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Nous monstre sa blanche tresse,
Il me semble que je voy
Devant moy

Lever ma belle maistresse.

Quand je sens, parmy les prez

Diaprez,

Les fleurs dont la terre est pleine, Lors, je fais croire à mes sens Que je sens

La douceur de son haleine.

Bref, je fais comparaison,

Par raison,

Du printemps et de ma mie;
Il donne aux fleurs la vigueur,
Et mon cœur

D'elle prend vigueur et vie.

Je voudrois, au bruit de l'eau
D'un ruisseau,

Desplier ses tresses blondes,
Frizant en autant de nous,
Ses cheveux,

Que je verrois friser d'ondes.

Je voudrois, pour la tenir,

Devenir

Dieu de ces forests desertes,
La baisant autant de fois

Qu'en un bois

Il y a de feuilles vertes.

Hà! maistresse, mon soucy,

Vien icy,

Vien contempler la verdure!
Les fleurs de mon amitié

Ont pitié,

Et seule tu n'en as cure.

Au moins, leve un peu tes yeux
Gracieux,

Et voy ces deux colombelles
Qui font naturellement,

Doucement,

L'amour du bec et des ailes.

Et nous, sous ombre d'honneur, Le bon-heur

Trahissons par une crainte;

Les oyseaux sont plus heureux, Amoureux

Qui font l'amour sans contrainte.

Toutesfois, ne perdons pas
Nos esbats

Pour ces loix tant rigoureuses;
Mais, si tu m'en crois, vivons,
Et suyvons

Les colombes amoureuses.

Pour effacer mon esmoy,

Baise-moy,

Rebaise-moy, ma deesse;

Ne laissons passer en vain,
Si soudain,

Les ans de nostre jeunesse.

L'ALOUETTE

1 Chantes.

• Printemps.

Hé Dieu, que je porte d'envie
Aux plaisirs de ta douce vie,
Alouette, qui de l'amour

Degoizes dès le poinct du jour,
Secoüant en l'air la rosée

Dont ta plume est tout arrousée!
Devant que Phebus soit levé,
Tu enleves ton corps lavé
Pour l'essuyer pres de la nuë,
Tremoussant d'une aile menuë;
Et te sourdant à petits bons,
Tu dis en l'air de si doux sons
Composez de ta tirelire 3,

2

Qu'il n'est amant qui ne desire,
T'oyant chanter au renouveau “,
Comme toy devenir oiseau.

Quant ton chant t'a bien amusée,

De l'air tu tombes en fusée

Qu'une jeune pucelle, au soir,
De sa quenoüille laisse choir
Quand au foyer elle sommeille,
Frappant son sein de son aureille,
Ou bien quand en filant le jour
Voit celuy qui luy fait l'amour
Venir près d'elle à l'impourvuë 5.
De honte elle abbaisse la veuë,

Et son tors fuseau delié

Loin de sa main roule à son pié.

2 T'élevant. - 3 Onomatopée imitant le cri de l'alouette. A l'improviste.

Ainsi tu roules, aloüette,
Ma doucelette mignonnette,
Qui plus qu'un rossignol me plais,
Qui chante en un boccage espais.

Tu vis sans offenser personne,
Ton bec innocent ne moissonne
Le froment, comme ces oiseaux
Qui font aux hommes mille maux,
Soit que le bled rongent en herbe,
Ou soit qu'ils l'egrainent en gerbe:
Mais tu vis par les sillons vers
De petits fourmis et de vers,
Ou d'une mouche, ou d'une achée 1;
Tu portes aux tiens la bechée,

A tes fils non encor ailez,

D'un blond duvet emmantelez.

A grand tort les fables des poëtes

Vous accusent vous, alouettes,
D'avoir vostre pere hay,
Jadis, jusqu'à l'avoir trahy,
Coupant de sa teste royale
La blonde perruque fatale;
En laquelle un poil il portoit
En qui toute sa force estoit 2.

Mais quoy? vous n'êtes pas seulettes 3

A qui la langue des poëtes

A fait grand tort: dedans le bois,

Le rossignol à haute vois,

Caché dessous quelque verdure,

Se plaint d'eux, et leur dit injure.

3

1 Petit ver.

Selon la Fable, Scylla, fille de Nisus, à la prière de Minos, son amant, coupa le cheveu d'or auquel était attachée la fortune de son père, et fut changée en alouette. 3 Les seules.

1

Si bien fait l'arondelle aussi

Quand elle chante son cossi 2:
Ne laissez pas pourtant de dire,
Mieux que devant, la tirelire 3,
Et faites crever par despit

Ces menteurs, de ce qu'ils ont dit.

Ne laissez, pour cela, de vivre
Joyeusement, et de poursuivre,
A chaque retour du printemps,
Vos accoustumez passetemps:
Ainsi jamais la main pillarde
D'une pastourelle mignarde,
Parmy les sillons espiant

Vostre nouveau nid pepiant,
Quand vous chantez, ne le desrobe
Ou dans sa cage ou sous sa robe.
Vivez, oiseaux, et vous haussez
Tousjours en l'air, et annoncez,
De vostre chant et de vostre aile,
Que le printemps se renouvelle.

(Extrait du recueil des poésies de Ronsard,
qui a pour titre : les Gayetez.)

1 Dans le sens de..., c'est bien ce que... 2 Onomatopée, imitant le cri de l'hirondelle. 3 Autre onomatopée. A cause... 5 Le sens est: que jamais... 6 Mot formé par onomatopée, pour rendre les petits cris de la couvée dans son nid.

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