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à suivre. Plus tard, les Souvenirs de Félicie, par Mme de Genlis; le Journal de Collé, les OEuvres de Chamfort, les Correspondances de la Harpe, de Favart et de Grimm, parurent successivement. Je lus avec plaisir tous ces ouvrages, sans que cette lecture me fit rien changer à mon plan. Si le mien leur ressemble par quelques endroits, il en diffère aussi par beaucoup d'autres.

En 1814, je fus au moment de faire paraître une partie des matériaux que j'avais, et qui se sont considérablement augmentés depuis. Je ne voulais donner qu'un essai, un aperçu général, et, par conséquent, un triage; cela me fit changer, bouleverser, et déranger souvent l'ordre chronologique. A cela s'étaient joints des déménagemens, des voyages, la perte de plusieurs manuscrits, et enfin l'existence d'un journal, où je mis pêle-mêle plusieurs de ces notes sous des noms différens. J'en prêtai une partie à l'Hermite de la Montagne-Noire: j'en attribuai une seconde à un

» et je t'avoue qu'il n'y a rien de si désolant que de voir une jolie » chose, qu'on a dite, mourir dans l'oreille d'un sot qui l'entend. » - Il faut rendre à César ce qui est à César, et restituer à Montesquieu ce qui lui appartient.

D. Lebrun, qui était ordinairement plus heureux dans ses épigrammes, a trop délayé la même idée dans la pièce suivante :

Amis! gardez-vous de lire

A tout auditeur falot,

Qui, dans son bruyant délire,
Mèle au son de votre lyre

Sa marotte ou son grelot.

Qu'un trait saillant, un bon mot,

D'Apollon ait le suffrage;

Savez-vous quel est son lot?

C'est d'aller faire naufrage

Contre l'oreille d'un sot.

autre Hermite, qui signait le Petit Vieillard; de sorte que la dispersion fut complète. Voici même ce que je fis écrire par ce dernier, le 6 août 1821 :

M. l'Hermite ou frère Hermite.

« J'ai été plus de trois minutes en suspens pour la suscription de ma lettre; mais j'ai bien vite pensé que vous n'étiez pas du nombre de ces désœuvrés méthodistes, qui tiennent beaucoup aux vains protocoles de l'étiquette, et j'ai passé outre. — Depuis que votre association littéraire existe et qu'elle manifeste son existence par la publication de l'Anecdotique, frère Hermite, je lis, avec un vif intérêt, vos Billevesées. Je devrais peut-être en être fâché et jaloux; vous avez été, sans le vouloir, sur mes brisées. Moi aussi, dans ma jeunesse, j'ai recueilli des observations et des anecdotes, que je comptais publier sous le titre de Souvenirs. Il y en a de tous les genres, et tels qu'on devait naturellement en rencontrer sous la plume de quelqu'un qui n'était pas homme de lettres, mais capitaine de dragons dans le régiment de la Reine, de cette Reine que nous aimions beaucoup, de cette adorable Marie-Antoinette, dont la belle vie fut sacrifiée par les descamisados, par les sans-culottes, par les carbonari de 1793... Pardon, cher Hermite, de ce triste souvenir, qui m'arrache souvent des larmes. Je voulais vous parler de toute autre chose, et je reviens à mes moutons, c'est-à-dire, à mes cahiers. Il y a long-temps qu'ils existent, qu'ils sont tout-à-fait clos. Je n'y ai plus rien ajouté depuis que des revers de fortune, et une foule de perfidies et de trahisons m'ont forcé de quitter le monde. C'est un chapitre de mon histoire que je pourrai vous confier plus tard.- Un beau jour j'allai me réfugier au milieu des rochers et des ours, dans un site extrêmement pittoresque, sur le revers d'une montagne, d'où je voyais serpenter à flots tumultueux les eaux rapides de l'Arriége. C'était alors que j'aurais pu signer, à peu près comme vous, l'Hermite des Pyrénées. J'étais vraiment Hermite, je ne voulais plus voir personne...- Une

jeune beauté, un ange qui avait pris en pitié mes longs malheurs et qui me faisait chercher depuis long-temps, m'y découvrit enfin. Mon cœur était resté le même; il avait murmuré, mais il ne s'était pas fermé; je fus guéri de ma misanthropie; je retrouvai encore quelques jours heureux, et je parvins, sans m'en apercevoir, jusqu'à l'extrême vieillesse, où je me trouve à présent arrivé.-Je jette quelquefois les yeux, avec plaisir, sur ces anciens manuscrits. Je veux faire plus, et, à votre exemple, j'en publierai volontiers une partie dans l'Anecdotique. J'aperçois dans la préface une phrase qu'il faut que je vous cite; elle fut écrite pendant mon séjour dans l'hermitage que j'avais choisi : « Je n'ai pas tou» jours été hermite. Je me plaisais dans la société, j'y allais >> constamment, j'y étais bien accueilli; tous les hommes » étaient prévenans, toutes les femmes aimables : j'étais bien » jeune!... C'est à cette époque que j'entrepris ce recueil. » Mais, dès que je me fus exilé, je le regardai comme fini. Je n'aurais pu y mettre que des pensés; et quelles pensées ! elles étaient un peu farouches. Les hommes m'avaient fait tant de mal!....... »

