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MÉDITATIONS

MÉTAPHYSIQUES.

Les Méditations furent écrites en latin par Descartes et publiées pour la première fois en 1641. Six ans après, il en parut une traduction française, par M. le duc de Luynes, à laquelle Descartes fit quelques changemens et additions qui ne se trouvent pas dans le latin, et que nous aurons soin de signaler par des notes placées au bas des pages. La traduction a donc rang d'original, et c'est pour cela que nous l'avons donnée au lieu du texte latin.

AVERTISSEMENT

DE LA PREMIÈRE ÉDITION FRANÇAISE

DES MÉDITATIONS.

LE LIBRAIRE AU LECTEUR.

La satisfaction que je puis promettre à toutes les personnes d'esprit dans la lecture de ce livre, pour ce qui regarde l'auteur et les traducteurs, m'oblige à prendre garde plus soigneusement à contenter aussi le lecteur de ma part, de peur que toute sa disgrace ne tombe sur moi seul. Je tâche donc à le satisfaire, et par mon soin dans cette impression, et par ce petit éclaircissement dans lequel je le dois ici avertir de trois choses, qui sont de ma connaissance particulière, et qui serviront à la leur la première est quel a été le dessein de l'auteur lorsqu'il a publié cet ouvrage en latin; la seconde, comment et pourquoi il parait aujourd'hui traduit en français; et la troisième, quelle est la qualité de cette version.

I

:

1. Lorsque l'auteur, après avoir conçu ces Méditations dans son esprit, résolut d'en faire part au public, ce fut autant par la crainte d'étouffer la voix de la vérité qu'à dessein de la soumettre à l'épreuve de tous les doctes. A cet effet il leur voulut parler en leur langue et à leur mode, et renferma toutes ses pensées dans le latin et les termes de l'école. Son intention n'a point été frustrée, et son livre a été mis à la question dans tous les tribunaux de la philosophie: les objections jointes à ces Méditations le témoignent assez et montrent bien que les savans du siècle se sont donné la peine d'examiner ses propositions avec rigueur; ce n'est pas à moi de juger avec quel succès, puisque c'est moi qui les présente aux autres pour les en faire juges. Il me suffit de croire pour moi et d'assurer les autres que tant de grands hommes n'ont pu se choquer sans produire beaucoup de lumière.

2o Cependant ce livre passe des universités dans les palais des ! C'est-à-dire à la connaissance des personnes d'esprit.

grands, et tombe entre les mains d'une personne très éminente'. Après en avoir lu les Méditations et les avoir jugées dignes de sa mémoire, il prit la peine de les traduire en français, soit que par ce moyen il se voulût rendre plus propres et plus familières ces notions assez nouvelles, soit qu'il n'eût autre dessein que d'honorer l'auteur par une si bonne marque de son estime. Depuis, une autre personne2, aussi de mérite, n'a pas voulu laisser imparfait cet ouvrage si parfait, et, marchant sur les traces de ce seigneur, a mis en notre langue les Objections qui suivent les Méditations, avec les réponses qui les accompagnent 3, jugeant bien que, pour plusieurs personnes, le français ne rendrait pas ces Méditations plus intelligibles que le latin, si elles n'étaient accompagnées des Objections et de leurs réponses qui en sont comme les commentaires. L'auteur, ayant été averti de la bonne fortune des unes et des autres, a non-seulement consenti, mais aussi désiré et prié ces messieurs de trouver bon que leurs versions fussent imprimées, parce qu'il avait remarqué que ses Méditations avaient été accueillies et reçues avec quelque satisfaction par un plus grand nombre de ceux qui ne s'appliquent pas à la philosophie de l'école, que de ceux qui s'y appliquent. Ainsi, comme il avait donné sa première impression latine au désir de trouver des contredisans, il a cru devoir cette seconde française au favorable accueil de tant de personnes qui, goûtant déjà ses nouvelles pensées, semblaient désirer qu'on leur ôtât la langue et le goût de l'école pour les accommoder au leur.

3o On trouvera partout cette version assez juste, et si religieuse que jamais elle ne s'est écartée du sens de l'auteur. Je le pourrais assurer sur la seule connaissance que j'ai de la lumière de l'esprit des traducteurs, qui facilement n'auront pas pris le change; mais j'en ai encore une autre certitude plus authentique, qui est qu'ils ont (comme il était juste) réservé à l'auteur le droit de revue et de correction. Il en a usé, mais pour se corriger plutôt qu'eux et pour éclaircir seulement ses propres pensées. Je veux dire que, trouvant quelques endroits où il lui a semblé qu'il ne les avait pas rendues assez claires dans le latin pour toutes sortes de personnes, il les a voulu ici éclaircir par quelque petit changement que l'on reconnaîtra bientôt en conférant le français avec le latin, Ce qui a donné le plus de peine

4 M. le duc de Luynes.

2 Clerselier.

3 Voyez le second volume,

aux traducteurs dans tout cet ouvrage a été la rencontre de quantité de mots de l'art, qui, étant rudes et barbares dans le latin même, le sont beaucoup plus dans le français, qui est moins libre, moins hardi, et moins accoutumé à ces termes de l'école ; ils n'ont osé pourtant les ôter partout, parce qu'il leur eût fallu alors changer le sens, ce que leur défendait la qualité d'interprètes qu'ils avaient prise d'autre part, lorsque cette version a passé sous les yeux de l'auteur, il l'a trouvée si bonne qu'il n'en a voulu jamais changer le style, et s'en est toujours défendu par sa modestie et l'estime qu'il fait de ses traducteurs; de sorte que, par une déférence réciproque, les uns et les autres les ayant quelquefois laissés, il en est resté quelques-uns dans cet ouvrage.

J'ajouterais maintenant, s'il m'était permis, que, ce livre contenant des méditations fort libres, et qui peuvent même sembler extravagantes à ceux qui ne sont pas accoutumés aux spéculations de la métaphysique, il ne sera ni utile ni agréable aux lecteurs qui ne pourront appliquer leur esprit avec beaucoup d'attention à ce qu'ils lisent, ni s'abstenir d'en juger avant que de l'avoir assez examiné. Mais j'ai peur qu'on ne me reproche que je passe les bornes de mon métier, ou plutôt que je ne le sais guère, de mettre un si grand obstacle au débit de mon livre par cette large exception de tant de personnes à qui je ne l'estime pas propre. Je me tais donc et n'effarouche plus le monde: mais auparavant je me sens encore obligé d'avertir les lecteurs d'apporter beaucoup d'équité et de docilité à la lecture de ce livre; car s'ils viennent avec cette mauvaise humeur et cet esprit contrariant de quantité de personnes qui ne lisent que pour disputer, et qui faisant profession de chercher la vérité semblent avoir peur de la trouver, puisqu'au même moment qu'il leur en paraît quelque ombre ils tâchent de la combattre et de la détruire, ils n'en feront jamais ni profit ni jugement raisonnable. Il le faut lire sans prévention, sans précipitation, et à dessein de s'instruire; donnant d'abord à son auteur l'esprit d'écolier, pour prendre peu après celui de censeur. Cette méthode est si nécessaire pour cette lecture, que je la puis nommer la clef du livre, sans laquelle personne ne le saurait bien entendre.

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