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roissent que de loin à loin: les hommes en sont les acteurs subalternes, et en occupent presque toujours la scene: cela est juste; puisque le spectacle est fait pour les hommes.

Virgile a suivi ce plan autant qu'il l'a pu et s'il y a manqué de tems en tems, il paroît que ce n'a été que par crainte ou de se répéter lui-même, ou de n'être pas assez intéressant. Homere a été plus heureux. Il l'a suivi exactement, sur-tout dans son Iliade, qui est le traité le plus étendu que nous ayons de la théologie païenne.

Enfin cette maniere est la plus raisonnable qu'il y ait d'employer le merveilleux. On n'en voit même de raisonnable que celle-là. Car après tout, dès qu'on fait agir les dieux, ils sont ou agens supérieurs, ou agens inférieurs, ou causes premieres, on causes secondes: il n'y a point de milieu. Or de ces deux especes de rôles il ne peut y en avoir qu'une qui leur convienne.

CHAPITRE VIIL

Le Merveilleux est l'essence de l'Epopée. MAIS est-il essentiel que le Poëme épique soit merveilleux de cette sorte? Qu'est-ce qu'on entend par Poëme épique? Est-ce tout Poëme en forme de récit? Si cela est, la forme seule du récit constitue sa nature, La conjuration de Cinna, le martyre de Poliencte, toutes les Histoires, tous les sujets dramatiques mis en récit, seront autant de Poëmes épiques. Lucain, ni quelques autres, ne mériteront plus le reproche qu'on leur fait d'être historiens en vers. Il ne s'agit point ici de disputer des mots. Si on veut qu'il y ait des Epopées de cette derniere espece, il faut convenir au moins qu'elles sont d'une autre espece que celles d'Homere et de Virgile, et qu'il leur faut une autre définition et

un autre nom.

Est-ce l'unité d'action ? mais cette qualité est commune à toute action de Poëme c'est une loi à laquelle tous les arts de goût. se sont soumis , pour les

:

C'est peut-être la grandeur même et l'étendue de l'action. Mais qu'un homme soit grand ou petit, il n'en est ni plus ni moins un homme. ARO

est ni

Est-ce parce qu'elle est héroïque ? Toute Tragédie l'est de même que l'Epopée.

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Que reste-t-il donc pour caractériser l'essence de ce Poëme? L'intervention de la divinité: Per ambages Deorum- . que ministeria fabulosumque sententiarum tormentum præcipitandus est liber spiritus. C'est-à-dire, qu'on développera dans ce genre de Poésie tous les -ressorts secrets de la puissance divine sagissant sur les hommes, tous les noeuds invisibles, toutes les routes obscures les circuits, par où arrivent les destins, ambages. On fera mouvoir les divinités. On les intéressera dans l'action qui se fait par les hommes elles agiront en eux, avec eux, par eux, pour eux, Deorum ministeria. Enfin le génie du Poëte affranchi de la vérité, liber spiritus, se précipitera, s'élancera dans l'espace immense de la fiction, y prendra ses machines, ses forces mouvantes, tormentum fabulosum, pour opérer l'effet qu'il se propose.

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Pétrone ne s'en tient pas au précepte tiré d'après l'exemple d'Homere et de

Virgile: il donne lui-même un morceau de Poésie pour modele, et là il fast paroître le Dieu des enfers irritant la fortune comme les Romains, et l'engageant à les punir. Celle-ci consent, et prépare ses coups funestes.:

Isocrate, cet orateur dont les idées sont si justes, et si philosophiques, compare les éloges que font les Poëtes avec ceux des Orateurs. Les Poëtes ont, ditil, trois avantages sur nous. Premiérement, ils ont le droit de faire intervenir les agens surnaturels pour donner la lumiere et la force en tems et lieu, au héros qu'ils célebrent.: En second lieu, ils ont une infinité de priviléges, par rapport à l'élocution. Enfin, ils ont le charme du rythme et du metre. Isocrate regarde donc l'intervention de la divinité, comme un des plus grands avantages que les Poëtes aient sur les Orateurs comme une chose qui fait portion du beau dans, la Poésie par conséquent, il suppose qu'un Poëte vraiment Poëte, sachant user du pri vilége de son art, ne manquera point de l'employer.

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Quel est l'objet du Poëme épique ? Tout le monde convient que c'est d'ex citer l'admiration. On entend ici par

l'ame qui se sent remplir d'idées plus grandes et d'affections plus nobles que celles qu'elle avoit auparavant : c'est un étonnement mêlé de respect à la vue de grandes choses, et des puissances qui les ont produites. Il ne s'agit pas de prouver ici que l'admiration n'est -pas un sentiment désagréable en-sci. Cela peut être quand les objets qu'on nous donne à admirer sont trop près de nous; nous ne voulons pas recevoir des présens qui nous humilient. Mais si ce sont des vertus ou des talens d'un autre genre, ou d'un autre siecle que le nôtre; alors, loin que notre admiration soit accompagnée de peine, elle devient une preuve intérieure que nous nous donnons à nous-mêmes de nos lumieres et de notre jugement, à laquelle se joint le plaisir délicat de rendre justice au mérite, et de penser comme les grands hommes. La générosité, la force,la bravoure, le conrage invincible, la sagesse profonde des héros de l'antiquité, sont pour nous un spectacle doux et flatteur, qu'aucun mélange désagréable ne trouble ni n'affoiblit. Qu'à ces moyens d'élever notre ame se joigne le merveilleux, c'est-àdire, l'influence spéciale de la divinité sur la conduite du héros que nous ad

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