- « Mais, en vérité, plus j'y réfléchis, plus je trouve que vous avez fait une redoutable entreprise ( écrivait à son tour, à l'Editeur, l'autre Hermite); si un journaliste observateur est revêtu d'une magistrature tout-à-fait indépendante, ses écrits n'en sont pas moins, suivant l'expression de Despréaux, les esclaves-nés de quiconque les achète; et, dès-lors, gare les caquets et les sarcasmes!..... L'un s'effarouche de ce qu'il entend, et quelquefois de ce qu'il n'entend pas; l'autre trouve des allusions dans des phrases où il n'y en eut jamais. Celui-ci prête à l'écrivain des arrières-pensées qui n'approchérent jamais de sa loyale franchise; celui-là voudrait lui faire rogner sa toise à sa petite mesure..... Je vous plains et je vous condamne presque, quoique, par amitié pour vous, je sois accouru à votre aide et sois venu partager e même danger. Avez-vous connu Chamfort? Je ne le pense pas; vous étiez trop jeune quand il mourut. Il était

extrêmement caustique et très-morose. Je me souviens qu'un jour où on lui demandait pourquoi il ne donnait plus rien au public, il prit la plume et écrivit une foule de réponses mordantes. En voici une partie : je finirai par là ma trop longue missive.

» Si je garde le silence (disait ce philosophe bourru), c'est que le public me paraît avoir le comble du mauvais goût et la rage du dénigrement. — C'est que je ne dois pas troubler mon repos, parce que la compagnie prétend qu'il faut divertir la compagnie. — C'est que le public en use avec les gens de lettres, comme les racoleurs du pont Saint-Michel avec ceux qu'ils enrôlent, enivrés le premier jour, dix écus, et des coups de bâton le reste de leur vie. C'est qu'on me presse de travailler, par la même raison que, quand on se met à sa fenêtre, on souhaite de voir passer dans les rues des singes ou des meneurs d'ours.-C'est que j'ai à travailler, et que les succès perdent du temps (1). — C'est que je ne voudrais pas faire comme les gens de lettres, qui ressemblent à des ânes, ruant et se battant devant un râtelier vide. C'est que jamais, comme dit Bâcon, on n'a vu marcher ensemble la gloire et le repos; et il ajoutait : : - - Parce que le public ne s'intéresse qu'aux succès qu'il n'estime pas : Parce que je resterais à moitié chemin de la gloire de Jeannot (2). — Parce que j'en suis à ne plus vouloir plaire qu'à qui me ressemble...»Certes, tout Hermite que je suis, je ne suis pas aussi sauvage que cet homme-là.

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L'HERMITE DE LA MONTAGNE-NOIRE. >>

Une autre fois, je lui faisais répondre à quelques propos qui avaient circulė:

(1) Cela me rappelle ce vers ironique de Dorat:

Travaillez vos succès bien plus que vos ouvrages.

(2) Jeannot, ou les Battus paient l'amende, farce dont Paris et les provinces furent si engoués, qu'aucune pièce de Corneille n'a jamais joui d'un succès aussi fou !

A Monsieur l'Editeur (1821).

«Par ma barbe, mon cher collègue, il paraît que vos compatriotes sont de fins railleurs : vous me marquez qu'on ne me croit pas si Hermite que ma signature l'annonce; qu'on assure que j'habite, en bonne et aimable compagnie, le château de...., perché sur une des crêtes de la montagne, du côté de.... — Non, certes, non, il n'en est pas ainsi. Ceux qui en doutent, ne m'ont pas fait l'honneur de venir visiter mon hermitage, qui ne sert guère d'asile qu'à quelques renards et à des corbeaux de passage. Il est fort ancien; mais il était inhabité et presque en ruines quand j'en ai pris possession en l'acquérant; la Révolution ayant fait disparaître mon prédécesseur, homme très-instruit et très-habile dans la connaissance des... simples. Je n'en sais pas tant que lui sur ce point, bien s'en faut. Je vous raconterai quelque jour ma triste et aventureuse histoire, que vous avez un si ardent désir de connaître; je vous dirai par quels malheurs inouïs, j'ai été poussé, il y a sept ans, à chercher la solitude du désert, et comment, en quittant Paris, cette Babylone moderne, j'ai été conduit dans cette âpre retraite. Je me contenterai aujourd'hui de vous dire qu'à la bataille de Castelnaudary, qui eut lieu en 1632, il y avait un fils bâtard d'Henri IV, appelé le comte de Moret, qui s'y battit avec courage. Quelques écrivains prétendent qu'il fut tué dans le combat; d'autres assurent qu'il ne fut que blessé, que quelques àmes charitables le sauvèrent, qu'échappé à la mort presque par miracle, il se fit Hermite. Ces derniers ont d'autant plus raison, que j'habite précisément l'Hermitage qu'il fit ériger sur cette colline, près de la vallée........ (1) »

(1) Dans le Mercure galant du mois d'août 1699, on annonça qu'Urbain Coustelier, libraire, venait de publier la Vie d'un Solitaire inconnu, mort en odeur de sainteté, le 24 décembre 1691. « Ce livre >> fait tant de bruit, qu'il en a peu paru, depuis plusieurs années, >> qui aient été recherchés du public avec plus d'empressement. Ce » solitaire a vécu dans le désert pendant plus de soixante ans, et

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