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à la résistance. Mais pourquoi refuser le nom de matière à des particules qui pour ne pas résister n'en existent pas moins, et qui suscitent en nous par leur mouvement une sensation tout-à-fait indépendante de la sensation de résistance. Le moi? réduit à la perception des sons et des couleurs les distinguerait très bien de lui-même; car si la sensation de résistance nous avait été nécessaire pour rapporter le son à une cause extérieure, comment distinguerions-nous le son dont nous nous souvenons d'avec le son que nous percevons actuellement? Ces deux modifications. de nous-mêmes, savoir : le souvenir du son et la perception du son, se faisant en nous malgré nous, nous les rapporterions toutes deux à une cause extérieure, c'est-à-dire à un objet résistant, et toute la différence que nous ferions entre elles c'est que l'une nous paraîtrait un son faible, et l'autre un son plus fort; mais nous n'arriverions jamais à la distinction que fait tout homme entre un souvenir et une perception. Si donc, sans avoir besoin de toucher des cloches, nous distinguons le son que nous percevons du son dont nous nous souvenons, il est clair que nous réputons le premier objectif directement et pour lui-même, et qu'il y a là une distinction tout-à-fait semblable à celle que l'esprit établit entre la perception de résistance et le pur souvenir de résistance. Nous ne connaissons en effet, dans ce qu'on appelle matière, que des résistances, des sons, des couleurs, etc. Quant à l'étendue continue ou à la juxte apposition immédiate des parties, c'est une qualité de l'espace pur que nous prêtons gratuitement à la matière, et dont les physiciens la dépouillent, parce que la contraction, dont tous les corps sont susceptibles, leur démontre que les parties de la matière ne sont pas en contact les unes avec les

autres.

Ainsi nous ne pouvons admettre avec Descartes que l'é tendue pure, dépouillée de toute autre propriété, soit susceptible de forme ou de mouvement; car ce n'est là que de T'espace, et c'est improprement qu'on appellerait cette étendue un corps. Mais ce philosophe, en mettant d'un côté Tétendue pure et de l'autre la tangibilité, la couleur, le

DESCARTES. T. 1.

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la

son, l'odeur, etc., nous paraît avoir tracé une division bien plus juste que ceux qui veulent séparer la tangibilité qu résistance d'avec les autres propriétés matérielles.

Nous n'avons rien à dire des Principes de la philosophie. On peut les envisager, quant à la partie métaphysique, comme une seconde édition des Méditations revue, corrigée et augmentée par l'auteur.

Nous arrivons donc aux Passions de l'ame. Laissant de côté le rapport que l'auteur établit entre l'existence de la passion et le mouvement intérieur du corps, rapport entièrement hypothétique, et assez souvent démenti par la physiologie de nos jours, nous ne nous occuperons que de la filiation établie par Descartes entre les différentes pas

sions.

Voici l'ordre dans lequel les passions lui paraissent se produire: 1° l'admiration; 2° l'amour ou la haine; 3o le désir; 4o la joie ou la tristesse. Quand on examine la définition qu'il donne de ces différentes passions, on trouve fort difficile de distinguer l'amour d'avec le désir, et la joie et la tristesse d'avec l'amour et la haine.

Il dit, par exemple : l'amour a lieu lorsqu'il y a seulement union de volonté avec l'objet ; la joie, lorsque l'union de fait se joint avec l'union de volonté1. Or nous demandons quelle différence, d'après cette définition, peut exister entre l'amour et le désir. Le désir, nous dit Descartes, est une passion qui regarde l'avenir ; mais l'amour qui n'est qu'une jonction de volonté, ne regarde-t-il pas aussi l'avenir? Descartes dit bien que la jonction de volonté qui constitue l'amour regarde le moment présent, tandis que celle du désir regarde le futur 3; mais tant que la jonction n'est pas faite ne se trouve-t-elle pas dans l'avenir? et n'est-ce qu'une différence de proximité dans le moment de la jouissance, qui forme la différence entre l'amour et le désir?

Quant à l'ordre chronologique que Descartes établit entre l'amour et la joie, nous accordons bien que, dans un cer

Passions de l'ame, seconde partie, 61 et 79; voyez aussi Lettre XXII.
Voyez Passions de l'ame, seconde partie, 57.

* Idem, 80.

tain langage, l'amour précède la jouissance; mais pense-t-on que l'amour ait pris naissance sans une certaine émotion agréable? et si cette émotion ne porte pas le nom de plaisir, quel nom pourra-t-on lui donner? Nous en dirions autant de la succession entre la haine et le déplaisir. Nous ne croyons pas non plus que l'admiration soit la première de toutes nos passions: l'enfant a certainement joui et souffert avant de s'étonner. L'étonnement annonce déjà une certaine pratique de la vie, et une comparaison entre des choses anciennes et des choses nouvelles. Quant à cette vénération instinctive dont l'enfant honore les personnes qui l'entourent, elle n'est certainement pas la première de ses affections, et il a auparavant aimé la douceur du lait et le sourire de sa Dourrice.

