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intervalles de repos, même de longues interruptions, et, en outre, par diverses circonstances, il s'est perdu quelques cahiers. Il y aura donc quelques lacunes, et tant mieux! sans quoi, il en serait résulté un ouvrage immense, puisque, avec un laborieux travail de chaque jour, j'aurais eu à publier 100 volumes! Surtout si j'avais conservé sans relâche l'ardeur que j'éprouvais quand je le commençai à l'âge de 17 ans. Cette faute, si c'en est une, ne change rien au genre de l'ouvrage, qui n'en reste pas moins toujours complet; ressemblant aux comédies qu'on appelle pièces à tiroir, il se compose de scènes différentes, qui souvent n'ont aucun rapport entre elles. On peut en ajouter ou en retrancher quelquesunes sans que l'ensemble de la comédie paraisse y perdre quelque chose. C'est comme dans la jolie pièce de Molière contre les Fâcheux entre et sort qui veut, sur la scène, au gré du caprice ou de l'à-propos. — Il en est de même de ce livre. Aussi, pour avoir, dans mes relations avec les personnes les plus illustres, recueilli tant d'anecdotes et tant de faits, je ne prétends pas avoir produit un ouvrage en forme. Toutes ces lignes, si disparates et si décousues, sont filles de la circonstance et de l'occasion. J'ai laissé errer souvent mes pensées et ma plume. Tantôt j'ai rappelé une action; tantôt j'ai consigné un usage, un bon mot, une saillie, un éclaircissement historique; quelquefois j'ai extrait de mes lectures les morceaux les plus curieux; d'autres fois j'ai fait des remarques sur des erreurs et des méprises; dans d'autres rencontres, j'ai seulement transcrit des lettres inédites ou des morceaux peu connus; tâchant toujours de varier ces simples notes, et de les rendre aussi agréables qu'il m'était possible. Mais un mérite que j'aurais voulu particulièrement donner à ces petits Mémoires littéraires, n'a pas dépendu de moi; car pour rendre un ouvrage instructif (et c'est ce que

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je voudrais qu'il fût), il faudrait être moins ignorant; et j'avoue ingénûment que je le suis peut-être trop. Est-ce ma faute, ou celle de mon siècle? Le temps des savans, pareils aux Casaubon, aux Heinsius, aux Peiresc, aux Saumaise, aux Scaliger, aux P. Petau, semble presque passé (1). Nos anciens poètes, les Malherbe, les Charleval, les Maynard, les Malleville, les Bertaut, les Pélisson, les Charpentier, les Chapelain, et jusqu'aux Cotin, aux Perrin, aux Perrault, aux Cassaigne, dont Boileau châtia la médiocrité, avaient infiniment de connaissances et d'érudition: tandis qu'aujourd'hui, à quelques exceptions près, les hommes de lettres ont si peu de vrai savoir, qu'ils ne savent pas même assez de choses pour en venir au point de se douter qu'ils ne savent presque rien (1825).

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Et ces savantes fadaises étaient la connaissance des langues, celle des mœurs et des usages des anciens peuples, les détails de la chronologie et une critique exacte et judicieuse sur les faits. On l'avouera, il fallait bien être le caustique Voltaire pour traiter si cavalièrement des savans et des sciences si utiles.

TOM. I

2

PRÉFACE.

(1837.)

Bon citoyen, travaille pour la France, Et du public attends ta récompense.

- Qui? le public? ce fantôme inconstant, Monstre à cent voix, Cerbère dévorant, Qui flatte et mord..... >>

(VOLTAIRE.)

« Combien faut-il de sots pour faire un public?

(CHAMFORT.)

LE public est un sot animal (l'aveu m'échappe) (1); il aime à être dupe, ou du moins il se laisse traiter volontiers en dupe. Il exista sous Louis XIV un écrivain élé

(1) Le maréchal de la Feuillade, celui qui fit faire le monument de la place des Victoires; ayant demandé à M. de Fourcy, prévôt des marchands, qu'il fit abattre quelques maisons de plus, celui-ci objecta que la ville était trop obérée pour faire de nouvelles acquisitions, et, d'ailleurs, ajouta-t-il, que dirait le public? -Ah! le public reprit le maréchal, en goguenardant, le public! vous êtes bien bon d'y songer. — Quelqu'un disait : La postérité n'est pas autre chose qu'un public qui succède à un autre, et vous voyez ce que c'est que le public d'à-présent.

gant et facile dont il s'engoua; on recherchait ses plus frivoles productions, et voilà aussitôt les libraires adressant à tous les auteurs ces paroles remarquables : Faites-nous du Saint-Evremont. Saint-Evremont était enterré lorsque ce bénévole public s'éprit, avec juste raison, d'un autre ouvrage; et les vendeurs de livres s'empressèrent de répéter aux prosateurs de leur connaissance Faites-nous des Lettres Persanes. Comme s'il était facile de contrefaire Montesquieu. Faites-nous du génie !....- Aujourd'hui ce n'est pas du génie que l'on demande; on ne demande pas même du Romantisme dont on a à satiété, tant sa vogue a été courte. Mais parce que les Mémoires offrent une lecture à la fois agréable, utile et piquante; 'parce qu'on a lu quelques Mémoires brillans et consciencieux, qui ont paru mériter de fixer l'attention des curieux, des amateurs et de tous ceux qui aiment à s'instruire, le public et les libraires disent: Faites-nous des Mémoires. -Oui, messieurs, on vous en fera; oui, messieurs, il s'en établira un magasin et une fabrique, et vous aurez les Mémoires d'une Contemporaine, les Mémoires d'une Femme de qr alité, les Mémoires d'un Pair de France, où il n'y aura ni vérité, ni mesure, ni bonne foi, ni justice. On vous donnera des histoires où il n'y aura rien d'historique ; on vous donnera même les horribles révélations de l'exécuteur des hautes-œuvres, les Mémoires du fameux Sanson, ou les hideuses confidences d'un échappé des bagnes, et les hauts-faits de Vidoc, et les crimes de ses adversaires; et les temps arriveront où il n'y aura plus ni honte, ni pudeur, ni honneur. Le Public semble approuver tout dans ce genre, et il lui pleuvra des sottises de toutes sortes, jusqu'à ce que sa fantaisie de Mémoires soit épuisée, pour faire place à une nouvelle mode.

Aussi je serais fâché qu'on pùt croire que c'est

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