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dit Bossuet, si, averti par mes cheveux blancs, >> du compte que j'ai à rendre de mon adminis>>tration, je réserve au troupeau que je dois » nourrir de la parole de la vie, les restes d'une >> voix qui tombe, et d'une ardeur qui s'éteint ». On a vu quels prodiges le siècle de Louis XIV a produits dans tous les genres de littérature. Il reste à faire connoître les causes politiques et morales qui ont influé sur le génie des écrivains de ce siècle.

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A la mort de Mazarin, lorsque Louis XIV vougouverner par lui-même, les circonstances ne pouvoient être plus favorables pour perfectionner la langue. La plus grande partie des chefs-d'œuvres de Corneille avoit paru; et ceux qui les avoient admirés étoient dignes de sentir l'harmonie des vers de Racine. L'État étoit tranquille dans l'intérieur; et le jeune monarque, qui méditoit déja ses grands projets, avoit jugé, comme François ro, que le règne le plus brillant s'obscurcit et s'éclipse dans la postérité, s'il n'est pas célébré par les écrivains contemporains. Colbert fut donc chargé d'encourager les gens de lettres. Ce ministre, peu instruit en littérature, s'adressa d'abord à Chapelain, auteur d'une grande réputation, et qui n'avoit pas encore publié ce poëme barbare dont le nom seul rap

pelle les Satires de Boileau. Chapelain eut la bonne foi d'accueillir Racine, jeune encore, ou plutôt son défaut de goût l'empêcha d'entrevoir la carrière que devoit remplir l'auteur de la Nymphe de la Seine. Qui le croiroit? les premiers vers de Racine furent corrigés par Chapelain.

Tout, dans ce siècle, contribuoit à exciter le génie des auteurs. La magnificence des fêtes que donnoit le Monarque, les monumens qu'il élevoit, l'éclat de ses victoires dont la gloire rejaillissoit sur toute la nation, le nom françois respecté par l'étranger, le goût décidé du Prince pour les ouvrages d'esprit, devoient, en forçant l'admiration générale, enflammer l'émulation de ceux qui avoient le sentiment de leurs forces, et produire ces efforts du travail et de l'imagination qui répandirenten si peu de temps, dans l'Europe entière, la langue de Racine et de Pascal.

L'inégalité des conditions, si nécessaire dans tout État policé, ne fut point un obstacle pour ceux que leur génie appeloit, soit à de grandes places, soit aux faveurs du prince. Les dignités de l'Église furent la récompense de l'éloquence chrétienne. Mascaron fut évêque, Fléchier, né dans l'obscurité, eut le même rang; Bossuet

joignit à l'épiscopat l'honneur de travailler à l'éducation du Dauphin ; Bourdaloue, qui, par des vœux indissolubles, s'étoit interdit toute prétention aux honneurs ecclésiastiques, fut admis à la Cour, et recherché dans la meilleure compagnie de la capitale. Racine, Boileau Molière, jouirent de toutes les faveurs qu'un homme de lettres peut espérer. Quels chefsd'œuvres ne devoient pas produire la nature de ces récompenses, et l'heureux discernement dans le choix de ceux qui en étoient honorés! Remarquez bien qu'aucun de ces hommes célèbres ne sortit de son état. Racine et Boileau furent toujours poëtes; et, suivant les lois de l'Église, qui méconnoît pour ses ministres, les distinctions humaines, les orateurs de la chaire furent seuls appelés à des dignités qui paroissoient étrangères à leur naissance.

Les mœurs, quoiqu'un peu galantes dans les commencemens de ce règne fameux, eurent constamment toute la sévérité extérieure. Jamais le libertinage ne se montra à découvert. On ne se fit pas, comme sous le règne suivant, une gloire de la séduction. On n'éleva point les trophées déshonorans d'une corruption profonde: on ne regarda point comme un honneur d'être le fléau de la tranquillité des pères et des époux.

Le bon goût, la perfection du langage étoient intimement liés à cette décence des mœurs. On

sait ce qu'ils ont perdu, lorsque le vice n'a plus connu de frein.

On a beaucoup vanté, dans le dix-huitième siècle, la fameuse Ninon de l'Enclos. Sa société a été regardée comme un modèle de bon ton et de décence. Les philosophes modernes ont même accordé à cette femme perdue, un rang parmi les personnages célèbres du siècle de Louis XIV. Sans doute il devoit régner chez elle plus de retenue que dans les orgies de la régence. Mais sa maison n'étoit fréquentée que par des hommes; et quoi qu'en puissent dire des mémoires infidèles, jamais les mères ne lui ont présenté leurs filles, et n'ont engagé leurs fils à prendre chez elle des leçons de bon ton. « Qu'elle » est dangereuse cette Ninon, dit madame de

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Sévigné. Son zèle pour pervertir les jeunes » gens, est pareil à celui d'un certain M. de » Saint-Germain que nous avons vu à Livri. » Ninon disoit l'autre jour à votre frère qu'il » étoit une vraie citrouille fricassée dans de la neige. Vous voyez ce que c'est que de voir » la bonne compagnie; on apprend mille gen>> tillesses >>.

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On

n'accusera point madame de Sévigné

d'être

d'être une prude et une pédante. Elle donne ici une idée de la société de mademoiselle de l'Enclos.

Pour justifier cette dernière, on s'est beaucoup appuyé sur une liaison que madame de Maintenon, alors femme de Scarron, avoit eue avec elle. Voltaire même a fait un dialogue où il suppose que madame de Maintenon engage Ninon à venir à la Cour et à se faire dévote. Les témoignages historiques, et sur-tout la réputation toujours intacte de mademoiselle d'Aubigné, avant et depuis son premier mariage, prouvent que cette prétendue liaison se réduisoit à ce que ces deux femmes s'étoient rencontrées dans le monde, avant que mademoiselle de l'Enclos eût abjuré toutes les vertus de son sexe.

Les admirateurs de Ninon croient encore que sa maison étoit l'asile du bonheur, qu'il y régnoit une aisance de mœurs, une familiarité piquante qui faisoient le charme de sa société. Comment n'ont-ils pas réfléchi que ses nombreuses intrigues, les rivalités de ses amans, le soin de leur cacher ses infidélités, ont dû faire le tourment de sa vie? Il faut l'entendre elle-même pour se convaincre que cette femme, si heureuse en apparence, avoit eu l'existence la plus horrible, et tirer cette réflexion morale, qu'une femme ne

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