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Ce journal (l'Anecdotique) dura assez long-temps. J'en déguisais la rédaction sous diverses signatures; malheureusement quelques articles déplurent, ce qui m'obligea à faire un aveu, que j'intitulai :

Ma Confession. -30 juillet 1823. -« Je ne sais par quel bizarre caprice, disais-je, est entré dans l'esprit de quelques personnes, le désir de vouloir se reconnaître à des traits ou à des peintures qui n'avaient aucun rapport à elles, et qui existaient depuis long-temps. Mais enfin, il m'est revenu qu'elles en étaient mécontentes, et que, dans leur aveugle colère, elles attribuaient à d'autres des fautes dont ils n'étaient pas coupables. Puisqu'ils ont été accusés, c'est un devoir pour moi de me faire connaître. Je le déclare donc l'Editeur, le Solitaire, le Spectateur, Isid. de ***, L. de Rochefort, Adrien Leroux, l'Hermite de la Montagne-Noire, le Petit Vieillard, ne sont qu'une même personne, et cette personne....

Cet homme-là, sire, c'était moi-même.

(CL. MAROT.)

« Oui, Moi, comme disait Médée à Jason; ou, plus fièrement encore, comme disait l'Aumônier du dieu Mars, dans sa prétendue Ambassade à Varsovie; MOI, vous dis-je, qui n'ai voulu offenser aucun honnête homme dans mes écrits; ce n'est jamais mon intention, et bien moins encore de garder l'anonyme en pareille rencontre. Mon usage n'est point de décliner le combat, s'il faut combattre.

» Que tous ces noms différens que j'ai mis en jeu ne me fassent pas accuser d'avoir plusieurs visages. Il s'en faut de beaucoup, grâce au Ciel! Je n'en ai même pas deux, comme

>> parce qu'il ressemblait parfaitement à Henri IV dans tous les » traits du visage, de l'esprit et du cœur, on a cru qu'il était le » comte de More (Moret), fils naturel de ce prince. On voit, dans >> ce livre, les raisons qu'on a eu de le croire, et comme elles sont >> palpables, on ne doit pas s'étonner du grand succès de cet ou>> vrage. »>

le bon Janus. Mais ces déguisemens sont autorisés en littérature. C'est un moyen dont on se sert pour surprendre et attacher l'attention des lecteurs. Les Steele, les Addisson, les Marivaux, dont le genre me plaît infiniment, en usèrent toujours de même dans leurs feuilles. Ai-je eu tort de suivre leur exemple? Si je suis parvenu, de temps en temps, à égayer leurs loisirs, ne serai-je pas absous par mes lecteurs? Ce sera là toute mon excuse.

>> Quelques personnes m'ont blâmé de montrer trop de franchise; d'autres (et celles-là m'ont paru difficiles) me reprochaient de n'en avoir pas assez. Il me semble pourtant que je n'ai pas trop l'habitude de hacher, de morceler, de déguiser mes sentimens. Ils le pensaient, sans doute, ceux-là qui, placés au faîte du pouvoir, m'ont fait signifier que je parlais trop librement dans mes opinions libres. Ils voulaient en connaître l'auteur; j'ai dû les satisfaire; je n'ai pas hésité à me nommer. Nous sommes tous placés sous la main de la Providence; il en est de notre sort ce qu'elle veut : que pourrait contre elle le vain pouvoir des hommes?... D'ailleurs, celui qui sait que la mort est le but où nous sommes forcés d'atteindre, marche vers ce but, sans le désirer ni le craindre. Les hommes ne peuvent pas pis que la mort, et la vérité survit à tout. Elle survit également à ses défenseurs, à ses oppresseurs. Nous passons; elle seule demeure...

>> Puisque j'ai entrepris ma confession, il faut que je l'achève. Quelqu'un me marquait assez récemment, de Paris : On pense que votre Journal ne vous procurera pas les avantages que vous croyez en retirer.—Je répondis: « Je n'ai cru en » retirer aucun. Tout l'avantage que j'ai voulu en avoir, a été » de me distraire d'un funeste événement qui me minait et » qui me mine encore; de pareilles blessures ne se cicatrisent » jamais! La perte d'un fils unique, âgé de dix-sept ans, et » déjà l'exemple et le modèle de tous ses condisciples... >> Sans cette occupation inopinée, qui me procura l'occasion d'être utile à un honnête libraire, ami des lettres et père de famille, en rédigeant gratuitement le journal dont il venait

d'obtenir le brevet, j'aurais peut-être succombé à ma douleur paternelle!... Je n'ai jamais fait des bonnes et belles-lettres une spéculation, ni de mes expressions, un système. Je n'appartiens à aucun parti, à aucune faction; je n'appartiens qu'à mon roi et à mon pays. Ils seront toujours l'objet de mes écrits, comme de mes actions, et quelles que puissent être les prétentions qu'on témoigne, là-haut ou là-bas (à bon entendeur, salut!), je sais ce que je dois à l'indépendance de mon caractère, et je ne pense pas avoir besoin de tuteur, ni pour mes opinions, ni pour mes liaisons, ni pour ma conduite.

