Page images
PDF
EPUB

LES LONGUES VEILLES

L'astre qui fait le jour dort dans le sein des eaux. Un silence profond règne en toutes les plaines, Et les zéphyres seuls, par de faibles haleines, D'un petit tremblement agitent les rameaux.

On n'oit plus dans les bois les concerts des oiseaux, Et l'aimable enchanteur des soucis et des peines, Le sommeil, au doux bruit des paisibles fontaines, Charme de ses douceurs et bergers et troupeaux.

Je suis seul qui, pressé d'une douleur cruelle Vois fuir loin de mes yeux le sommeil que j'appelle; Les veilles m'ont conduit au bord du monument.

A quel joug la nature en l'homme est asservie!
Il faut pour être heureux perdre le sentiment,
Et mourir chaque nuit pour conserver sa vie.

D'ACEILLY

1604 -1673

Charles Nodier, dans la Collection des petits classiques français, a fait revivre le nom et les poésies du chevalier d'Aceilly. Le nom tombait dans l'oubli; les poésies étaient dispersées dans les recueils de Barbin et de La Monnoye, ou perdues dans des compilations indigestes de pièces galantes. A peine trouvait-on, dans quelques bibliothèques, la seconde édition de ces œuvres. Pour l'édition originale, imprimée en 4667 à Paris, sous les yeux de l'auteur, et que nous avons découverte après de longues recherches, Charles Nodier la déclarait introuvable. Ce fut donc avec la passion du bibliophile qu'il édita ce livre rare; il en fit un petit chef-d'œuvre où rien ne fut oublié : choix du papier, beauté des caractères, grâce des encadrements. Mais, obéissant à la pureté de son goût plus encore qu'à son amour pour les livres oubliés, il ne put se résoudre à publier toutes les épigrammes du chevalier d'Aceilly; il omit les plus faibles et les moins délicates; s'il ne satisfit pas ainsi ceux qui veulent avoir jusqu'au moindre mot d'un écrivain, son édition en fut plus gracieuse, plus agréable à la lecture, et plus propre à faire revivre le poëte.

Ce qui, chez d'Aceilly, frappait Charles Nodier, ce qui lui donne en effet une physionomie distincte, c'est une observation fine unie à la naïveté de l'expression. Ses vers, au premier aspect, n'ont que de la bonhomie, et l'on craint à chaque instant d'y voir quelque négligence; il faut les étudier de plus près. On les trouve fermes et pleins, sans longueurs, sans remplissages. Ils n'ont ni les vibrations, ni la rapidité du trait qui vole; ils manquent de mouvement et d'éclat; mais ils vont droit au but.

Plus d'une fois, d'Aceilly fut accusé de reproduire ou d'imiter les

épigrammes des anciens; il répondit spirituellement et avec succès à ses adversaires. Leur querelle était injuste. Il est impossible en effet de le comparer à Martial, dont l'épigramme violente, âcre, personnelle, obscène, irrite ou surprend le lecteur, et le domine avec une force presque sauvage. Il n'est pas moins impossible de le comparer aux épigrammatistes français qui l'ont précédé. Regnier, Sigognes, Théophile, s'ils n'égalent pas toujours la vigueur du poëte latin, luttent avec lui d'emportement et d'impudence. D'Aceilly plus calme, plaisante, joue et raille, mais ne s'irrite jamais; soit qu'il manque de force, ou qu'il ne veuille pas s'en servir, il ne fait pas de blessures. Souvent son épigramme s'adresse à des vices, à des ridicules généraux; ailleurs, elle se change en maxime. Il ménage toujours les personnes; il fait connaître ceux qu'il loue; il cache le nom qu'on attend au-dessous de ses portraits satiriques. Ses plaisanteries sont quelquefois un peu vives, mais elles ne vont pas au-delà de ce libertinage de l'esprit que tous les âges classiques ont autorisé, et s'arrêtent à la limite du bon ton. On y sent toujours le gentilhomme, le protégé de Colbert, l'habitué de la cour de Louis XIV.

