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Je l'ai lu plusieurs fois : mais j'ose bien vous dire
Que je n'y trouve pas le moindre mot pour rire :
Quelque bruit qu'il ait fait, Corneille a fort baissé,
Et la cour, cependant, l'a bien récompensé.
Boisrobert se retranche au genre épistolaire.
C'est un digne prélat. J'estimais fort son frère.
J'ai relu mille fois ses contes ramassés,

Et n'ai rien vu de tel dans les siècles passés.
Nous ne voyons plus rien du docte Ménardière.
Colletet m'a fait boire avecque Furetière,
J'ai fumé quelquefois avecque Saint-Amant.
N'achèverez-vous point votre joli roman?
Et n'avez-vous point fait de portrait à la mode?
Je tiens le bout-rimé plus malaisé que l'ode.
J'ai fait pour le théâtre, en l'espace d'un an,
La mort de Ravaillac, l'ânesse de Balam,
La reine Brunehaut, Marc-Aurèle et Faustine,
Lusignan, autrement l'infante Mellusine :
L'héroïne sera moitié femme et poisson,
Et cela surprendra d'une étrange façon.
Baledens m'a promis place en l'académie :
Je ne gâterai rien dans cette compagnie,
Je suis marchand mêlé, je sais de tout un peu,
Et tout ce que j'écris n'est qu'esprit et que feu.
J'entreprends un travail pour le clergé de France,
Dont j'attends une belle et grande récompense:
C'est, mais n'en dites rien, les conciles en vers,
Le plus hardi dessein qui soit dans l'univers.
Je n'en suis pas encore au troisième concile,
Et j'ai déjà des vers plus de quatre cent mille.
Pour diversifier, je les fais inégaux,

Et j'y fais dominer surtout les madrigaux;
Ainsi je mêlerai le plaisant à l'utile.

L'ouvrage fait déjà grand bruit en cette ville,
Et sans ce fâcheux bruit, dont je suis enragé,
J'eusse agréablement surpris tout le clergé, »>

A ce dernier discours du plus grand fou de France,
Je m'éclatai de rire, et rompis le silence.

« Vous riez? me dit-il. C'est l'ordinaire effet
Que sur tous mes amis mon entreprise a fait :
Mais vous savez qu'il est divers motifs de rire.
On rit quand on se moque, on rit quand on admire;
Et je gagerais bien que votre bon esprit

Admire mon dessein, dans le temps qu'il en rit.

Votre dessein, monsieur, si je m'y puis connaître,
Est grand, lui repartis-je, autant qu'il le peut être;
Jamais homme vivant n'a fait un tel dessein :
Mais il vous faut du temps pour le conduire à fin.
- Que dites-vous? j'y joins l'histoire universelle.
A moi cent mille vers sont une bagatelle:

Je conduirai l'ouvrage à sa perfection,

Dans deux ans, au plus tard. - Et pour l'impression? Lui dis-je. Ah! pour l'honneur du royaume de France Doutez-vous que la cour n'en fasse la dépense?

Plus de vingt partisans, si le roi le permet,

Prendront, quand je voudrai, cette affaire à forfait. >>
Il entra là-dessus des dames dans ma chambre;
Le gant de Martial, l'éventail chargé d'ambre
Exhalèrent dans l'air une excellente odeur :
Mon pauvre bel esprit en changea de couleur.

« Je suis bien malheureux qu'à l'abord de ces belles,
Leur parfum m'ait causé des syncopes mortelles,
Me dit-il quoiqu'en tout je sois un vrai Dion,
Les parfums me font peur comme à feu Bullion;
Sans cela j'aurais lu, devant ces belles dames,
Sur les noces du roi cinq cents épithalames.

Je m'en vais donc, monsieur; un trésorier de Tours
M'attend à Luxembourg pour me mener au cours :
Je vous reviendrai voir demain à la même heure,
Et vous visiterai tous les jours, ou je meure. »
Il sortit là-dessus: sa canne s'accrocha
Dans l'un de ses canons, et mon homme broncha.

