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vie de cour, l'or des rois, les sourires des nobles et belles damoiselles qui de leurs blanches mains lui tressaient des couronnes de fleurs et de lauriers lui firent oublier sa noble mission, «l'instruction des hommes,» comme disait Pontus; elle se jeta dans les bras d'un amour trompeur qui l'égara et la perdit.

Pontus de Tyard était un savant, un lettré, qui rima parce qu'alors tout le monde rimait. « Jamais, dit Pasquier, on ne vit en la France telle foisson de poëtes. » La renommée poétique de Pontus, de même que celle de la plupart de ses contemporains, ne repose que sur les échos lointains et mourants de quelques lyres amies; vouloir la fonder sur leurs écrits ce serait vouloir « bâtir sur l'incertain du sable. » A qui la faute? Moins à tous ces jeunes poëtes, qu'à la jeune langue dont ils se servaient; langue naissante, aux formes incertaines, et qui, avant de revêtir son habit à la française, cachait sa pauvreté dans les langes de la latinité et s'attifait, sans goût, d'oripeaux étrangers. Ce qu'il faut chercher et ce que l'on trouvera dans tous ces recueils monotones de notre poésie au berceau, ce sont des documents historiques et littéraires, ce sont les évolutions que l'idiome de Villon, de Marot et de Ronsard a dû nécessairement subir avant d'être la langue de Malherbe, de Corneille et de Racine.

Ces gerbes de poésie, négligemment glanées dans les champs des Muses par l'amoureux Pontus de Tyard, renferment beaucoup plus d'ivraie que de bon grain. Un œil exercé peut seul y découvrir, çà et là, quelques beaux épis. Le sonnet qu'il introduisit en France est sorti, le plus souvent, informe et abrupt de sa plume. S'il entreprend un plus grand tableau, le plan en est bien conçu, le dessin exact, mais les couleurs y sont mêlées avec si peu d'art et de goût, que l'ensemble n'offre à l'œil qu'un amas confus et disgracieux. Néanmoins, Pontus n'est guère plus hérissé que ses amis de la Pléiade; s'il n'a évité aucune des fautes dans lesquelles ceux-ci sont tombés, on peut dire qu'il en a commis moins qu'eux, puisque, les ayant devancés, il n'a pu s'éclairer de leur exemple. Mais, en dépit de la rudesse d'une Muse à demi barbare ou sourde à sa voix, Tyard est éminemment poëte par la noblesse et la pureté des sentiments, par la haute idée qu'il a conçue de la poésie, à laquelle il assigne une mission civilisatrice et morale dans la société. Sous ce rapport, il n'a point de rivaux parmi ses contemporains. Que n'a-t-il mis en pratique les principes qu'il professe dans son Discours des Muses; notre vieux Parnasse français compterait un rimeur de moins et un poëte de plus?

Dans Pontus de Tyard, le champion de la Renaissance et le véritable ami des lettres l'emportent de beaucoup sur le poëte, et notre tâche eût été plus facile et moins ingrate si, au lieu d'avoir à faire vibrer la lyre fossile du collègue de Ronsard, de l'élève de Maurice Scève, nous avions eu à montrer de Tyard, artiste guidant Goujon, Cousin et Delorme dans la décoration du château d'Anet; musicien, travaillant avant Baïf à l'avancement de l'art musical en France; philosophe et mathématicien, combattant les erreurs de l'astrologie judiciaire, devançant Galilée sur les traces de Copernic, et proclamant, contre Bodin, l'égalité de la femme et de l'homme; prosateur français employant l'un des premiers notre langue « à exprimer les hautes et belles conceptions des philosophes; » prélat catholique prêchant la paix et la tolérance, maudissant les fanatiques de la Ligue, et démasquant les hypocrites et les faux dévots.

Disons comment se termina cette belle et honorable vie de quatrevingt-quatre années pleines d'événements heureux et funestes, joyeux et tristes, tranquilles et émouvants, au milieu desquels Pontus de Tyard avait pleuré presque tous ses amis et ses proches, et porté le deuil de cinq de ses rois dont l'un tomba sans gloire, comme un gladiateur, sur l'arène d'un cirque; l'autre périt à la fleur de l'àge d'une mort mystérieuse; un troisième mourut, à vingt-quatre ans, d'une maladie étrange dans ses symptômes, obscure dans ses causes; un quatrième, sous le couteau assassin d'un fanatique.