Il se respectait en effet lui-même autant qu'il respectait les autres. Bien que sa noblesse ne fût pas très-ancienne, et remontât au plus aux lettres patentes de Charles VII - s'il est vrai, comme on l'assure, qu'il descendait de la famille de Jeanne d'Arc, il eut une délicate pudeur pour cette noble origine, et ne voulut pas attacher à son véritable nom le souvenir de quelques bouffonneries triviales, qui se mêlent à ses petites pièces presque toujours fines et délicates. C'est ainsi que, pour les lecteurs de son temps et pour la postérité, le chevalier de Cailly devint, par un anagramme, le chevalier d'Aceilly. S'il faut l'en croire, il poussa plus loin ce sentiment de timide réserve, et il ne publia ses poésies que lorsqu'il y fut forcé par ses amis, gens d'honneur et beaux esprits. Mais il ne veut pas qu'on se trompe sur l'importance qu'il y attache. Ce sont des choses qui lui ont si peu coûté, que quelque disgrâce qui puisse leur arriver, elle ne passera pas jusqu'à lui. Il assure << qu'il les a trouvées dans son esprit par hasard, sans y fouiller, qu'il les a écrites en se divertissant, que les vers se faisaient d'eux-mêmes, et que les rimes nécessaires venaient de leur plein gré se placer justement à l'endroit où elles devaient être. >>

Il y a dans ces lignes une exagération d'insouciance et de facilité, que le poëte dément lui-même lorsqu'il se vante d'avoir évité avec soin « la rencontre de deux syllabes semblables en deux mots différents, et de

s'être étudié a reléguer à la fin du vers tous les mots qui finissent par deux voyelles dont il se fait deux syllabes. >>

Sans doute, le naturel est la principale qualité des petits poëmes de d'Aceilly, mais, à y regarder de près, ce naturel est souvent le résultat d'un travail voulu; il s'allie à une concentration de la pensée qui va parfois jusqu'à la recherche, et, dans quelques passages qui ne dépareraient pas un recueil des plus fins madrigaux, la naïveté apparente, unie à la préciosité, produit ces effets gravement comiques, dont se moquait trop légèrement peut-être l'époque de Boileau, et auxquels se plajsent surtout quelques poëtes raffinés du XIXe siècle.

JEAN MOREL.

La première édition des œuvres du chevalier de Cailly fut imprimée chez André Cramoisy, Au sacrifice d'Abraham, Paris, rue Saint-Jacques, et parut sous ce titre : Diverses petites poésies du chevalier d'Aceilly. Paris, 4667, 4 vol. in-12. La deuxième édition est datée de 1708; Amsterdam, chez de Coup. En 1825, parurent les Petites poésies choisies du chevalier d'Aceilly, éditées aux frais et par les soins de Charles Nodier et N. Delangle.

Ne dis plus que la faim fasse mourir les gens;
Ce poëte a vécu jusqu'à quatre-vingts ans.

Alfana vient d'Equus sans doute;
Mais il faut avouer aussi

Qu'en venant de là jusqu'ici,

Il a bien changé sur la route.

Mon cher frère, disait Sylvie,
Si tu quittais le jeu, que je serais ravie !
Ne le pourras-tu point abandonner un jour?
-Oui, ma sœur, j'en perdrai l'envie

Quand tu ne feras plus l'amour.

Va, méchant, tu joûras tout le temps de ta vic.

Rien ne te semble bon, rien ne saurait te plaire;
Veux-tu de ce chagrin te guérir désormais?
Fais des vers, tu pourras ainsi te satisfaire;
Jamais homme n'en fit qu'il ait trouvés mauvais.

Dis-je quelque chose assez belle?
L'antiquité, tout en cervelle,
Me dit: Je l'ai dit avant toi.
C'est une plaisante donzelle;
Que ne venait-elle après moi!
J'aurais dit la chose avant elle.

« PreviousContinue »