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psychologie vraiment scientifique. On a conscience de ce qui est, non de ce qui sera ni de ce qui peut être : les facultés, les pouvoirs, les causes ne sont donc que des mots, des résumés d'expérience, qui ne représentent aucune réalité indépendante. Stuart Mill n'admet pas l'inconscient. (Examen de la Philos. de Ham., ch. xv.) L'inconscient n'est pas psychologique, il se ramène à des états physiologiques. « Je suis porté à penser comme Hamilton, et à admettre ces modifications mentales inconscientes, mais avec la seule forme sous laquelle je puisse leur donner un sens très précis, à savoir sous la forme de modifications inconscientes des nerfs. » Il y a des impressions trop faibles pour donner naissance à la sensation, des vibrations nerveuses qui n'arrivent pas jusqu'aux centres nerveux; en un mot, un ensemble de phénomènes qui restent physiques. D'après Spencer et Bain, la conscience suppose le changement, une succession d'états différents. C'est l'alternance, l'oscillation entre deux états différents qui constitue la forme la plus simple de la conscience qu'on puisse concevoir. « Tant que persiste un état A, il n'y a pas conscience. Tant que persiste un autre état B, il n'y a pas conscience. Mais quand il y a un changement de l'état A à l'état B, ou de l'état B à l'état A, ce changement lui-même constitue un phénomène dans la conscience, c'està-dire une conscience. » (Spencer, Princ. de Psych., t. II, p. 304.) Toute conscience et par suite toute pensée est donc relative.

Importance que tend à prendre la théorie de l'Inconscient. La théorie de l'Inconscient tend à prendre de nos jours une importance considérable. Le philosophe allemand Hartmann a écrit une philosophie de l'Inconscient pleine de faits intéressants et d'hypothèses parfois bizarres. Des physiologistes et psychologues anglais, Georges Lewes, Murphy, Maudsley ont mis en lumière tout ce que l'esprit conscient doit à l'activité spontanée, dont les résultats tout à coup le surprennent. Maudsley, va jusqu'à soutenir «< que la conscience est un luxe », que sans elle presque rien ne serait changé : les phénomènes ne seraient pas aperçus, voilà tout. En France les mêmes idées se sont produites: on s'est demandé si le moi que nous connaissons ne serait pas formé par une hiérarchie de moi partiels et secondaires; en d'autres termes si la conscience psychologique ne serait pas la résultante, l'harmonie de consciences inférieures en rapport avec elle; ou encore s'il n'y aurait pas une pluralité de consciences en rapport, bien que distinctes et gardant leur indépendance. Ces hypothèses sont dou

teuses; mais les faits auxquels elles répondent sont incontestables c'est quelque chose de les avoir mis en lumière.

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Conclusion : trois grandes théories de la conscience empirique, critique, spiritualiste. - En résumé, la théorie des Écossais, qui faisait de la conscience une faculté distincte, semble déjà abandonnée. Il reste en présence les trois doctrines empirique, critique, spiritualiste. Pour les empiriques, la conscience caractérise les faits psychologiques, qui volontiers sont regardés comme des phénomènes physiologiques d'une certaine intensité. La science de l'esprit n'est pas une science d'une essence supérieure et métaphysique; elle est la science des faits intérieurs et des lois selon lesquelles ils s'associent. Pour l'école critique, la conscience est une forme, elle ne revèle pas l'être que nous sommes, elle nous apprend seulement comment nous nous apparaissons. Toutes les idées qu'on croit en dégager par la réflexion comme les idées de cause, d'unité, d'identité, ne sont que les formes a priori qui la rendent possible. Enfin l'école spiritualiste, dont Maine de Biran est le fondateur, Leibniz le précurseur, affirme que la conscience réfléchie atteint l'être un, identique, cause de ses propres actes; elle fait ainsi de la conscience une faculté du réel, de l'absolu, et de la psychologie une métaphysique véritable.

