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société de la complaisance, de la joie, du badinage, du silence, de la condescendance, de l'attention aux autres; elle se fait aimer des personnes avec qui elle vit, parce qu'elle ne songe qu'à leur plaire : elle fait luire partout le bon ordre et régner la paix. Elle vient de Dieu, qui veut bien être appelé la souveraine raison. » Les cérémonies du mariage du petit-fils du grand Condé avaient été le dernier succès de Mme de Montespan; l'achèvement de ce mariage fut le succès définitif de Mme de Maintenon : l'ancienne maîtresse du roi avait été contrainte de reconnaître sans explication l'autorité légitime de sa rivale. L'énigme de la cour, après cet éclaircissement, devint aussi transparente que possible. Mme de Montespan n'était plus que la mère de ses enfants légitimés, et Mme de Maintenon était la compagne agréable que par un mariage secret le roi s'était donnée. Les convenances politiques ne permettaient pas de publier ce mariage, mais les attentions publiques que le roi avait pour Mme de Maintenon en disaient assez pour qu'il ne fût plus permis de s'y tromper. Le 5 juin, le roi alla voir les bâtiments de Saint-Cyr, qui étaient achevés (1). Monsieur, Mme la duchesse de Bourbon et Mme de Maintenon étaient avec lui. Le lendemain, il donna des lettres patentes pour l'établissement de cette communauté. La fondation devait être de 50,000 écus de rente. « Il y a, dit Dangeau, ajouté la manse abbatiale de Saint-Denys, qui va à peu près à 100,000 francs. Mme de Maintenon en aura la direction générale ; Mme de Brinon sera supérieure des dames de Saint-Louis, l'abbé Gobelin supérieur ecclésiastique; il y aura 36 dames, 24 sœurs converses et 250 demoiselles; les dames et les demoiselles font preuve de trois races ou de cent ans de noblesse, et d'Hozier est le généalogiste. » Dans toutes les promenades que faisait alors le roi, Mme de Maintenon était avec lui, souvent Mme la duchesse de Bourbon, jamais Mme de Montespan. C'était le triomphe des bienséances.

Il était convenable d'accorder aussi quelque chose à M. le Duc, qui avait déployé le plus grand zèle pour plaire à Sa Majesté, et qui n'avait senti jusqu'ici que déboire et dégoût dans les événements les plus heureux. Le 15 juin (2), le roi lui donna les grandes entrées, c'est-àdire le droit d'entrer dans sa chambre en même temps que les premiers gentilshommes de la chambre, dès qu'il était éveillé, avant qu'il sortît

(1) Histoire de Mme de Maintenon, par M. de Noailles, t. III. Histoire de Saint-Cyr, par Th. Lavallée. Dangeau, 6 juin 1686, t. I, p. 346-317.

(2) Mémoires de l'abbé de Choisy, p. 607-608.

du lit et prît sa robe de chambre et ses pantoufles. Depuis trois ans M. le Duc convoitait les grandes entrées, depuis deux ans il croyait toucher l'objet de son ambition (1); mais « les hommes (et Mme de Maintenon pouvait être considérée ici comme un homme) ne s'attachent pas assez à ne point manquer les occasions de faire plaisir : il semble qu'on n'entre dans un emploi que pour pouvoir obliger et n'en rien faire; la chose la plus prompte et qui se présente d'abord, c'est le refus, et l'on n'accorde que par réflexion. >>

M. le Duc fut très sensible à cette grâce de Sa Majesté. Jusque-là les princes du sang n'avaient jamais eu que les entrées de la chambre. Le grand Condé lui-même n'en avait pas d'autres. Aussi les courtisans se déchaînèrent contre la faveur accordée à M. le Duc, et, la comparant au mauvais vouloir manifesté contre le prince de Conti, ils demandèrent pourquoi cette différence. Ils n'y trouvèrent pas d'antre raison que la basse complaisance de M. le Duc pour Mae de Maintenon. La Bruyère ne voulut pas les croire (2): « On me dit tant de mal de cet homme et j'y en vois si peu, que je commence à soupçonner qu'il n'ait un mérite importun qui éteigne celui des autres. » Il avait du moins tout le mérite nécessaire pour justifier la confiance dont on l'honorait. Un de ceux qui l'ont le plus dénigré l'avoue (3): « Il a de la politesse, de la pénétration, quelque chose de juste et de délicat dans l'esprit, une plaisanterie vive et légère, il s'exprime finement et sait bien garder un secret. » N'était-ce donc pas assez pour être admis dans l'intimité du roi ?

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Du reste, M. le Duc ne retira point de là de si grands avantages. Il fit entrer à la place de Me de Polignac, dans la chambre des filles d'honneur de Mme la Dauphine, Mlle de Montmorency d'Artois, fille de l'un de ses parents et amis; et voilà tout. « Il eut les grandes entrées, dit Saint-Simon (4), mais il n'eut jamais celles du cabinet entre le souper et le coucher du roi, qui étaient réservées à la propre famille de Sa Majesté. Souvent il dormait à la porte, en dehors, à la vue de tous les courtisans qui attendaient le coucher du roi dans la même pièce, tandis que M. le duc de Bourbon, son fils, était dans le cabinet. » Ce spectacle consola les courtisans qui portaient envie à son

(1) Chap. XI, no 11.

(2) Chap. VIII, no 39.

(3) Recueil de différentes choses, par de Lassay, t. I, p. 361.

