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volontiers notre aveu aux opérations merveilleuses que nous n'avons jamais vues, qu'aux actions toutes humaines. des héros, dont nous voyons tous les modeles, soit en grand, soit en petit, dans la société ou dans l'histoire. On en voit l'exemple dans le Paradis de Milton, qui est admirable dans son merveilleux, lorsqu'il reste dans les bornes des idées que nous avons par la foi. Quoi de plus beau que la description des ruses du Tentateur, que les entretiens des Génies qui président aux astres, aux fleuves, aux montagnes, que les discours du Fils de Dieu qui s'offre à son Pere pour racheter le genre humain, que les récits prophétiques de Raphaël qui trace aux yeux d'Adam l'histoire à venir de sa postérité ?

Mais si l'intervention des dieux est l'ence de l'Epopée, pourra-t-il y avoir des Epopées sur toutes sortes de sujets?

Qu'une action soit grande ou petite, noble ou non, il n'importe; si quelque divinité l'opere, c'est le sujet d'une Epopée. Peut-être ne sera-t-elle point héroïque; mais elle n'en sera pas moins épique de même que la Comédie est dramatique, sans avoir besoin pour cela

d'être

d'être héroïque, comme la Tragédie. Il est vrai, cependant, que si on fait intervenir sérieusement une divinité respectée, il est de la bienséance de lui donner un objet digne d'elle, selon nos idées, et de l'associer à des acteurs qui aient de l'élévation et de la dignité. Mais si le sujet est peu sérieux, s'il s'agit d'un Seau enlevé, ou d'un Chanoine qui se bat pour un lutrin; alors on pourra employer le ministere comique de quelque divinité païenne, ou de quelque génie allégorique, qui revêtu d'un pouvoir de supposition, tiendra lieu des machines surnaturelles. Ainsi à la rigueur on pourra distinguer deux sortes d'Epopées, toutes deux merveilleuses; l'une héroïque, et l'autre comique; de maniere cependant que le nom du genre soit donné par excellence à l'Epopée héroïque.

CHAPITRE IX.

Maniere d'employer le Merveilleux.

LE Merveilleux étant l'essence de l'Epopée, il y a deux choses à consi dérer sur ce point : comment et quand

on doit l'employer. Mais auparavant il faut distinguer deux sortes de divinités : les unes réelles, et les autres symboliques.

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Les premieres sont regardées comme des êtres physiques subsistans et agissans tels sont Jupiter, Cupidon, Neptune dans la fable. Les autres ne sont que des symbolés, des images qui représentent quelque passion, ou quelque partie de la nature, comme la Discorde, la Paix, etc.

Quelquefois les divinités réelles ne jouent qu'un rôle allégorique : ainsi on met Jupiter pour l'air, le ciel; Neptune pour la mer; Cupidon pour l'amour, etc. Les divinités allégoriques ne doivent étre présentées qu'une fois, et en passant; parce que ce n'est proprement qu'un tour poétique, et qu'il seroit ridicule de donner un rôle continu et toujours subsistant, à une figure oratoire. Ainsi, à moins qu'on ne personnifie distinctement la Discorde, comme Despréaux l'a fait dans son Lutrin; ce ne peut être qu'une machine sans mouvement, un être mort et froid dans un Poëme épique.

Quand les divinités réelles jouent des rôles mixtes, c'est-à-dire, tantôt réels, tantôt allégoriques; il faut que ce qui

est allégorique ait un sens littéral assez marqué pour être pris à la lettre. Ainsi quand Minerve arrête la fureur d'Achille qui veut percer Agamemnon; ce n'est autre chose qu'un retour de prudence et par conséquent l'action de Minerve n'est qu'une allégorie. Mais commé cette déesse doit agir réellement dans le reste du Poëme, on la peint ici comme un être subsistant. Elle saisit le héros par la chevelure. Il se retourne: il voit les yeux étincelans de la dééssé : il la reconnoît, l'entend, lui obéit; de sorte qu'on peut choisir également ou le réel, ou le symbolique.

Quand elles jouent des rôles réels, et tels qu'il convient à des agens, qu'on regarde comme des personnes la prarique des peintres peut nous aider à voir quelle doit être celle des Poëtes. Les Peintres dans les sujets mystiques, placent quelquefois les personnages cé festes dans Pair, quelquefois ils les mêlent avec les personnages terrestres. Appliquons ceci au merveilleux de l'Epopée sth ea! 9.3

Ou l'homme, qui sait en général que la divinite agit sur lui, ne sait aucun détail des ressorts surnaturels, ou il en sait une partie. Dans le premier cas, l'action des dieux est comme séparée de

celle des hommes. Les héros attribuent ce qui se fait aux causes naturelles, parce qu'ils n'en voient pas les ressorts surnaturels; et alors le spectacle de la machine n'est que pour le lecteur, Dans le second cas, les dieux se mêlent avec les hommes: ils prennent une figure humaine, ordinairement même un visage connu, parce qu'un inconnu causeroit, du trouble dans l'action qui fe fait. Le dieu agit alors comme un homme, et ne laisse appercevoir qu'il est diep que quand il disparoît.

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Il y a une troisieme maniere d'apérer, qui peut se rapporter à la seconde : c'est par les songes, les visions nocturnes, etc.

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Dans la premiere maniere les dieuxagissent en maîtres souverains, en arbibitres qui reglent entr'eux et despotiquement, le sort des hommes, c'est la plus brillante maniere de les présenter c'estainsi que Junon, Eole, Jupiter agissent dans le premier livre de l'Enéide.

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Dans la seconde, il y a moins de dignité il semble que les dieux fassent des fonctions subalternes, et qu'ils aient eux-mêmes besoin de s'accommoder à l'humanité pour conduire les hommes à leur gré c'est la maniere de Vénus et de Cupidon, dans le même livre.

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