CHAPITRE VI

LES THÉORIES DE LA RAISON

L'esprit est-il une sorte de table rase, de feuille blanche, sur laquelle les phénomènes s'inscrivent du dehors? n'est-il pas plutôt une activité primitive, une nature donnée, qui s'exerce selon ses propres lois? La connaissance humaine n'est-elle qu'un empirisme, ne suppose-t-elle pas certaines notions, certains principes, qui, présents à l'esprit, dirigent et garantissent tout son travail? En un mot, l'esprit est-il peu à peu constitué par les phénomènes dont les rap

ports constants se dégagent et sortent comme en relief de la masse confuse des faits? ou bien trouvons-nous en lui des notions premières qui dépassent l'expérience; des principes universels, nécessaires qui, dominant le relatif, permettent d'établir entre les phénomènes des rapports fixes, de cimenter leur matière flottante et d'en construire l'édifice systématique de la connaissance? C'est à peu près en ces termes antithétiques que dans l'histoire se pose et se développe le problème de la raison.

Premières formes

Héraclite et les Éléates. de l'opposition du sensible et du rationnel. — Les premiers philosophes, les Ioniens et même les Pythagoriciens, ne dégagent pas nettement le problème de la connaissance. C'est avec Héraclite que nous voyons apparaître pour la première fois l'opposition du sensible et du rationnel. Il se plaint en termes amers de l'ignorance des hommes. « L'âne préfère le son à l'or et le chien aboie à tous ceux qu'il ne connaît pas. » (Fr. 28.) D'où vient cette déraison? De ce que les hommes s'en rapportent aux sens. «< Les sens sont de mauvais témoins quand ils sont au service d'âmes déraisonnables (ẞapőápous Yuxás). » (Fr. 11.) La sagesse consiste à connaître la raison qui gouverne tout, à découvrir la nature du feu, la loi des contraires, et l'unité harmonieuse qui se dégage sans cesse de la lutte et du changement. Cette divinité, cette loi du monde, cette raison primordiale n'est pas distincte de la substance des choses, du feu primitif; elle est nous comme toutes choses. Aussi faut-il suivre les idées communes à tous (neobα T suvÿ), et non les opinions particulières (idíav ppóvnov). (Fr. 7.) La pensée est commune à tous, žuvóv ¿oti mãσi tò opovεïv. (Fr. 123.) La raison est tout à la fois l'élément dont sont faits tous les êtres et la loi universelle de tout ce qui est.

La théorie de l'Unité absolue de l'être est si opposée aux données des sens que les Éléates ne pouvaient manquer d'attaquer, eux aussi, ce mode de connaître. Parménide distingue nettement les choses de l'opinion (tà pòc dózy) des choses de la vérité (tà πpòs àλ0ɛtav). La vraie science, c'est la déduction des attributs de l'Être. Mais l'idée de l'Être n'est pas une idée abstraite; elle est suggérée par l'intuition sensible. Le réel c'est le plein, ce qui remplit l'espace. Quand Parménide parle de l'identité de l'être et de la pensée, il entend que la pensée n'existe que par l'être, qu'elle n'en est pas distincte, qu'elle est enveloppée dans son unité.

Empédocle, Démocrite, Anaxagore commencent aussi, chacun à

leur point de vue, à distinguer les sens et la raison; mais, au fond, la raison elle-même se confond pour eux avec la connaissance sensible. La pensée ne se distingue de la sensation que par son contenu. Toutes deux sont une fonction de l'organisme. Ce que chaque philosophe reproche aux sens, c'est de contredire sa propre théorie. Néanmoins, cette critique des sens est un acheminement à une théorie de la connaissance rationnelle.

