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Le temps s'en va, le temps s'en va, ma dame,
Las! le temps non, mais nous, nous en allons,
Et tost serons estendus sous la lame:

Et des amours desquelles nous parlons,
Quand serons morts, ne sera plus nouvelle:
Pour ce', aymez-moy, ce pendant qu'estes belle.

Genèvres herissez, et vous, houx espineux,
L'un hoste des deserts, et l'autre d'un bocage:
Lierre, le tapis d'un bel antre sauvage,
Source, qui bouillonnez d'un surgeon sablonneux;

Pigeons, qui vous baisez d'un baiser savoureux, Tourtres, qui lamentez d'un eternel veufvage, Rossignols ramagers, qui, d'un plaisant langage, Nuict et jour rechantez vos versets amoureux;

Vous à la gorge rouge, estrangere arondelle,
Si vous voyez aller ma nymphe en ce printemps,
Pour cueillir des bouquets par ceste herbe nouvelle,

Dites-luy, pour neant, que sa grâce j'attens,
Et que pour ne souffrir le mal que j'ay pour elle,
J'ay mieux aimé mourir que languir si longtemps.

Vous mesprisez nature: estes-vous si cruelle
De ne vouloir aymer? Voyez les passereaux
Qui demenent l'amour, voyez les colombeaux;
Regardez le ramier, voyez la tourterelle :

1 C'est pourquoi.

2 Flot.

- Tourterelles.

Voyez, deçà delà, d'une fretillante aile
Voleter par les bois les amoureux oiseaux;
Voyez la jeune vigne embrasser les ormeaux,
Et toute chose rire en la saison nouvelle.

Icy, la bergerette, en tournant son fuseau,
Desgoise1 ses amours, et là, le pastoureau
Respond à sa chanson: icy, toute chose aime,

Tout parle de l'amour, tout s'en veut enflamer: Seulement vostre cœur, froid d'une glace extrême, Demeure opiniastre et ne veut point aimer.

Je mourrois de plaisir, voyant par ces bocages
Les arbres enlacez de lierres espars,
Et la verde lambrunche errante en mille pars
Sur l'aubespin fleuri près des roses sauvages.

3

Je mourrois de plaisir, oyant les doux ramages
Des hupes, des coqus et des ramiers rouhars
Dessus un arbre verd, bec en bec fretillars,

Et des tourtres, aux bois, voyant les mariages.

Je mourrois de plaisir, voyant, en ces beaux mois,

5

Debusquer un matin le chevreuil hors du bois,

Et de voir fretiller dans le ciel l'alouette ;

Je mourrois de plaisir où je languis transi,
Absent de la beauté qu'en ce pré je souhaite :
Un demy-jour d'absence est un an de souci.

1 Raconte.-2 Vigne vierge. 3 Pour coucous.— Roucoulants. tir brusquement, déboucher.

Il ne faut s'esbahir, disoient ces bons vieillars1,
Dessus le mur troyen voyant passer Helene,
Si pour cette beauté nous souffrons tant de peine,
Nostre mal ne vaut pas un seul de ses regars.

Toutesfois il vaut mieux, pour n'irriter point Mars,
La rendre à son espoux, afin qu'il la remmeine,
Que voir de tant de sang nostre campagne pleine,
Nostre havre gaigné, l'assaut à nos rampars

Peres, il ne falloit, à qui la force tremble,
Par un mauvais conseil les jeunes retarder;
Mais, et jeunes et vieux, vous deviez, tous ensemble,
Pour elle, corps et biens, et ville hazarder.
Menelas fut bien sage, et Paris, ce me semble,

L'un de la demander, l'autre de la garder.

Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle, Assise auprès du feu, devisant et filant,

Direz, chantant mes vers, en vous esmerveillant :

<< Ronsard me celebroit du temps que j'estois belle. »

Lors, vous n'aurez servante oyant 3 cette nouvelle,
Desjà sous le labeur à demy sommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s'aille reveillant,
Benissant vostre nom de louange immortelle.

4

Je serai sous la terre, et, fantosme sans os,
Par les ombres myrteux je prendray mon repos;
Vous serez au foyer une vieille accroupie,

Regrettant mon amour et vostre fier desdain.
Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain;
Cueillez dès aujourd'huy les roses de la vie.

1 Allusion à un célèbre passage de l'Iliade. tendant.

A l'ombre des myrtes.

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Marie, levez-vous, vous estes paresseuse,
Ja la gaye aloüette, au ciel, a fredonné,
Et ja le rossignol doucement jargonné,
Dessus l'espine assis, sa complainte amoureuse.

Sus debout, allons voir l'herbelette perleuse,
Et vostre beau rosier de boutons couronné,
Et vos œillets mignons ausquels aviez donné,
Hier, au soir, de l'eau, d'une main si soigneuse.

Harsoir 1, en vous couchant vous jurastes vos yeux,
D'estre, plus tost que moy, ce matin, esveillee:
Mais le dormir de l'aube, aux filles gracieux,

Vous tient d'un doux sommeil encor les yeux sillee 2.
Ça, ça, que je les baise et vostre beau tetin,
Cent fois, pour vous apprendre à vous lever matin.

ÉLÉGIE

CONTRE LES BUCHERONS

DE LA FOREST DE GASTINE

Quiconque aura, premier 3, la main embesongnee
A te coupper, forest, d'une dure congnee,
Qu'il puisse s'enfermer de son propre baston,
Et sente en l'estomac la faim d'Erisichthon
Qui coupa de Ceres le chesne venerable,
Et qui, gourmand de tout, de tout insatiable,
Les bœufs et les moutons de sa mere engorgea,
Puis, pressé de la faim, soy-mesme se mangea :

1 Pour

1

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hier au soir. -2 C'est-à-dire les yeux encore fermés.
Pour cognée.
Embesognée, c'est-à-dire : occupée.

premier. 4

Ainsi puisse engloutir ses rentes et sa terre,
Et se devore apres par les dents de la guerre!

Qu'il puisse, pour venger le sang de nos forests,
Tousjours nouveaux emprunts sur nouveaux interests
Devoir à l'usurier, et qu'en fin il consomme
Tout son bien à payer la principale somme!

Que tousjours, sans repos, ne fasse en son cerveau
Que tramer pour-néant quelque dessein nouveau,
Porté d'impatience et de fureur diverse,

Et de mauvais conseil qui les hommes renverse!
Escoute, Bucheron, arreste un peu le bras:
Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas;
Ne vois-tu pas le sang, lequel degoute à force,
Des Nymphes qui vivoient dessous la dure escorce?
Sacrilege meurtrier, si on pend un voleur

Pour piller un butin de bien peu de valeur,
Combien de feux, de fers, de morts, et de detresses
Merites-tu, meschant, pour tuer nos Deesses?

Forest, haute maison des oiseaux bocagers!
Plus le cerf solitaire et les chevreuls legers
Ne paistront sous ton ombre, et ta verte criniere
Plus du soleil d'esté ne rompra la lumiere.

Plus l'amoureux pasteur sur un tronc adossé,
Enflant son flageolet à quatre trous persé,
Son mastin à ses pieds, à son flanc la houlette,
Ne dira plus l'ardeur de sa belle Janette :
Tout deviendra muet; Echo sera sans vois;
Tu deviendras campagne, et, en lieu de tes bois,

Dont l'ombrage incertain lentement se remuë,

Tu sentiras le soc, le coutre, et la charruë,
Tu perdras ton silence, et Satyres et Pans,
Et plus le cerf chez toy ne cachera ses fans.

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