La vie politique de Pontus de Tyard, évêque-comte de Chalon-surSaône, aumônier du roi et conseiller en ses conseils, député du Clergé de Bourgogne aux assemblées du Clergé de France et aux États généraux du royaume, prit fin avec les tempêtes civiles et religieuses qui avaient remué si profondément la France du xvIe siècle. Il s'empressa de descendre du siége épiscopal où « ses vertus et savoir l'avoient poussé,» pour se retirer dans son agréable et solitaire château de Bragnysur-Saône, dont il avait fait un sanctuaire des saintes lettres et des sciences. Là, il se remit à converser avec ses vieux et fidèles amis, ses chers livres, et à en composer de nouveaux.

Les années passaient légères sur sa tête; elles argentaient sa chevelure sans y répandre la neige des hivers. Son esprit vigoureux ne se ressentait ni de l'assoupissement, ni des glaces de la vieillesse. A quatre-vingtdeux ans il ne songeait pas encore à cesser ses travaux. De la même main dont il écrivait son traité de Recta nominum impositione (1603), il traçait son testament qu'il commençait en «bon catholique chrétien, »

sans << qu'aucune imagination de la mort ne lui apporte frayeur, deuil ou regret de ce qu'il lui faudra laisser ce monde et les choses qu'il contient, » et qu'il terminait en philosophe et en poëte par des vers latins, dont voici une faible imitation en français:

D'un long tissu de jours filés par la Mollesse,

Je ne fais point l'objet de mon ambition.
Qui vit selon l'honneur et sa religion

Voit la mort sans pâlir, même avant la vieillesse.
Peu sensible à l'attrait d'un éloge flatteur,
L'éclat d'un grand renom n'est qu'un peu de fumée.
Si jamais mes écrits ont quelque renommée,
On peut, dès à présent, en oublier l'auteur.
De mon triste tombeau la pompe et l'édifice
Sont réservés aux soins d'un pieux successeur.
Pour moi, je meurs content, et déchaîné du vice:
Mon âme, libre enfin, s'unit au Créateur.

Le 23 septembre 4605, Pontus de Tyard s'endormit du sommeil de la mort. En lui s'éteignit le dernier représentant de la Pléiade et de l'Académie française du xvIe siècle. Il ne restait plus de la jeune France de cette époque qu'Étienne Pasquier.

Nous avons dit, d'après Ronsard, que Pontus introduisit dans notre poésie le sonnet tant prisé par Boileau; nous lui devons encore la Sextine « qu'il a le premier, dit Tabourot, habillée d'italien à la française. >>

ABEL JEANDET (de Verdun).

Voir les Œuvres poétiques de Pontus de Tyard, seigneur de Bissy; à savoir trois livres des Erreurs amoureuses; un livre de Vers lyriques, plus un Recueil de nouvelles œuvres poétiques, à Paris, par Galiot Du Pré, à l'enseigne de la Galère d'or, 4573, 4 vol. in-4; les Discours philosophiques de Pontus de Tyard, à Paris, chez Abel L'Angelier, 4587, 4 vol. in-4; Vie de Poëtes françois, par Guillaume Colletet (Mss. de la Bibliothèque du Louvre); les Bibliothèques françoises, de La Croix du Maine; de Du Verdier et de l'abbé Goujet; les Mémoires pour servir à l'histoire des hommes illustres de la République des Lettres, par le P. Niceron; Étude sur le XVIe siècle. France et Bourgogne. Pontus de Tyard, par Abel Jeandet (ouvrage couronné), Paris, A. Aubry, 4860, 4 vol. in-8; etc.

SONNET

AU SOMMEIL

Pere du doux repos, Sommeil, pere du Songe,
Maintenant que la nuict, d'une grande ombre obscure,
Faict à cest air serain humide couverture,
Viens, Sommeil desiré, et dans mes yeux te plonge.

Ton absence, Sommeil, languissamment allonge
Et me fait plus sentir la peine que j'endure.
Viens, Sommeil, l'assoupir et la rendre moins dure,
Viens abuser mon mal de quelque doux mensonge.

Jà le muet Silence un esquadron conduit
De fantosmes ballans dessous l'aveugle nuict;
Tu me dedaignes seul, qui te suis tant devot!

Viens, Sommeil desiré, m'environner la teste,
Car, d'un vœu non menteur, un bouquet je t'appresto
De ta chere morelle et de ton cher pavot.

ODE

LE JOUR DES BACCHANALES

Loin, l'enflée ambition,

Loin, loin, cette affection

De l'avare fils de Chryse,
Qui, d'assembler en tresor
Les pasles monceaux de l'or
Feit la premiere entreprise.

Errants, dansants. Morphée, dieu du sommeil.

2 Plante soporifique consacrée, comme le pavot, à 3 Pour: fit.

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