Nous n'insisterons cependant pas plus long-temps sur l'ordre de tous ces sentimens, qui varie suivant le sens qu'on attache aux mots : nous craindrions d'engager avec Descartes une dispute de langage, nous nous bornerons donc à proposer le nôtre sur ce sujet. Si l'enfant jouit et souffre d'abord sans avoir l'idée d'aucun objet extérieur, nous appellerons cet état plaisir et peine. S'il s'y joint la connaissance de l'objet extérieur qui le fait jouir ou souffrir, nous appellerons ce second état amour et haine. Il n'y a pas là un élément sensible de plus que dans le premier cas, mais seulement un élément intellectuel qui n'était pas d'abord intervenu. Ainsi l'amour que j'ai pour une fleur n'est autre chose que la connaissance que cette fleur m'est agréable; si maintenant il arrive que l'objet qui m'est agréable soit absent, le déplaisir que je puis éprouver de cette absence est ce que j'appelle désir. Ainsi, aimer c'est connaître la cause d'un plaisir; désirer ce n'est pas seulement connaître l'absence de cette cause, mais c'est souffrir de cette absence connue. Le plaisir et la souffrance pure n'implique pas l'idée de quelque chose au-dehors de aimer et désirer implique cette idée; mais le fond sensible nous paraît demeurer le même que dans le premier cas. Le Traité des passions de l'ame est une partie importante de la psychologie cartésienne; ses successeurs ont trop renfermé la philosophie dans l'analyse de l'intelligence, et n'ont

nous,

k.

pas donné assez d'attention à l'analyse plus curieuse et plu intéressante encore de la sensibilité ou des affections. Le philosophes écossais et depuis les phrénologistes ont rend à cette étude l'importance qu'elle mérite. Il est temps qu toutes les écoles et particulièrement celle qui se fait honneu de se rattacher à Descartes s'engagent dans la même route e asseyent la philosophie sur des bases aussi larges que l'avait fai Descartes lui-même. Avec le traité de la Méthode et les Mé ditations, vous prendriez ce philosophe pour une simple in telligence ou, comme il le dit lui-même, pour une intellec tion pure; avec le Traité des passions on s'aperçoit qu'il a aussi un cœur, comme on dit dans le langage vulgaire. La philosophie ne doit pas oublier que penser, aux yeux de Descartes, ce n'est pas seulement avoir des idées mais encore aimer et désirer, et pour suivre les traces de ce grand homme il ne faut pas traiter seulement de l'origine et de la classification des connaissances, mais encore de l'origine et de la classification des passions; il faut unir le tableau de la sensibilite à celui de l'intelligence, et décrire le moi humain tout entier.

FIN DE L'INTRODUCTION.

DISCOURS DE LA MÉTHODE.

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1'e PARTIE: Considérations touchant les sciences. Les hommes ne different point par l'esprit, mais par la manière dont ils l'emploient (1); l'essentiel est donc de se former une méthode pour la découverte de la vérité (2-5). Stérilité des études ordinaires (6-13). Nécessité d'abandonner les livres et l'étude des mœurs pour se replier en soi-même (14-15).

II PARTIE: Principales règles de la Méthode. - Raisons qui ont déterminé l'auteur à ne s'en rapporter qu'à lui-même (1-4). Inutilité du syllogisme pour la découverte de la vérité; vice de la méthode des géomètres (5-6). Préceptes d'une autre méthode : 1° Ne recevoir pour vrai que ce qui est évident; éviter la précipitation et la prévention; 2° Diviser la difficulté en autant de parties qu'il est nécessaire; 3° Aller du simple au composé, conduire ses pensées par ordre, et enchaîner les uns aux autres les objets qui ne se suivent suivent pas naturellement; 4° Faire partout des dénombremens si complets qu'on soit assuré de ne rien omettre (7-10). Application de l'algèbre à la géométrie et aux autres objets de recherche (11-13).

III PARTIE: Quelques règles de la morale tirées de cette méthode. -Nécessité de se former une morale provisoire pendant qu'on révoque en doute les principes spéculatifs (1). Règles de cette morale: 1o Garder la religion dans laquelle on est né; se conformer aux lois et coutumes des pays que l'on habite, et aux opinions des plus sages, sans engager sa liberté ; 2o Demeurer fidèle au plan de conduite qu'on se sera tracé; 3o Se persuader qu'on peut rester maître de soi, mais non de la fortune; 4o Consacrer sa vie à la culture de sa raison (2-7).

Ive PARTIE: Raisons qui prouvent l'existence de Dieu et de l'ame humaine. - Comme nos sens nous trompent, et que nous avons en songe les mêmes idées que pendant l'état de veille, on peut révoquer en doute le témoignage des sens ; mais douter c'est exister: je pense, donc je suis est le premier principe de la philosophie (1). Il est possible de supposer l'anéantissement du corps, et non celui de la pensée qui n'a besoin d'aucun lieu'

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