(4) Adilition au journal de Dangeau, t. I, p. 350.

bonheur. La Bruyère put dire du père ce qu'il avait dit du fils (1) : << Il y a de certains biens que l'on désire avec emportement, et dont l'idée seule nous enlève et nous transporte : s'il nous arrive de les obtenir, on les sent plus tranquillement qu'on ne l'eût pensé, on en jouit moins que l'on aspire encore à de plus grands. >>

(1) Chap. XI, n° 29.

CHAPITRE XVII.

1686 (mai-août).

La paix régnait en France : le roi ne craignait rien ni au dehors ni au dedans. Condé à Chantilly menait une vie douce et tranquille. Lune de miel du duc et de la duchesse de Bourbon. Leçons de la Bruyère sur l'esprit de conversation; Arténice.

Leçons de la Bruyère sur l'histoire de Henri II. — La cour de Mgr le Dauphin rappelle le règne de Henri II et Henri III. Grossesse de la Dauphine. Bessola, la princesse de Conti et Mme de Choiseul. · Les beaux messieurs de Sainte-Maure, de Marsan, de Comminges,

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de Créquy. Débauche chez Monseigneur. La duchesse de Bourbon a des vapeurs. Complot de M. de Sainte-Maure avec Mme de Polignac pour s'emparer du Dauphin. - Le roi veille sur son fils.

De Marsan et Comminges exilés.

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Quelle cour de sauvages autour de l'héritier de la couronne! Leçon de géographie politique par la Bruyère sur le pays des Tournesols, leurs mœurs et leur religion. Le roi et Condé sont très souffrants : ils le supportent tous deux gaiement; gaieté plus vive et plus franche de la duchesse de Bourbon. Joie de la Bruyère à l'instruire. La Dauphine donne le jour au duc de Berri. Réflexions du moraliste sur le mariage de Monseigneur. Un grand attachement et de sérieuses affaires ont jeté le duc de Bourbon dans son naturel. Bonheur de la Bruyère en voyant celui de ses Altesses. Il devient plus modeste.

Le mariage du duc de Bourbon était achevé : la duchesse de Bourbon se consolait aisément de la grandeur de Mme de Maintenon et goûtait le plaisir d'être libre sous la tyrannie de son mari. Le duc de Bourbon ne rougissait plus de sa femme au milieu des jeunes gens de la cour; au contraire (1), il était fier de paraître en public avec celle qu'il s'était choisie pour sa compagne inséparable, qui devait faire sa joie, ses délices et toute sa société; et, pendant que les deux époux goûtaient tranquillement les douceurs de leur nouvelle vie, la Bruyère,

(1) Chap. XIV, n° 35.

dans l'intimité, leur donnait des leçons de politique et de littérature, et achevait leur éducation.

Autour d'eux régnait la paix la plus profonde. Les inquiétudes que l'on avait eues sur la santé du roi avaient fait place à la confiance (1). Le roi voulait qu'on le crût guéri: soit qu'il allât mieux, soit qu'on s'habituât à le voir souffrir d'une maladie qu'il dissimulait et qui n'incommodait plus personne, on ne doutait pas qu'il fût guéri. Il montait à cheval, et il avait repris son train de vie ordinaire. D'ailleurs jamais le roi n'avait tenu d'une main plus ferme les rênes de l'État. Au dehors et au dedans du royaume, tout semblait marcher à son gré.

Au dehors, qui pouvait troubler la tranquillité? « La trêve était faite pour vingt ans avec toute l'Europe, dit Mme de la Fayette (2). Les Impériaux, quoique victorieux des Turcs, avaient encore assez d'occupation pour nous laisser en repos, et l'on espérait que des conquêtes quasi sûres, auraient plus d'appas pour eux que le plaisir d'une vengeance douteuse; l'Espagne était trop abaissée pour nous donner une ombre d'appréhension; l'Angleterre trop tourmentée dans ses entrailles, et les deux rois trop liés pour qu'il y eût rien à craindre. L'on était fort persuadé des mauvaises intentions du prince d'Orange; mais nous étions rassurés par l'état de la république de Hollande, dont le souverain bonheur consiste dans la paix; nous étions donc persuadés que si la guerre commençait, ce ne pourrait être que par nous. Cela laissait au roi le plaisir tout pur de jouir de ses travaux. Ses bâtiments, auxquels il faisait des dépenses immenses, l'amusaient infiniment, et il en jouissait avec les personnes qu'il honorait de son amitié. L'on ne connaissait plus en France d'autres armes que les instruments nécessaires pour remuer les terres et pour bâtir; on employait les troupes à ces usages, non seulement pour les tirer d'une oisiveté aussi mauvaise que le serait l'excès du travail, mais encore pour faire aller la rivière d'Eure contre son gré, pour rendre les fontaines de Versailles continuelles, et avancer de quelques années les plaisirs du roi. »

Au dedans du royaume, qu'est-ce qui pouvait troubler cette parfaite tranquillité? L'histoire, la poésie, même les médailles (3), racontaient la gloire du roi. « La religion prétendue réformée avait été abattue

(1) Mercure galant, no de juin 1686, p. 296, 297. Gazette, 31 août 1686.

(2) Mémoires de la Cour, p. 1, éd. Michaud, t. VIII, p. 211.

(3) Ménestrier, Histoire du roi par les médailles, p. 46, no 11, no 9, no 14, no 16, no 17.

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