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enchaînées des notions qu'ils avaient déjà, mais qui exigeaient d'eux pour être rassemblées un effort laborieux, qu'ils pourront appliquer à des recherches plus personnelles.

Comme pour notre traité dogmatique, et avec beaucoup plus de raison puisqu'il s'agit d'histoire et d'érudition, nous recevrons avec reconnaissance les observations de nos collègues.

Paris, 16 novembre 1886.

PAUL JANET.

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La philosophie, selon Th. Jouffroy, est une science dont l'objet n'est pas encore fixé (Nouv. Mélanges, p. 103). C'est là un jugement sévère porté sur la philosophie par un philosophe. C'est à l'histoire à répondre à Jouffroy. Elle nous apprendra si la philosophie est aussi ignorante et aussi divisée sur son objet qu'il le prétend; et si, sous la diversité des formules, n'apparait pas une pensée, toujours à peu près la même, qui, plus ou moins vague à l'origine, se dégage et s'éclaircit à mesure que la science se perfectionne : ce qui d'ailleurs est également vrai pour les autres sciences. Le premier problème philosophique dont nous ayons à étudier l'histoire est donc celui-ci : quelle est l'idée que les philosophes se sont faite de la philosophie aux diverses périodes de son histoire?

Le mot « philosophie » a d'abord un sens très général. — Les mots de pλócopos, pilosopia, ne se trouvent ni dans Homère ni dans Hésiode. A l'origine et pendant longtemps ce terme a un sens très général. Il désigne toute curiosité, toute culture intellectuelle, tout effort de l'esprit pour s'enrichir de connaissances nouvelles. Nous le trouvons pour la première fois dans Hérodote. Crésus dit à Solon : « J'ai entendu dire que tu avais parcouru beaucoup de pays en philosophe pour les observer & pλ0

J. HIST. DE LA PHIL.

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σοφέων γῆν πολλὴν θεωρίης εἵνεκεν ἐπελήλυθας. » (Hist., I, 30.) Thucydide fait dire à Périclès, dans sa célèbre oraison funèbre : « Nous aimons le beau avec mesure, nous philosophons sans mollesse : φιλοκαλοῦμεν μετ ̓ εὐτελείας καὶ φιλοσοφοῦμεν ἄνευ μαλακίας. » (Guerre du Pélop., II, 40.) Par tλocogiv entendez ici l'amour de la vérité sous toutes ses formes, l'art de bien dire et de bien penser, tout ce qui fait l'homme plus humain. Ce sens large du mot «< philosophie >> est resté longtemps en usage. Euthydème se croit « très avancé dans la philosophie », parce qu'il a rassemblé beaucoup d'ouvrages de poètes et de sophistes renommés. (Xénophon, Mém., IV, II, 23.) Isocrate appelle sa rhétorique τὴν περὶ τοὺς λόγους φιλοσοφίαν, parfois même piocopía, pilosopɛiv, sans commentaires. (Panégyr. d'Ath., I.) D'après la tradition, Pythagore le premier aurait donné un sens précis au mot «< philosophie ». « La qualité de sage ne convient à aucun homme, mais à Dieu seul. » (Diogène Laërce, Vie des philosophes, Préf.) C'est assez pour la gloire de l'homme d'aimer et de poursuivre la sagesse. Cicéron lui fait dire, dans un entretien avec Léon, tyran de Phliunte : « Raros esse quosdam qui, cæteris omnibus pro nihilo habitis, rerum naturam studiosi intuerentur : hos se appellare sapientiæ studiosos (id est enim philosophos). » (Tuscul., V, 3.) Les philosophes, dans le sens restreint du mot, jusqu'à Socrate, sont désignés par le nom de sages (coço!) ou de sophistes (σοφισταί), ou encore par celui de physiciens (φυσικοί, φυσιόλογοι).

La philosophie à l'origine est la science universelle. Pour les premiers sages, la philosophie comprenait à la fois et ce que nous appelons la science, c'est-à-dire l'explication des choses, et ce que nous appelons la sagesse, c'est-à-dire la pratique de la vertu, la prudence dans la conduite de la vie. Mais leur sagesse était toute pratique, et leur science était toute tournée vers le monde extérieur. Ils avaient accepté l'héritage des vieux poètes, des auteurs de théogonies, qui expliquaient l'histoire du monde par l'histoire des dieux. Ils tentaient la solution des mêmes problèmes ils voulaient expliquer la formation de l'univers, l'apparition de l'homme sur la terre. Ils cherchaient l'origine des choses soit dans les éléments, soit dans les atomes, soit dans les nombres. Leur philosophie était une cosmogonie, et embrassait tout le domaine de la connaissance humaine à cette époque.

Socrate ramène l'homme de la connaissance du monde à la connaissance de lui-même. Socrate fit

une révolution dans la science et donna une autre direction aux études philosophiques, en passant de l'étude de la nature à l'étude de l'homme. Suivant une parole célèbre de Cicéron, « il fit descendre la philosophie du ciel sur la terre, et la fit entrer dans les cités et dans les maisons, » c'est-à-dire qu'au lieu de la tourner vers le monde et ses origines, il l'avait ramenée à la morale et à la politique. Mais Socrate n'est pas seulement le fondateur de la science morale. Le principe de sa logique, pendant vingt siècles, est demeuré la règle de l'esprit humain. La science, selon lui, a pour objet l'élément fixe et permanent qui se retrouve dans les choses accidentelles et particulières. Cet élément fixe, c'est l'idée générale, le concept, dont la définition est la fin de la science. La méthode de Socrate, reprise et développée par ses successeurs, est devenue la dialectique de Platon, la syllogistique d'Aristote; sous cette dernière forme, elle a traversé toute l'antiquité, tout le moyen âge, et jusqu'à Descartes la science s'est donné pour objet de dégager les idées générales, de les définir, de les coordonner.

Avec Platon la philosophie reprend un caractère d'universalité. Elle a pour objet l'Être, le Bien, l'harmonie des choses. Avec Platon et Aristote, le caractère universel de la philosophie, trop effacé par Socrate, reparait. La philosophie n'est plus seulement pour eux la physique ou la morale, ni la collection de toutes les sciences: elle est la science souveraine, véritable, celle qui domine toutes les autres.

La philosophie, suivant Platon, est l'acquisition de la science (xcñoię śmiocáμqs). La science n'a pas pour objet les choses sensibles, qui sont dans un état perpétuel de fluctuation, et qui ne contiennent aucune vérité, aucune stabilité; elle n'est pas même l'opinion droite (por dóz), qui rencontre la vérité par une sorte de hasard heureux, et qui ne saurait se justifier elle-même; elle a pour objet l'être véritable, absolument être et absolument connaissable: tò μὲν παντελῶς ὂν, παντελῶς γνωστόν (Βέρ., 477 α, édit. H. Estienne); son objet est donc l'immuable, l'identique, ce qui est toujours semblable à soi-même, ce qui dans chaque chose est précisément l'être de cette chose : τοὺς αὐτὸ ἄρα ἕκαστον τὸ ὂν ἀσπαζομένους φιλοσόφους zλýtcov (Rép., v, 480 b). C'est cet objet que Platon appelle l'Idée (ETdoc, 'Idéz), principe de vérité pour l'intelligence et d'existence pour les choses. Ces Idées, modèles éternels des choses, résident dans l'Être divin, et toutes sont résumées et comprises dans l'Idée suprême du Bien. On voit que la philosophie avec Platon se sépare et

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