutions successives qu'a reçues le problème qui, sous sa forme aiguë, si j'ose dire, devient le problème de la communication des substances. Nous achèverons ainsi de résumer dans leurs éléments essentiels les grandes théories métaphysiques sur la nature et sur l'homme.

Philosophie anté-socratique : confusion du principe actif et passif. - Chez les premiers philosophes de la Grèce, les concepts du matériel et du spirituel sont encore confon-dus. L'élément dont l'évolution constitue le monde est à la fois matière et force. Le principe humide de Thalès est animé (Arist.. de Anim., 411 a 7), divin. L'air d'Anaximène est en un perpétuel mouvement et il est dieu (Cic., de Nat. Deor., I, 10). Diogène d'Apollonie, pour expliquer l'ordre du monde, se contente de faire de l'intelligence (Simplic., in Phys., 36 b) un attribut de l'élément matériel qui, selon lui, constitue la substance des choses (l'air). Pour Héraclite, le feu est à la fois l'élément premier des choses, le principe du mouvement par ses transformations incessantes, le principe de l'harmonie par la loi d'union des contraires, qui lui est immanente. On peut distinguer dans l'homme l'esprit et le corps, mais cette distinction ne va pas jusqu'à les opposer dans leur substance. Le corps est le feu épaissi, éteint; l'âme est le feu primitif sous sa forme pure (Arist., de Anim., I, 2,405 a 25).

La distinction du corporel et de l'incorporel est aussi étrangère ux Éléates. Parménide décrit l'Être comme une masse continue, homogène, limitée, se prolongeant uniformément dans tous les sens à partir de son point central (v. 102 sq.). La pensée n'est pas dis

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