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une science d'observation interne et subjective. Mais elle ne s'en rapporte plus à l'intuition directe par la conscience, qui trop souvent nous donne des faits complexes pour des phénomènes simples, et des facultés acquises pour des principes innés. En cherchant par l'analyse psychologique les éléments irréductibles et les lois d'association selon lesquelles ils se combinent, elle dépasse la pure description, elle s'affranchit des hypothèses métaphysiques et prétend par là prendre un caractère scientifique. L'analyse subjective s'accompagne chez D. Hartley d'abord, et de nos jours chez Al. Bain, plus encore chez Herb. Spencer, de l'analyse des conditions physiologiques.

C'est ce dernier point de vue qui domine dans la psychologie allemande. Le principe de la psychologie physiologique (Wundt, Weber, Fechner), c'est que « tout état psychique déterminé est lié à un ou plusieurs événements physiques » (Ribot, Introd., p. xI.) En conséquence, la psychologie physiologique « a pour objet les phénomènes nerveux accompagnés de conscience dont elle trouve dans l'homme le type le plus facile à connaitre, mais qu'elle doit poursuivre dans toute la série animale ». La différence de la psychologie et de la physiologie est que « celle-ci étudie les phénomènes nerveux sans conscience, celle-là les phénomènes nerveux accompagnés de conscience. » La méthode de cette nouvelle psychologie est expérimentale. L'externe et l'interne étant intimement. liés, en faisant varier l'externe on fait varier l'interne. C'est la méthode décrite par Stuart Mill, sous le nom de méthode des variations concomitantes. A l'aide de ce changement de méthode, cette science prétend n'être plus seulement une psychologie descriptive, mais devenir une psychologie explicative. Elle oppose à la connaissance naturelle de la conscience, qui est directe, la connaissance scientifique qui est indirecte. (Ribot, Introd., XI-xv.) Les méthodes expérimentales de la psycho-physique ne sont applicables, de l'aveu de M. Wundt, « que dans le cas où les phénomènes subjectifs sont dans une dépendance régulière des objets externes avec lesquels notre conscience est en rapport. » C'est dire que le champ de l'expérience physique en psychologie est singulièrement restreint.

De l'expérience physique notoirement insuffisante, nous sommes ainsi ramenés à l'observation et à l'expérimentation physiologiques. La nature même des phénomènes psychiques nous conduit en outre à ajouter à ces moyens d'étude une méthode nouvelle, qu'on pourrait appeler la méthode ethnique. (Ribot, Psych. allem., p. 41 sq.)

L'esprit s'exprime dans ses œuvres, il s'y montre tel qu'il est, il y réalise ses lois; nous pouvons donc étudier non pas notre propre esprit, mais l'esprit humain hors de lui-même, dans les mœurs, chez les différentes races, dans l'histoire. L'examen des méthodes des savants, des œuvres de la littérature et de l'art, peut aussi nous fournir des documents précieux; mais rien ne peut être plus instructif que l'étude du langage et de ses lois, parce que le langage est comme un corps que l'esprit se crée spontanément et qu'il modèle à son image, sans troubler par la réflexion l'action de ses propres lois.

Conclusion. La psychologie ne peut se passer de la méthode subjective. La nécessité qui a fait passer la science de la méthode interne à la méthode objective, ne nous amènera-t-elle pas en retour à compléter toutes ces méthodes objectives par la méthode subjective, qu'on le veuille ou non, toujourset partout présente? Sans doute il faut s'attacher à l'étude des œuvres de la pensée; mais ce qui importe surtout, c'est ce qu'on y découvre. On peut parcourir les musées de l'Europe et s'arrêter devant tous leurs chefs-d'œuvre, sans avoir une idée beaucoup plus nette de la création ou du sentiment esthétiques. Il n'y a que l'esprit qui connaisse l'esprit : on ne voit pas la pensée du dehors, on y assiste du dedans. On ne sait bien que ce qu'on fait soi-même, disait Aristote; ce mot est vrai surtout de la science de l'âme. La psychologie, en appelant à son aide des sciences nouvelles, en se renouvelant, en se transformant même, restera une science d'observation interne, une création de la sympathie. La réflexion restera le vrai principe du génie psychologique, parce qu'elle seule donnera une voix aux œuvres muettes de la pensée; mais au lieu de deviner, d'improviser des théories, d'y subordonner les faits, elle s'habituera à la patience scientifique, elle apprendra la résignation aux ignorances provisoires et nécessaires; elle cherchera ses inspirationsdans la réalité, dans l'expérience, dans l'histoire. L'esprit de la. science changera, ses méthodes se complèteront, on cherchera les idées dans les faits; mais en dernière analyse les idées seront dues. surtout à la réflexion de l'esprit sur lui-même : il semblera qu'on voit l'esprit du dehors, tandis que sans cette lumière du dedans on n'aurait rien compris au dehors 1.

