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elle invente tout ce qu'elle raconté, et pe connoît d'autres bornes que celles dé la possibilité.

Quand l'Histoire a rendu son témoi gnage, tout est fait pour elle, on ne lui demande rien au-delà. On veut au contraire que l'Epopée charme le lecteur; qu'elle excite son admiration qu'elle occupe en même tems la raison, l'imagination l'esprit qu'elle touche les cœurs, étonne les sens, et fasse éprouver à l'ame une suite de situations délicieuses, qui ne soient interrompues quelques instans, que pour se renouveler avec plus de vivacité.

L'Histoire présente les faits sans songer à plaire par la singularité des causes, ou des moyens. C'est le portrait des tems et des hommes; par conséquent l'image de l'inconstance et du caprice de mille variations, qui semblent l'ouvrage du hasard et de la fortune. L'Epopée ne raconte qu'une action, et non plusieurs. Cette action est essentiellement intéressante : ses parties sont concertées ses causes sont vraisemblables: ses acteurs ont des caracteres marqués, des mœurs soutenues: c'est un tout, entier, proportionné, ordonné, parfaitement lié dans toutes ses parties. ! Enfin l'Histoire ne montre que les

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causes naturelles. Elle marche, ses mé→ moires et ses dates à la main: ou si; guidée par la Philosophie, elle va quel quefois dans le coeur des hommes, chercher les principes secrets des événemens que le vulgaire attribue à d'autres cau ses; jamais elle ne remonte au-delà des forces ni de la prudence humaine. L'Epopée est le récit d'une Muse, c'est-àdire, d'une intelligence céleste, laquelle a vu non-seulement le jeu de toutes les causes naturelles, mais encore l'action des causes surnaturelles, qui préparent les ressorts humains, qui leur donnent l'impulsion et la direction, pour produire l'action qui est l'objet du Poëme.

Ainsi dans ce premier coup-d'œil on voit, d'un côté dans l'Histoire, un récit des actions, et l'exposition de leurs causes naturelles. De l'autre côté, on voit dans l'Epopée, aussi un récit, mais une seule action et non plusieurs, et outre les causes naturelles, l'influence des causes surnaturelles.

Je définirai donc l'Histoire, le récit véritable d'actions naturelles. Et par opposition, je définirai l'Epopée, le poétique d'une action merveilleuse.

Comme le terme poétique renferme tout ce qui tient à l'imitation de la Nature, on a dans ces quatre mots, la dif

férence de l'Epopée avec les Romans, qui sont au-delà du vraisemblable; avec 'Histoire, qui ne va pas jusqu'au merveilleux; avec le Dramatique, qui n'est pas un récit; avec les autres petits poëmes dont les sujets n'ont rien de noble, ni d'héroïque.

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Tout ce que nous dirons sur ce genre de poésie, se réduit à développer cette définition, et à la vérifier par la conduite des Poetes qui ont mérité le suffrage de tous les siecles.

CHAPITRE II.

Matiere de l'Epopée

LA matiere de l'Épopée n'est pas une

habitude, une passion: c'est une action. Une habitude n'a rien de sensible par elle-même : ce n'est qu'une facilité d'agir bien ou mal, selon qu'elle est vertu, ou vice; mais facilité, qui ne se montre que lorsqu'on agit. Un artisan endormi a en lui l'habitude et la science de son art. Une habitude ne peut donc être la matiere d'un récit : cela est évident. Il en est de même d'une passion. Toute

passion est un mouvement du coeur, plus ou moins vif, qui nous porte à agir. Ce n'est qu'un ressort tendu, et prêt à produire l'action.

Qu'est-ce qu'une action? Nous l'avons dit ci-dessus (a): c'est une entreprise qui se fait avec choix et dessein. La liaison, et les différences de ces trois choses deviendront sensibles dans un exemple.

L'aîné des Horaces aime la gloire de Rome: c'est en lui une habitude. Sa soeur Camille verse des pleurs sur sa victoire qui fait la gloire de Rome : il en devient furieux c'est en lui un mouvement de passion. Il la tue dans sa fureur : voilà l'action. L'habitude est le principe éloigné; l'objet qui frappe l'ame, anime ce principe; le principe animé se porte à l'action, avec plus ou moins de vivacité, selon qu'il a été plus ou moins vivement frappé.

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CHAPITRE III.

Qualités de l'action Epique.

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Elle doit être une.

TOUTE OUTE action poétique doit être une. Deux actions qui marcheroient ensemble si elles intéressoient également partageroient le coeur, et rendroient ses mouvemens incertains. Si elles n'étoient pas également intéressantes, l'une donneroit du dégoût pour l'autre. Ainsi tout le monde a conclu pour l'unité..

La totalité des actions d'un héros, ce qu'on appelle une vie, ne peut donc être la matiere d'un Poëme régulier.

Il y en a plusieurs raisons: 1. Une vie est un corps trop étendu, pour qu'on puisse l'embrasser d'une seule vue. On ne peut en saisir ni les rapports, ni les proportions, ni par conséquent en voir la beauté. Les Peintres qui se sont avisés de tracer sur un niême champ plu sieurs actions du même héros, n'ont fait que renfermer plusieurs tableaux dans an-même cadre.

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