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idée de toutes les autres. On y voit un naturel assaisonné, une naïveté piquante, des images choisies, des sentimens doux et tendres, des vers aisés, coulans, harmonieux, mais d'une harmonie semblable au murmure des ruisseaux. Les expressions sont simples, quelquefois riches, toujours vraies. Il y a cependant quelques endroits où on voudroit plus d'ordre, plus de clarté, quelquefois même plus de délicatesse et d'assaisonnement. D'ailleurs, il y porte quelquefois des objets qui rappellent les embarras, les chaînes, les devoirs, les vices, et même les vertus de la ville. Ce qui n'empêche pas que ce Poëte qui ne marche point toujours d'un pas égal avec Théocrite, ne le suive au moins de fort près.

Calpurnius et Némesianus se distinguerent par la Poésie pastorale sous l'empire de Dioclétien. L'un étoit Sicilien, l'autre naquit à Carthage. Après qu'on a lu Virgile, on trouve chez eux peu de ce moëlleux qui fait l'ame de l'Eglogue. Ils ont de tems en tems des images gracieuses, des vers heureux; mais ils n'ont rien de cette verve pastorale qu'inspiroit la Muse de Théocrite.

Voilà à-peu-près l'histoire de l'Eglogue, à ne la considérer que du côté de

ses caracteres : voilà quels furent ses degrés et ses différences chez les Anciens. Ceux des modernes qui sont entrés dans la même carriere, n'ont fait que représenter dans d'autres tems les différens caracteres des premiers Auteurs.

Il faut cependant en excepter les Italiens, qui lui ont donné un caractere si nouveau, qu'elle ne se reconnoît plus chez eux. Elle est étincelante de pointes, de jeux de mots, de pensées qui revien nent sur elles-mêmes, et qui se tournent en antitheses. C'est M. de Fontenelle qui porte ce jugement du Guarini, du Bonarelli, du Cavalier Marin. Selon lui, l'Aminte du Tasse est ce que l'Italie moderne a de meilleur dans le genre pastoral; et il insinue que c'est parce qu'il ne s'est pas tant livré aux pointes de son pays. Cependant, soit l'avantage particulier de la Langue Italienne, soit le caractere même de ceux qui ont écrit, on trouve dans leurs Eglogues de la douceur, et de cette mollesse qui appartient à la pastorale. Quel dommage que l'esprit l'ait gâtée par ses ornemens!

Nous ne parlerons point des Eglogues que Ronsard nous a données. Réglant tout, il brouilla tout dans ce genre, aussi-bien que dans le langage françois. Il fait parler ses Bergers

comme on

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parle au village. On sait les vers de Des préaux.

On diroit que Ronsard sur ses pipeaux rustiques
Vient encor frédonner ses Idylles gothiques,

Et changer, sans respect de l'oreille et du son, [Lycidas en Pierrot, et Philis en Toinon.

En effet, il appelle Henri II Henriot; Charles IX Carlin, Catherine de Médicis Catin; et c'est presque tout le pastoral qu'il y a dans ses Eglogues.

CHAPITRE VIII

Eglogues Françoises.

RACAN.

HONORAT de Bueil, Marquis de Racan, qui mourut en 1670, et qui fut disciple de Malherbe, releva en France la gloire de l'Eglogue. Il avoit un génie fécond; par conséquent il ne lui manquoit rien pour être Berger. Aussi retrouve-t-on dans ses Bergeries l'esprit de Théocrite et de Virgile, et il y a des morceaux qui peuvent être compares avec ce que ces deux Poëtes ont de plus délicat. Nous ne citerons de lui

que ses Stances adressées à Malherbe, où il peint le repos et la simplicité de la vie champêtre.

STANCES.

Tircis, il faut penser à faire la retraite:

La course de nos jours est plus qu'à demi faite :
L'âge insensiblement nous conduit à la mort.
Nous avons assez vu sur la mer de ce monde
Errer au gré des vents notre nef-vagabonde :
11 est tems de jouir des délices du port.

Les trois premiers vers de cette premiere stance sont simples et coulans, sans figures marquées. Les trois autres sont habillés d'une allégorie noble et majestueuse. La chute est douce.

Le bien de la fortune est un bien périssable:
Quand on bâtit sur elle, on bâtit sur le sable :
Plus on est élevé, plus on court de dangers :
Les grands pins sont en butte aux coups de la tempête,
Et la rage des vents brise plutôt le faîte

Des palais de nos Rois, que le toit des Bergers.

Celle-ci commence par une maxime philosophique. Les mots bien, bâtit, plus, qui sont répétés dans les premier, second et troisieme vers,. leur donnent une certaine aisance pastorale. C'est toujours la même pensée qui est répétée dans tous ces vers. Dans le premier, elle

est exprimée naturellement; dans le se cond, elle l'est avec une métaphore qui n'en change que la couleur ; dans le troisieme, elle reparoît encore, mais ayec une addition qui la déguise, et dans les trois derniers elle se retrouve encore; mais elle est enveloppée de deux allégo. ries majestueuses qui se succedent. Cette abondance est ce qu'on appelle en terme d'art, amplification. Nous allons nous arrêter un moment pour expliquer ceque c'est.

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Il y a cette différence entre le Logicien et l'Orateur ou le Poëte ? que le premier ne parlant que pour instruire l'esprit, peut se contenter de proposer simplement ce qu'il veut faire entendre et s'il le fait avec clarté et précision, une seule fois, c'est assez. Au lieu que l'Orateur ou le Poëte, ayant non-seulement à éclairer l'esprit, mais encore à toucher, à émouvoir, à forcer le coeur il ne lui suffit pas de proposer une fois. les choses; il a besoin d'appuyer, c'està-dire, de rester long-tems sur le même. objet, d'en frapper l'esprit à plusieurs reprises, de repasser plusieurs fois dans les mêmes traits, pour faire l'impression profonde. Et pour y réussir, sans causer de dégoût, il habille différemment l'ob-. jet, et le représente plusieurs fois avec

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