La psychologie, comme toutes les autres sciences, se sépare de

1. Voy. les Méthodes psychologiques, Gabriel Séailles, Revue philosophique, avril 1882.

la métaphysique : c'est la loi même du progrès scientifique. L'esprit peut être considéré comme un objet, et à ce titre il rentre dans le domaine des sciences positives; tel est le fait auquel répondent les efforts très légitimes des psychologues contemporains de l'Angleterre, de l'Allemagne et même de la France. Mais l'esprit reste le sujet, le principe de toute connaissance. Les faits psychiques ne sont que la face subjective des faits physiologiques, soit; mais en même temps, et bien plus justement encore, puisque seuls les faits psychiques nous sont immédiatement connus, nous devons dire les faits physiques sont la face objective des faits psychiques. Par cela seul qu'il nous apparaît, l'objet nous ramène au sujet, le monde à la pensée. La psychologie empirique faite, il reste à examiner les conditions de toute pensée, les catégories auxquelles doivent se soumettre tous les faits pour être compris dans l'unité d'une même conscience. Considérer les choses du point de vue de l'esprit, c'est la métaphysique même, à laquelle conduit la critique de la connaissance, l'étude des exigences de l'esprit.

CHAPITRE III

LA VIE ANIMALE

Qu'est-ce que l'instinct? Quels sont ses rapports à l'intelligence? Comment la vie humaine s'ajoute-t-elle à la vie animale? Qu'est-ce qui les rapproche ? Qu'est-ce qui les distingue? Autant de questions qui de plus en plus ont préoccupé les philosophes à mesure que, les idées s'éclaircissant, les êtres et les phénomènes étaient mieux saisis dans leurs différences et dans leurs rapports. (Voy. l'Homme et l'Animal, par H. Joly.)

Conceptions primitives. L'Identité de l'âme animale et de l'âme humaine. - Pythagore. — Empédocle. — Anaxagore. — L'homme primitif juge naïvement tout d'après lui-même et attribue non seulement au végétal, mais à tous les objets et à tous les phénomènes, une âme semblable à la sienne.

De là à concevoir que ces âmes toutes de même nature peuvent se promener de corps en corps, il n'y a qu'un pas. Avant d'être une théorie philosophique, la doctrine de la transmigration des âmes est une croyance spontanée qu'on trouve chez la plupart des peuples primitifs. C'est de la mythologie des mystères orphiques que la métempsycose a passé dans la philosophie grecque, qui l'a purifiée. Selon les Pythagoriciens, après la vie présente, l'âme humaine, selon ses mérites, mène dans un monde supérieur une vie incorporelle, ou subit les châtiments du Tartare, à moins qu'elle ne soit condamnée à faire de nouvelles pérégrinations à travers des corps d'hommes ou d'animaux. «< On rapporte, dit ironiquement Xénophane, que Pythagore vit un jeune chien qu'on battait avec beaucoup de cruauté : il en eut compassion et tint ce langage : « Arrêtez, ne frappez plus ! c'est l'âme infortunée d'un de mes amis; je le reconnais à sa voix. » (Diog. Laërce, VIII, 35.) Cette théorie implique que toutes les âmes sont de même nature et que leur perfection dépend uniquement de l'organisme auquel elles sont unies. D'après Empédocle, les esprits coupables, dispersés dans toutes les parties du monde, sont chassés de corps en corps. Les âmes réprouvées n'entrent pas seulement dans les corps des hommes et des animaux, mais aussi dans ceux des végétaux. C'était admettre que les plantes elles-mêmes ont des âmes identiques à l'âme humaine, mais dont les manifestations sont limitées par l'organisme qui leur sert d'instrument.

