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de l'or ciselé? Mais Ronsard ne nous a pas donné que des rhythmes! Il nous a appris, et le premier de tous depuis les anciens, que la poésie peut arrêter des lignes, combiner des harmonies de couleur, éveiller des impressions par les accords des syllabes. Grâce à lui, nous avons su qu'elle est un art musical et un art plastique, et que rien d'humain ne lui est étranger. Tout l'art lyrique moderne, cet art profond et terrible qui ne s'en tient jamais à la lettre, mais qui émeut l'âme, les fibres, les sens, avec des moyens de peinture, de musique, de statuaire; cette magie, qui consiste a éveiller des sensations à l'aide d'une combinaison de sons et qui rend une forme visible et sensible comme si elle était taillée dans le marbre ou représentée par des couleurs réelles, cette sorcellerie grâce à laquelle des idées nous sont nécessairement communiquées d'une manière certaine par des mots qui cependant ne les expriment pas, ce don, ce prestige, c'est à Ronsard que nous le devons. A en croire la critique routinière, qui agite d'âge en âge le même flambeau éteint, le bagage de Ronsard se composerait justement de dix-huit vers; il y a dans le seul recueil des Odes quarante pièces égales à la fameuse odelette Mignonne, allons voir si la rose, autant de diamants purs, autant de perles exquises, autant de chefs-d'œuvre taillés de main d'ouvrier dans une matière durable. L'abus de la pompe, du grandiose, de l'image, en un mot, tel est le grand reproche adressé sans relâche à Ronsard.

Ce style figuré, dont on fait vanité,
Sort du bon caractère et de la vérité.

a dit Molière en deux mauvais vers, qui eux-mêmes sortent autant que possible du bon caractère. De quel bon caractère? de quelle vérité? Le désordre apparent, la démence éclatante, l'emphase passionnée sont la vérité même de la poésie lyrique. Notre vers de théâtre du xvIIe siècle, si pur, si net, si habile à exprimer la passion dramatique, ne sera que froideur et néant si vous l'appliquez à l'ode. Ronsard tombe dans l'excès des figures et de la couleur; le mal n'est pas grand, et ce n'est pas par là que périra notre littérature. Nos meilleurs critiques, prosateurs par profession, se sont trompés là-dessus du tout au tout. Chose inouïe à dire, ils ont péché par ignorance, car en français, ce qui est vrai pour la prose ne l'est jamais pour la poésie. Aux plus mauvais jours, quand elle expire décidément, comme par exemple sous le premier empire, ce n'est pas l'emphase et l'abus des ornements qui la tent, c'est la platitude. Le goût, le naturel sont de belles choses assu

rément moins utiles qu'on ne le pense à la poésie. Elle vise à émouvoir le cœur et les sens, bien plus qu'à satisfaire l'esprit. Et, pour accepter même le terrain du drame, le Roméo et Juliette de Shaespeare est écrit d'un bout à l'autre dans un style aussi affecté que celui du marquis de Mascarille; celui de Ducis brille par la plus heureuse et la plus naturelle simplicité. La différence reste chez nous si grande et si absolue entre la langue parlée et la langue chantée que ce qui est dans l'un des genres une qualité précieuse devient, dans l'autre, une infirmité déplorable. Ronsard n'a pas connu le doute railleur, l'esprit incisif et ironique; il est tout enthousiasme, et par cela même il prouve qu'il est né poëte. N'oublions pas pourtant que son plus chaud défenseur a relevé chez lui par milliers des traits exquis de naturel et de naïveté qui font songer involontairement à Marot et à La Fontaine. Mais avec l'allure fière de sa strophe, avec l'élan de son vers toujours gracieux et superbe, il aurait pu se passer de ce mérite, et rester encore un puissant créateur, un ouvrier accompli. Et pourtant, des qualités si magistrales ne l'ont pas sauvé.

La croisade entreprise par Pierre de Ronsard et par ses amis ne pouvait pas aboutir, c'est convenu, et ne suffit-il pas de dire qu'elle devait se terminer comme toutes les croisades? On s'élance vers l'Orient pour y conquérir le tombeau d'un dieu; on en rapporte des fleurs, des fruits, une architecture, des arts de loisir et d'élégance, rien de ce qu'on allait y ravir. Ainsi Ronsard cherche l'ode olympique, l'épopée; mais comment pourrait-il créer des iliades? les iliades sont achevées par ceux qui les font sans s'en douter, sans vouloir les faire; le génie est éminemment insouciant; ni les Homère ni les Dante ne font leur programme. Lui, au contraire, il en a fait un; il s'est proposé un but, cela montrait assez qu'il ne l'atteindrait pas. Les conquérants euxmêmes, ceux que Dieu a marqués du signe impérieux, n'accomplissent jamais l'œuvre qu'ils avaient rêvée, mais à leur insu, malgré eux, ils en accomplissent une autre, car à la Providence seule il appartient de faire des plans. A ce moment-là, tout étant épuisé, il fallait un grand homme dont la vie fût employée à l'ébauche d'une langue nouvelle, et qui entassât les trésors au hasard, n'ayant pas le temps de choisir; ce héros martyr, sacrifié d'avance, fut Ronsard. Tel rêve de découvrir une Amérique et trouve un passage nouveau pour aller aux Indes; tout en l'ignorant, il marchait vers sa destinée. Ronsard n'a pas ressuscité les Pythiques, et toutefois le luth de Cherouvrier, celui de Marie Stuart et ses chansons mises en musique par Jean de Maletty peuvent lui faire