« Ce n'est rien, » cria-t-il, et se mit dans la rue.
Et moi, je meurs de peur, ou la peste me tue,
Que ce diable d'auteur, dont j'ai perdu le nom,
Promettant de me voir, n'ait parlé tout de bon.
Tous les fous me font peur; j'ai pour eux de la haine,
Par la raison, peut-être, ô cher ami d'Elbène,
Que poëtes et fous sont d'un même métier,
Et qu'entre compétents il n'est point de quartier.
Celui-ci que mes vers viennent de te dépeindre,
S'il me revisitait, me donnerait à craindre.
En certains temps, peut-être est-il fou furieux;
Il peut me trouver seul et m'arracher les yeux.
J'ai cru que la nouvelle et naïve peinture
De cette véritable et grotesque aventure
Ferait dans ton esprit quelque diversion

De huit chevaux perdus, cruelle affliction!

Il vaudrait mieux pour toi, dans le temps où nous sommes, Au lieu de huit chevaux d'avoir perdu huit hommes. J'eusse dit huit laquais mais tu sais, cher ami,

:

Qu'en rimant on ne dit les choses qu'à demi,
Ou que l'on dit parfois plus que l'on ne veut dire:
Sur nous la rime exerce un tyrannique empire.
A-t-on fait un vers fort? elle en fait faire un bas,
Et fait dire au rimeur tout ce qu'il ne veut pas.
Ce soir, si nous joignons nos deux soupers ensemble,
Je possède un jambon si tendre, que je tremble
Que les valets friands, quittes pour le nier,
N'osent, pendant la nuit, me le diminuer;
Et je possède encore une énorme saucisse,
Où Bologne la grasse a dispensé l'épice

D'un tel tempérament, que son goût, quoique haut,
Quoique roide de poivre, est pourtant tel qu'il faut.
C'est le présent d'un duc des bords de la Garonne,
Qui ne soutient pas mal la bravoure gasconne.

EPITAPHE

Celui qui ci maintenant dort
Fit plus de pitié que d'envie,
Et souffrit mille fois la mort
Avant que de perdre la vie.
Passant, ne fais ici de bruit,
Prends garde qu'aucun ne l'éveille;
Car voici la première nuit

Que le pauvre Scarron sommeille.

BLOT

Guy-Joli a dit dans ses Mémoires après avoir parlé de l'un des plus sérieux épisodes de la Fronde : « On ne laissoit pourtant pas de se resjouir à Paris il ne se passoit pas de jour qu'il ne se fit quelque chanson nouvelle contre le cardinal Mazarin, la plupart fort spirituelles et de la façon de M. de Marigny.» Celles qui n'étaient pas de Marigny, avaient pour auteur le coupletier dont nous allons vous parler, Blot, baron de Chauvigny. Ce sont ses seules œuvres, c'est sa seule gloire.

Il était d'une bonne maison de l'Auvergne, et il jouait déjà un certain rôle à Paris du temps de Richelieu, dont, avec Bautru et Boisrobert, il était un des amuseurs. Le cardinal n'aimait pas seulement son esprit, il paraît avoir eu confiance en son bon sens. Quand la mort du Père Joseph l'eût laissé sans conseiller, c'est, entre autres personnes, à Blot qu'il s'adressa pour lui trouver quelqu'un qui pût lui tenir lieu de l'éminence grise, et c'est de sa main qu'il prit certain pauvre cadet d'Église, à peine connu alors par quelques négociations assez habilement ménagées entre la France et le Piémont. Ce petit prêtre, devenu plus tard le cardinal Mazarin, oublia son passé misérable et Blot en même temps. Blot se vengea par des chansons. Personne ne se lança

1 La date de la naissance de ce poëte est incertaine, et ce n'est que par induction et d'une manière approximative que nous pouvons lui assigner sa place dans notre recueil. Ses rapports avec le cardinal de Richelieu nous autorisent à supposer qu'il était, à l'époque où éclata la Fronde (1647), dans toute la force de l'âge; en d'autres termes, qu'il naquit vers 1610. (Note de l'éditeur.)

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