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CHAPITRE IV.

Des Episodes

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ON entend en général par Episodes,

certaines petites actions subordonnées à l'action principale et qui semblent jouer autour d'elle pour délasser le lecteur par une variété étrangere à celle du sujet même. Car tout lecteur aime à changer d'objet, au moins pour un moment. Telle est l'aventure de Cacus racontée par Evandre, celle d'Acheménide, cellé de Nise et d'Euriale. Ces: morceaux pourroient être détachés que l'Enéide n'en seroit pas moins un Poëme épique.

Le terme d'Episode dans son origine; signifioit les récits dont on entrelaçoit! les chants lyriques faits en l'honneur des Dieux. Ces récits étoient d'abord tirés de l'histoire de la divinité, même qu'on célébroit. Ensuite, on les tira indifféremment de toutes les autres fables, avec une telle liberté, qu'ils n'avoient. souvent nul rapport les uns, avec les autres. Bientôt on s'avisa de les lier ensemble, de maniere que les différentes parties étant réunies, ils faisoient un

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corps de récit suivi; ce fut, pour le dire en passant, ce qui fit naître la Tragédie. Il arriva alors qu'on prit plus de plaisir à ces récits qu'on n'en prenoit aux chants des hymnes, et que le récit qui avoit été épisodique, devint sujet principal. Réciproquement, le chant des hymines, qui auparavant avoit été l'objet principal, devint épisodique. Cepen dant ces deux parties retinrent leur premier nom, au moins dans le spectacle mêlé de chants. On y appela toujours épisodes les récits, à cause de leur origine et le chant des hymnes retint le nom de choeur. C'est ce qui nous fait trouver de la confusion et de l'embarras dans ce que les Anciens ont écrit sur le Choeur et les Episodes.

Mais le terme d'Episode n'ayant changé de sens que dans les drames hors de ce genre, il doit être pris dans son sens originaire. Et comme alors il "signifioit une piece d'attachee, il doit signifier encore la même chose dans l'Epopée. Ainsi, aujourd'hui sur-tout, que ce mot est rendu par l'usage même à sa premiere signification, nous pren drons le terme d'épisode pour signifer une partie qui aide à l'action principale; mais qui pourroit s'en détacher, sans l'empêcher d'arriver à sa fiá.

Les Episodes, dans le Poëme épique, doivent être amenés par les circonstan ces. Il y a des liens invisibles qui attachent entr'elles une infinité de choses. Il ne s'agit que de faire sentir ces liaisons. Enée va demander du secours à Evandre. Il le trouve faisant un sacrifice; il étoit naturel qu'Evandre lui racontât l'origine de ce sacrifice; d'autant plusi que c'est l'action d'un héros, d'Hercule, qui a purgé le pays d'un scélérat qui en troubloit la tranquillité, et que d'ailleurs il parle à un héros.

L'Episode doit être court, à proportion que sa matiere est éloignée du sujet : tel est celui dont nous venons de parler. La raison est qu'en pareil cas, ce n'est qu'un délassement accordé en passant, pour renouveler l'esprit plutôt que pour le distraire.

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Il doit offrir des objets différens de ceux qui le précedent et qui le suivent. La raison en est sensible: on ne l'emploie que pour la variété. Si après une description de combats, on présentoit un Episode où il fût parlé de guerre; ce seroit aller contre le but même de l'Episode..

Il doit être cependant du ton général de l'ouvrage. Virgile ne décrit point les . amours de Didon comme ceux de Gallus; l'une étoit reine, l'autre berger.

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CHAPITRE V.

L'action Épique sera intéressante.

IL

y a deux manieres d'intéresser Pune qui tient à la nature de l'action et de l'objet, l'autre qui dépend de la nature des obstacles à surmonter la premiere nous émeut, c'est le touchant; la seconde pique notre curiosité, c'est le singulier.

T

: Le touchant renferme plusieurs sortes d'intérêts. L'intérêt de nation: un Romain s'intéresse à l'entreprise d'Enée parce qu'il est Romain. L'intérêt de réligion un Chrétien s'intéresse à l'entreprise de Godefroi, qui veut délivrer le tombeau de Jésus-Christ. L'intérêt de la nature ou de l'humanité: tout' honime s'intéresse aux malheurs d'un autre homme.

Ces trois sortes d'intérêts doivent se réunir dans l'action du Poëme épique qui est un ouvrage de goût, et en même tems un ouvrage politique, historique théologique et moral; comme on le verra ci-après. L'Iliade et l'Odyssée les réunissoient tous trois pour les Grecs,

et l'Enéide de même pour les Romains. Aujourd'hui nous ne trouvons dans ces Peemes que le seul intérêt de l'humanité, qui est le seul qui vive autant que le genre humain, et le seul et le seul par consé quent qui doive par sa nature assurer à un Poëme l'immortalité... ??

Et c'est en quoi Homere a fait, ce semble, beaucoup mieux que Virgile. Il n'a point pris, comme lui, l'établis sement d'un Prince dans quelque partie du monde. Que nous importe qu'Enée ait débarqué sur les bords du Tibre, et qu'il ait enlevé un Royaume à quelqu'un qui y prétendoit? Le Poëte Grec prend son sujet dans le coeur humain : c'est une passion qui s'enflamme, qui sort, par une action vive, et qui cause les plus grands ravage. Toute son Iliade contient l'histoire de la colere d'un hé-. ros; de même que le quatrieme livre de l'Enéïde renferme l'histoire de l'amour d'une Princesse. Par cette raison,

peut dire que le sujet de l'Iliade est, par rapport à l'intérêt, autant au-dessus de celui de l'Enéide, que l'intérêt du quatrieme livre de l'Enéïde est au-dessus de celui des autres livres de ce Poëme. J'aime bien mieux voir le tableau de l'amitié dans Nise et Euriale, que les

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