Socrate met en lumière le rôle de l'esprit dans la connaissance. Les sophistes avaient aperçu le rôle du sujet dans la connaissance; mais, comme nous l'avons vu, ils en avaient tiré le scepticisme. Pour échapper à ces conclusions dangereuses, Socrate cherche dans le sujet lui-même ce qui permet et garantit la connaissance. C'est en approfondissant la nature de l'esprit qu'il espère découvrir les conditions de la science véritable. Connais-toi toi-même, tel est son premier précepte. La science, selon lui, dépend avant tout de l'action de l'esprit. Le premier résultat de cette connaissance de soi, c'est la découverte et l'aveu de sa propre ignorance. Mais cet aveu suppose qu'on a l'idée de la science véritable et qu'on peut l'atteindre. La vérité est innée à l'esprit. Apprendre, c'est donc encore se connaître soimême. De là la maïeutique, l'accouchement des esprits. Cette hypothèse de l'innéité de la vérité semble être, pour Socrate, le pressentiment d'une faculté rationnelle, antérieure en quelque sorte aux connaissances sensibles, et leur donnant la forme de la science. << Socrate s'avançait à travers les principes les mieux reconnus de tous, pensant que c'était là le meilleur appui du discours. >> (Mém., IV, vi.) Les principaux procédés de la maïeutique étaient l'induction, la définition, la déduction, trois opérations en intime rapport. Διαλέγειν κατὰ γένη, ramener les choses à des conceptions générales, qui expriment leur essence, telle est l'œuvre de la philosophie. Le premier procédé de Socrate étant l'induction, un assemblage de faits et d'exemples, il semble qu'il y ait contradiction entre les procédés de la méthode et l'idée générale que la connaissance est innée. La pensée de Socrate sur ce point n'a pas été peut-être d'une grande clarté. Il entendait sans doute que la vérité n'est atteinte que par l'action de l'esprit, qu'il la doit à sa propre activité, qu'il la crée en lui, que c'est en se connaissant qu'il connaît les conditions de la vérité.

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dialectique vers la vérité. — Réminiscence. - Dialectique ascendante, descendante. La science est innée, disait Socrate; mais, par ses procédés purement discursifs, il semblait dégager la science des phénomènes autant et plus que de l'esprit. Platon complète, achève la théorie de Socrate. Pour lui, la science est vraiment innée à l'âme : elle ne porte ni sur les choses sensibles, passagères, éphémères, ni même sur les notions générales dégagées des données de l'expérience par l'entendement discursif. La science consiste à sortir du monde sensible, à entrer dans le monde des Idées éternelles, immuables, principes de la réalité et de la connaissance, que l'âme ne peut découvrir qu'en se découvrant pour ainsi dire elle-même. Mais cet acte intuitif ne s'accomplit pas sans peine et d'un seul coup. Il exige une préparation, une initiation. Imaginez des prisonniers enchaînés dans une caverne et habitués à regarder passer les ombres des choses sur la paroi éclairée qui leur fait face. Amenez-les à la lumière du jour, ils sont éblouis. Une longue éducation leur est nécessaire pour discerner les objets réels et affronter l'éclat splendide du soleil. (Rép., VII.) La réfutation des théories fausses est un premier exercice en même temps qu'une purification, xá0xpats (ironie socratique). Mais le vrai point de départ de la marche dialectique vers la vérité, c'est la sensation. Il y a des sensations qui, par leurs contradictions et leur insuffisance même à les résoudre, surprennent l'esprit et éveillent la réflexion. Selon qu'on la compare à des choses différentes, la même chose est une et plusieurs, grande ou petite. Qu'est-ce donc que l'un et le plusieurs, que le grand et le petit? Pour passer des choses sensibles aux Idées, de l'opinion (ôóa) à la science (noun), le véritable intermédiaire, c'est la culture des sciences, qui reposent sur ces notions de l'un et du plusieurs, de l'égal et de l'inégal (VII liv. de la Républ., éducation platonicienne); c'est la culture de l'arithmétique, de la géométrie, de la musique, de l'astronomie, à la condition toutefois de ne pas étudier ces sciences empiriquement, de n'en pas faire une sorte de routine, mais de s'attacher aux rapports mathématiques, intelligibles, aux proportions, au nombre et à la mesure. L'âme ainsi préparée par l'étude de ce qui, dans les choses sensibles, est analogue aux Idées, sent se réveiller en elle le souvenir des Idées véritables.

La réminiscence est une intuition immédiate, directe de l'Idée présente à l'âme. C'est au sens propre du mot une sorte de réveil qui rend à l'âme la possession de ce qu'elle a connu déjà, de ce qu'elle connaît encore virtuellement. Apprendre, c'est se ressouve

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