Anaxagore le premier sépare l'intelligence (voc) des éléments qu'elle ordonne. Substance homogène dans toutes ses parties, l'intelligence d'un être à l'autre diffère par la quantité non par la qualité. L'homme en a plus que l'animal, l'animal plus que la plante. Quand il dit que l'homme est le plus intelligent des animaux, parce qu'il a des mains, Anaxagore n'entend donc pas ramener les différences d'aptitudes intellectuelles à la seule différence d'organisation. (Zeller, trad. fr., t. II, p. 419.) Comme Empédocle et Anaxagore, Démocrite attribue une âme aux plantes et aux animaux. L'âme est une sorte de matière psychique répandue dans tout l'univers et composée d'atomes ignés qui engendrent le mouvement et la vie.

En résumé, chez les philosophes anté-socratiques on trouve sur le rapport des hommes et des animaux une doctrine assez constante. Leur origine est la même les uns et les autres sont sortis du limon de la terre; ce n'est qu'une fois constitués qu'ils se sont reproduits par l'union des sexes (Anaximandre, Parménide, Empé

docle, Anaxagore, Démocrite). Les âmes sont toutes de même nature ce qui les distingue, c'est, pour les Pythagoriciens et pour Empédocle, les corps auxquels elles sont unies, pour Anaxagore la quantité d'intelligence présente à chaque être; pour Démocrite le nombre et la disposition des atomes ignés.

Socrate distingue l'instinct et l'intelligence. — Plus modeste que ses prédécesseurs, Socrate ne prétend plus découvrir les origines et la nature de tout ce qui est. Il signale l'existence de l'instinct et cherche à fonder sur des caractères précis la distinction de l'homme et de l'animal. C'est à propos de la Providence qu'il fait ces remarques qu'il serait excessif de regarder comme une théorie.

Dieu n'a-t-il pas imprimé dans les pères le désir de se reproduire; dans les mères le plus tendre désir de nourrir; dans tous les animaux l'amour de la vie, la crainte de la mort? Certes on ne peut méconnaître les soins d'un ouvrier qui voulait assurer leur existence. (Xén., Mém., 1, 4.)

L'instinct est ainsi présenté comme une tendance innée, irréfléchie, sorte d'action divine dans l'animal et dans l'homme; mais si la Providence se manifeste dans l'animal, bien plus encore à sa bonté.

Dieu n'a pas borné ses soins à la formation de nos corps; mais ce qui est bien plus important, il nous a donné l'âme la plus parfaite. Quel est l'animal dont l'âme connaisse l'existence des dieux? Quel autre adore la divinité ? Quel autre sait par la force de son esprit, c'est-à-dire par des actes raisonnés, prévenir la faim, la soif, le froid, le chaud, guérir les maladies, augmenter ses forces, ajouter à ses connaissances? se rappeler ce qu'il a entendu, ce qu'il a vu, ce qu'il a appris? Les hommes vivent comme des dieux, parmi les autres animaux... L'être qui aurait le corps d'un boeuf et l'intelligence de l'homme ne pourrait exécuter ses volontés. Mais accordez-lui les mains et privez-le de l'intelligence, il ne sera pas moins borné... (Mémor., I, 4.)

Théorie de Platon : l'animal est un homme dégénéré. Platon distingue dans l'âme humaine trois parties: la raison, vous; l'appétit irascible, ouós, principe des passions généreuses; et le désir, l'appétit concupiscible, Ouμía. Le vous, création immédiate du Dieu suprême (Timée), caractérise l'homme, seul capable ici-bas de s'élever à la contemplation de l'intelligible; le Ouós caractérise l'animal; l'envía est toute l'âme des plantes.

Le végétal participe de la troisième espèce d'âme, celle dont nous avons remarqué la place entre le diaphragme et le nombril, dans laquelle il n'y a ni opinion, ni raisonnement, ni intelligence, mais la seule sensation agréable ou désagréable et les passions qui l'accompagnent. (Timée, 77 b.)

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