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III. TRAITÉ.

DE LA POÉSIE PASTORALE ON a vu la Poésie dans le genre qui paroît le plus mince, le plus petit de tous les genres, qui est l'Apologue. Elle s'éleve içi de quelques degrés. Ce n'est plus l'Agneau, ni le Boeuf, ni la Chevre qui occupent la scene; ce sont les Chevriers mêmes et les Bergers qui s'entretiennent de ce qui les intéresse et qui les environne. Dans l'Apologue c'étoient des hommes sous le masque des animaux. Ici il n'est question ni de symbole, ni d'allégories. C'est la vérité

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DE LA POÉSIE PASTORALE. qui paroît elle-même sans détour et sans mystere. Et si quelquefois l'allégorie s'y trouve encore, c'est une finesse de l'artiste plutôt qu'une obligation de l'art, qui, en pareil cas, laisse au philosophe ou au courtisan, le soin d'envelopper sa pensée, selon qu'il le juge à propos; et ne donne des regles que pour le corps de l'allégorie qui est seul censé pastoral.

CHAPITRE I.

Définition de la Poésie Pastorale.

ON peut définir la Poésie Pastorale, une imitation de la vie champêtre représentée avec tous ses charmes possibles (a).

Si cette définition est juste, elle termine tout d'un coup la querelle qui s'est élevée entre les partisans de l'ancienne Pastorale, et ceux de la moderne. Il ne suffira point d'attacher quelques guirlandes de fleurs à un sujet, qui par lui même n'aura rien de champêtre. Il sera nécessaire de montrer la vie champêtre

(a) Voyez le L Traité, Section II, ch. X.

elle-même, ornée seulement des graces qu'elle peut recevoir.

On donne aussi aux pieces pastorales le nom d'Eglogue. Ex en grec, signifioit un recueil de pieces choisies, dans quelque genre que ce fût. On a jugé à propos de donner ce nom aux petits poëmes sur la vie champêtre, recueillis dans un même volume. Ainsi on a dit les Eglogues de Virgile, c'est-à-dire, le recueil de ses petits ouvrages sur la vie pastorale.

Quelquefois aussi on les a nommés Idylles. Idylle, en grec Eid

signifie une petite image, une peinture dans le genre gracieux et doux.

S'il y a quelque différence entre les Idylles et les Eglogues, elle est fort légere. Les Auteurs les confondent souvent. Cependant il semble que l'usage veut plus d'action et de mouvement dans l'Eglogue; et que dans l'Idylle, on se contente d'y trouver des images, des récits, ou des sentimens seulement.

Selon la définition que nous avons donnée, l'objet, ou la matiere de l'Eglogue, est le repos de la vie champêtre, ce qui l'accompagne, ce qui le suit. Ce repos renferme une juste abondance, une liberté parfaite, une douce gaieté. Il admet des passions modérées, qui

peuvent produire des plaintes, des chansons, des combats poétiques, des récits intéressans.

Les Bergeries sont à proprement parler, la peinture de l'âge d'or mis à la portée des hommes, et débarrassé de tout ce merveilleux hyperbolique dont les Poëtes en avoient chargé la description. C'est le regne de la liberté des plaisirs innocens, de la paix, de ces biens pour lesquels tous les hommes se sentent nés, quand leurs passions leur laissent quelques momens de silence pour se reconnoître. En un mot, c'est la retraite champêtre et riante d'un homme qui a le coeur simple, et en même-tems, délicat, et qui a trouvé le moyen de faire revenir pour lui eet heureux siecle.

Où parmi l'innocence

L'amour sans, tyrannie exerçoit sa puissance;
Quand le Ciel, libéral verspit à pleines mains
Tout ce dont l'abondance assouvit les humains ;
Et que le monde enfant n'avoit pour nourriture
Que les mets apprêtés par les mains de Nature.

Tout ce qui se passe à la campagne n'est donc point digne d'entrer dans l'Eglogue. On ne doit en prendre que ce qui est de nature à plaire ou à intéresser; par conséquent, il faut en exclure les grossiéretés, les choses dures, les menus

détails, qui ne font que des images oisives et muettes; en un mot, tout ce qui n'a rien de piquant, ni de doux. A plus forte raison; les événemens atroces et tragiques ne pourront y entrer un Berger qui s'étrangle à la porte de sa Bergere, n'est point un spectacle pastoral; parce que dans la vie des Bergers on ne doit point connoître les degrés des passions qui menent à de tels empor

temens.

L'Eglogue a-t-elle nécessairement une action? Il y a des Eglogues de tant de sortes qu'on ne peut repondre simplement à cette question. Si l'Eglogue est épique ou dramatique, c'est-à-dire, en récit ou en spectacle, elle a essentiellement une action. Si elle est de soi lyrique, ou qu'elle ne peigne que le sentiment, comme dans la seconde de Virgile, et dans la premiere de Segrais, il ne paroît pas qu'elle ait besoin d'action: une passion suffit, c'est-à-dire une passion pastorale, qui s'exhale en plaintes, en reproches modérés, si elle est triste; ou en expressions contraires, si c'est la joie, l'espérance, la tendresse, etc.

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