» DE LABOUÏSSE-ROCHEFORT (1823). »

En revoyant mon manuscrit, j'ai retranché quelques paragraphes qui pouvaient être de peu d'intérêt, et surtout ceux qui auraient compromis ou blessé des personnes vivantes. J'ai tû du moins leurs noms, quand il n'a point été consacré par des faits antérieurs, ou quand j'ai pensé qu'on ne pouvait pas les reconnaître. Je n'ai pas voulu ressembler à ce voyageur (M. Kotzebue), qui a payé les prévenances par des calomnies, les attentions, par des sarcasmes, et la générosité, par de l'ingratitude; ni à cet autre allemand (M. Reikchard), qui n'est venu en France que pour dire, à son retour chez lui, du mal de tous ceux qui l'avaient accueilli avec politesse. Certaine dame anglaise en a fait autant...; mais taisons-nous sur les dames; un trop grand nombre d'hommes les déprécient; une exception ne fait pas règle; et l'on ne me verra jamais me ranger parmi leurs ingrats détracteurs.

Ce recueil, quoiqu'il renferme des morceaux assez gais, ne sera pas non plus une chronique scandaleuse, comme les Mémoires secrets de Bachaumont, la Correspondance secrète de Mettra, ou l'Espion Anglais. Je ne vise pas au triste honneur d'être célèbre dans les académies de débauche. Dussé-je être moins piquant dans

mon style, je renonce volontiers à de pareils suffrages. Dans la révision que je viens de faire de mon ouvrage, sans rien changer au sens des idées (attendu que mes sentimens et mes opinions n'ont jamais changé), j'ai pourtant quelquefois ajouté de petits détails et des dates, fruits de mes études et de mes recherches. Il m'a paru inutile de laisser informe ces documens, lorsqu'en intercalant quelques mots, il m'était possible de les compléter. Ainsi donc j'ai ajouté ou supprimé divers passages et j'en ai corrigé quelques autres. Je dois avouer toutefois que je n'ai pas poussé trop loin mon scrupule sur cet article; voulant laisser aux premières années de ces Souvenirs, cette physionomie de jeunesse qui en fera excuser l'extrême franchise. Aussi, malgré ces correctio..s, mes Souvenirs sont encore les mêmes; quelques transpositions réparées, quelques additions ajoutées ne changent pas un ouvrage. Il est du devoir d'un auteur de faire toujours disparaitre toutes les fautes qu'il découvre; quelle que soit son exactitude sur ce point, il en reste toujours trop qui échappent à sa faiblesse ou à son goût. Chaque talent a ses limites, et je sens que je dois plus que personne me défier des bornes du mien.

Je n'ai pas été très sévère pour un grand nombre de pièces fugitives qui couraient manuscrites à cette époque. Il en est plusieurs qui peuvent être connues aujourd'hui (1), mais elles ne l'étaient pas alors; en général, elles sont très courtes, et les jolis vers se lisent et relisent toujours avec plaisir.

Qui n'aime pas les vers a l'esprit sec et lourd,

(1) Comme aussi quelques-uns de mes fragmens ont été publiés à différentes époques, par diverses feuilles, sans qu'elles prissent le soin d'avouer l'emprunt et la dette.

a écrit Voltaire; et j'espère que l'esprit de mes lecteurs ne voudra pas mériter ces deux épithètes.

Le célèbre J.-J. Rousseau, dans un langage digne du plus fameux cynique de l'antiquité (Diogène), se moquant un peu du public, lui disait assez rondement : « Qu'il ne s'était jamais proposé que de se plaire à lui>> même dans ses ouvrages, et que personne ne savait >> mieux que lui comment ils devaient être faits pour >> remplir cet objet. »Voilà qui est fort bien et très philosophique. Mais moi, qui n'ai pas l'honneur d'être philosophe à la manière de J.-J. Rousseau, je dois être plus réservé, plus modeste, plus craintif que lui, en me livrant au public. Je n'oserais pas même répondre lestement, comme le chevalier de Lorenzi, gentilhomme toscan, qui, ayant dit par inadvertance quelque sottise, reçut de madame Geoffrin, cette semonce: Mais, chevalier, vous radotez; c'est pis que jamais. Que voulezvous, madame? (répliqua-t-il naïvement) la vie est si courte!-Hélas! courte ou non, voilà mon livre; qu'on le lise et le juge.

Dans les Souvenirs que je hasarde de faire paraître, je ne réponds pas d'avoir été constamment fidèle à la chronologie. J'écrivais ordinairement mes notes dans de petits livres de poche; cependant il en est un grand nombre que j'avais laissées sur des feuilles éparses, et que j'ai été obligé de classer de mémoire. Je puis donc m'être. trompé dans leur date. Cela n'importe guères, et que ce soit en 1800 ou en 1801 qu'on m'ait appris telle ou telle autre histoire, l'essentiel est qu'elle soit amusante pour mes lecteurs. On a toujours tort quand on déplaît; et je nignore pas que ce que les Français pardonnent le moins, c'est l'ennui.

Je dois avouer encore que, dans mes pérégrinations anecdotiques, il y a eu des momens de langueur, des

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