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Que n'employons-nous mieux ce souverain pouvoir ? Que ne régnons-nous sur nous-mêmes ?...... Hélas! on n'a plus rien à craindre,

Les vices n'ont plus de censeurs,

Le monde n'ést rempli que de lâches flatteurs ;
Savoir vivre, c'est savoir feindre.

Ruisseau, ce n'est plus que chez vous

Qu'on trouve encor de la franchise:

On y voit la laideur ou la beauté qu'en rous

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La bizarre nature a mise :

Aucun défaut ne s'y déguise

Aux Rois comme aux Bergers, vous les reprochez tous
Aussi ne consulte-t-on guere

De vos tranquilles eaux le fidelle crystal :
On évite de même un ami trop sincere ;

Ce déplorable goût est le goût général.
Les leçons font-rougir: personne ne les souffre ::
Le fourbe veut paroître homme de probité.
Enfin dans cet horrible gouffre.

De misere et de vanité,

Je me perds et plus j'envisage La foiblesse de l'homme et sa malignité, Et moins de la Divinité,

En lui je reconnois l'image.

Madame Deshoulieres finit en disant au Ruisseau de fuir vers la mer, tandis que nous courons vers la mort. C'est la même pensée qui est déjà au commencement de la piece.

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IL n'en est point des ouvrages de l'Art comme de ceux de la Nature. Celle-ci, constante et invariable dans ses productions ramene toujours les mêmes propriétés dans la même espece. Le Créateur a tracé ses plans d'une maniere fixe, et il a préparé des moyens: qui se portent directement à la fin qui

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leur est marquée : il y a en lui une sagesse infinie, et une puissauce sans bornes. Il n'en est pas ainsi de l'Artiste qui se propose d'imiter la Nature. Ne la connoissant que très-imparfaitement, il est d'abord embarrassé du choix des objets, et de la maniere de les combiner dans sa composition; il a de la peine à se faire une idée nette de la chose même qu'il veut exécuter; parce que son esprit est borné dans ses vues. En second lieu, quand, après bien des efforts, il est parvenu à se former cette idée, ce plan qu'il veut exécuter; le choix et l'emploi des matériaux lui causent un nouvel embarras et un nouveau travail 9 plus pénible encore que le premier. Ainsi, faute de lumiere et de force, l'espece s'altere, s'abâtardit dans ses mains. Le sujet prend une figure contraire à la premiere intention de l'Auteur, parce que les moyens ne se prêtent point à l'impulsion qu'il veut leur donner ils résistent, se croisent, se choquent mutuellement et se détournentdu but. Un rayon de lumiere brille; l'Artiste le suit: un moment après, le fond lui manque, il tombe dans le vuide.. Il jette des fondemens, parce qu'il a vu en gros de quoi élever l'édifice: le calcul fait avec soin, il découvre l'erreur, et

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reconnoît l'impossibilité de l'entreprise Il n'étoit pas possible que des ouvra→ ges conçus si péniblement, nés avec tant de travaux et de douleurs, eussent ce caractere d'uniformité et de régularité qui se trouve dans la Nature, et qui est le sceau d'une intelligence et d'une force, qui se joue, même en faisant des prodiges. Il a fallu que les hommes, qui vouloient faire à leur maniere, les fonctions de Créateur, suivissent en partie la matiere même sur laquelle ils travailloient; parce qu'ils ne pouvoient la réduire à leur gré, ni l'asservir à leur point de vue. Quand Dieu opere, il appelle la matiere; elle se montre, et obéit au plan. Quand l'Artiste travaille, la matiere indépendante de ses vues et de ses idées, le mene plutôt qu'elle ne le suit ou elle ne le suit qu'à regret, et par conséquent de mauvaise grace. Ainsi chaque sujet doit se faire à lui-même une forme et une nature particuliere, et qui fasse de chaque ouvrage comme une espece à part. Cela se trouve dans presque toutes

Poésies. Les Tragédies, les Comédies, les Epopées sont toutes si différentes les unes des autres, elles sont composées d'élémens si disparates, il y a tant d'alliage même dans ces élémens,

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qu'il ne reste quelquefois de commun dans la même espece, que le nom. Les temps, les lieux, les moeurs la religion, le génie de l'Auteur, le tour de son imagination, ses passions habituelles, enfin la configuration même du sujet, le point où il le prend, tout cela emporte tellement sur la nature du genre, qu'il ne seroit presque point reconnoissable sans le secours du titre qu'on lui donne. Les regles mêmes qui sont comme des modeles métaphysiques, des protocoles tracés par les maîtres présentent qu'un plan vague et indéterminé. Quel Artiste est jamais venu à bout d'y réduire exactement aucun sujet? Il faut qu'elles plient presque partout, et qu'elles prennent la forme convenable au sujet qu'elles devroient régler. D'où il résulte que les genres, dans les arts d'imitation, ont dû nécessairement s'altérer, se dégrader, et former des especes bâtardes. C'est ce qui met tant de confusion dans les idées qu'on veut se faire des différens genres de poésie.

Tous les arts d'imitation ne sont pas néanmoins également sujets à cet inconvénient. La peinture, par exemple, ayant un objet précis, qui est la nature

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