croire à la renaissance de la poésie chantée, comme les déesses du Louvre et de Fontainebleau peuveut lui donner l'enivrante illusion d'un Olympe. Il n'a pas ressuscité les Pythiques, mais il nous a légué la langue actuelle, la páte même de la poésie élevée. L'argile que nous modelons, le marbre que nous taillons sont tout à fait siens, le marbre et l'outil! Il eut la grecque fureur, l'amour de Dieu, l'enthousiasme de la gloire, une âme pindarique plus que ses œuvres. Mauvais flatteur et trop indépendant pour se concilier longtemps la faveur des cours, Ronsard finit disgracié, revenu aux grandes pensées, et après avoir trouvé des plaintes éloquentes sur les malheurs des Français châtiés par leurs mains. Il termine sa vie par une belle mort chrétienne digne de l'antiquité, à Saint-Còme, entouré des religieux et dans les bras de son ami Galland. Il expira en héros, en sage, pardonnant à tous et n'ayant jamais nui à personne. A peine est-il couché dans le cercueil, c'est dans toute la France comme un long cri de douleur et d'angoisse. Du Perron, Claude Binet, Daurat, Baïf, Amadis Jamyn, Scaevole de Sainte-Marthe, Galland, Bertaut, Claude Garnier, tous les poëtes les plus éminents se piquent d'émulation pour élever à Ronsard un tombeau qui brave les âges, et, en grec, en latin, en italien, on le chante, on le glorifie pour recommander à la postérité équitable le soin de sa renommée. La postérité n'a pas accepté le legs; elle a renié ce créateur sans lequel elle n'aurait eu ni Corneille, ni Malherbe, ni Chénier, ni les modernes! Un jour, redevenue plus juste, elle lui rendra sa place, et son buste majestueux apparaîtra, comme au frontispice de ses œuvres, élevé sur de puissantes architectures, couronné par les vieux maîtres de la lyre, pleuré par un héros armé et par une muse éclatante et nue qui laisse ruisseler sa chevelure blonde avec les flots épanchés de son urne de marbre. Quand Ronsard se déclarait immortel et se couronnait de ses propres mains, il n'était pas guidé par un vain orgueil! I continuait, réclamait, affirmait le rôle du poëte. C'était le vieil Hésiode, c'était son maître Pindare et surtout les poëtes à venir qu'il couronnait sur son propre front. Quel doit être celui qui parle aux âmes, voilà ce qu'il voulait enseigner à la France en l'entraînant, loin de Marot et de Saint-Gelais, vers le vol des grandes muses. En ses maîtresses, il adorait surtout la beauté impérissable que de tout temps les dieux ont fiancée au génie; il ne se montra si fier, que comme le fils et comme le père de ceux dont la voix ailée voltige parmi les hommes. Laissons-lui donc ce laurier qu'il usurpait non sans justice, et, s'il le faut, rattachons-le sur şon front d'une main pieuse, car ce front a porté

la fortune même et l'avenir de la poésie. Dix années d'études ardues, l'intuition vague mais certaine de l'avenir, l'ambition de ressusciter la Grèce parmi les brumes du nord et dans un pays déchiré par les guerres civiles, quarante ans de travaux, l'ennui des cours et la disgrâce des rois, le nom de l'amour glorifié, la France chantée et consolée, une renommée universelle dignement portée, puis la disgrâce, les longues souffrances, l'interminable agonie, une mort chrétienne et stoïque, n'est-ce pas de quoi mériter le noir rameau toujours arrosé de sang et de pleurs? Il n'aura manqué à Ronsard ni l'aspiration vers les infinis du beau, ni le désir de la perfection, ni le martyre, ni l'insulte; ne lui refusons donc pas sa place dans l'Olympe des poëtes, où il a le droit de porter la pourpre, sinon près de ceux à qui il tentait de ressembler, du moins à côté de Virgile et d'Horace, dans ce groupe qui, loin des aveuglantes splendeurs d'Homère, de Pindare et d'Eschyle, traîne après lui une douce lueur d'étoiles et de orépuscule.

THÉODORE De Banville.

SONNETS

Je fuy les grands chemins frayez du populairc,
Et les villes où sont les peuples amassez :
Les rochers, les forets, desjà sçavent assez
Quelle trempe a ma vie estrange et solitaire.

Si1 ne suis-je si seul, qu'Amour, mon secrétaire,
N'accompagne mes pieds debiles et cassez;
Qu'il ne conte mes maux, et presens et passez,
A ceste voix sans corps 2 qui rien ne sçauroit taire.

Souvent plein de discours, pour flatter mon esmoy,
Je m'arreste, et je dy: Se pourroit-il bien faire
Qu'elle pensast, parlast, ou se souvinst de moy?

Qu'à sa pitié mon mal commençast à déplaire?
Encor que je me trompe, abusé du contraire,
Pour me faire plaisir, Helene, je le croy.

Je vous envoie un bouquet que ma main
Vient de trier de ces fleurs epanies 3:

5

Qui ne les eust à ce vespre cueillies,
Cheutes à terre elles fussent demain.

Cela vous soit un exemple certain
Que vos beautez, bien qu'elles soient fleuries,
En peu de temps cherront toutes fletries,
Et, comme fleurs, periront tout soudain.

2 L'écho.

1 Pourtant, je ne suis pas si seul qu'Amour... nouies. - C'est-à-dire : si on ne les eût... 5 Ce soir.

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