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et des princesses qui prirent part à l'éducation de M. le duc de Bourbon.

« Pour ne nous pas flatter (1), dit Fleury, il faut convenir que dans le grand monde et parmi les gens polis, on se donne souvent la liberté de railler et les écoliers et les maîtres.

<< Comme ce n'est pas au collège que l'on apprend la vraie politesse et les manières agréables, les femmes, qui sont fort sensibles à cet extérieur, et les jeunes gens, naturellement moqueurs, tournent volontiers en ridicule tout ce qui sent l'école : il semble qu'ils veulent se venger de la contrainte qu'ils y ont soufferte, et que les femmes veuillent autoriser leur ignorance en méprisant ce qu'elles n'ont pas appris.

« Il en est de même à proportion des gens d'épée ; ils ne croient pas être obligés à avoir fait aucune étude; et soit en se méprisant eux-mêmes par ironie, soit en méprisant ouvertement les gens de lettres, ils font entendre qu'ils ne croient pas en valoir moins pour être ignorants.

« Les défauts de ceux qui enseignent et qui font profession de science, contribuent aussi à les faire mépriser. On y voit de la bassesse, de l'attachement à de petits intérêts, de la vanité, de la jalousie. Comme on se scandalise des imperfections des dévots, ainsi on est choqué des défauts des savants : et ceux qui ne sont pas assez retenus dans leur jugement, font aisément passer à la profession l'aversion qu'ils ont des personnes; ils méprisent donc les lettres parce qu'ils voient des savants, ou des gens qui passent pour l'être, importuner tout le monde des plaintes de leur mauvaise fortune et de l'injustice du siècle, vouloir toujours enseigner et dire ce qu'on ne leur demande pas, et être avides de louanges, incivils et capricieux; et quoique l'on trouve partout une infinité d'ignorants qui sont plaintifs, grands parleurs, fantasques et grossiers, on ne laisse pas d'attribuer plutôt ces défauts aux savants, parce qu'on les remarque plus en des gens qui ont quelque avantage qui les distingue.

« Cependant quoi que l'on puisse dire, la véritable science et les études solides qui y conduisent, seront toujours estimées, même par les ignorants. »

(1) Choix et méthode des études, c. I.

Tel était aussi l'avis de Condé, le juge suprême dans la circonstance; et il trancha tous ces démêlés par une sentence décisive. La Bruyère fut mis à la place de M. Deschamps, mais dans des conditions toutes différentes. M. Deschamps parlait beaucoup et bien, mais réussissait peu; M. de la Bruyère parlera peu, on suppose qu'il parlera bien; peut-être réussira-t-il mieux que M. Deschamps.

CHAPITRE VII.

1684.

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Mme de Maintenon, qui allait épouser secrètement Louis XIV, appuie le projet de M. le Duc. Le roi à Chantilly trouve ce lieu délicieux; le mariage du duc de Bourbon et de Mile de Nantes est décidé, quinze jours après, entre le roi et Condé. Bossuet et Condé s'entendent pour réorganiser l'éducation du jeune prince. Pourquoi choisissent-ils Sauveur et la Bruyère? Quelles fonctions leur destinent-ils selon leurs aptitudes particulières ? Mort de la princesse palatine, 6 juillet 1684. - Inquiétudes de Mme la Duchesse sa fille. Bossuet la console. Le duc de Bourbon fait ses débuts à la cour sous la direction des jésuites, qui demeurent ses précepteurs. M. le Duc veut faire de son fils un courtisan accompli, et se prononce pour la philosophie de Descartes. La Bruyère entre au service de la maison de Condé, le 15 août 1684. premières leçons. Nulle difficulté. La maladie du Dauphin sert d'avertissement. Mme la Duchesse confie ses inquiétudes à la Bruyère. Le duc de Bourbon va à Chantilly auprès de son grand-père. La Bruyère ne peut l'y rejoindre qu'après la

mort de Cordemoi, 15 octobre 1684.

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En 1684, quand Louis XIV assiégeait la place de Luxembourg, l'abbé Bourdelot écrivait à Condé (1): « On dit que, depuis que le roi est parti sans mener Me de Richelieu dans son carrosse, elle a toujours pleuré et gémi : elle est morte au bout, en deux jours, d'esquinancie. La douleur l'a étranglée. » Le même jour, 2 juin, Dangeau écrivait à Condé au nom du roi : « Gênes est brûlée et Luxembourg aux abois. On parle beaucoup de la belle action de Mme de Maintenon, et tout le monde la loue fort. Elle a refusé la charge de dame d'honneur : le roi la lui voulut donner dans le moment où il apprit la mort de Mme de Richelieu. La Dauphine la pressa aussi, de son côté, de

(1) Mss. de l'hôtel de Condé.

LA BRUYÈRE.

T. I.

11

l'accepter. Rien n'y fit : elle soutint qu'il y avait en France beaucoup de dames qui méritaient et rempliraient cette charge mieux qu'elle, qu'il lui suffisait d'être honorée de l'estime et des bonnes grâces du roi; que si, par hasard, cela venait à changer, elle ne voulait pas d'une charge qui la retînt à la cour. » Le même jour, 2 juin (1), Dangeau écrivait encore à Condé pour lui annoncer la prise de Luxembourg que l'on venait d'apprendre ; il ajoutait : « M. le Duc arrivera à Chantilly peut-être aussitôt que notre lettre. Il me semble qu'il est fort bien à la cour, et fort bien avec les courtisans. » En effet, Mme de Maintenon, sûre désormais de l'estime et des bonnes grâces du roi, avait désarmé la colère de Mme de Montespan, en appuyant de ses conseils le projet de M. le Duc, qui venait d'être approuvé du roi. Quand M. le Prince apprit à Chantilly, de la bouche de son fils, ce qui s'était passé, il put être surpris; mais put-il faire autrement que de donner aussi son approbation?

C'était pour la veuve du cul-de-jatte Scarron, au moment où elle prenait sans bruit la première place du royaume, un degré de bonheur au-dessus de toute comparaison, de pouvoir, en prouvant son détachement du reste du monde, marier la fille naturelle du roi, qu'elle avait élevée et qu'elle chérissait, avec un prince du sang, unique héritier de la maison de Condé. Peut-être y avait-il aussi pour la favorite une secrète satisfaction d'amour-propre à protéger M. le Duc, un si grand prince qui n'avait pas toujours été heureux à la cour, et à lui faire plaisir en prévenant ses sollicitations dans une chose juste, où elle eut soin de ne pas se laisser voir, pour éviter ses remerciements, mais en comptant bien sur sa reconnaissance.

Le roi, quand il revint de Luxembourg, s'arrêta un jour à Chantilly où Monsieur, son frère, Madame et une grande partie de la cour allèrent au-devant de lui. Condé reçut dignement Sa Majesté. De tous les lieux que le soleil éclaire, il n'y a point un semblable à Chantilly, disait Mme de la Fayette en 1672. Depuis ce temps-là, Condé l'avait considérablement embelli. Il tenait ce vaste et beau domaine de sa mère, sœur de M. de Montmorency, décapité à Toulouse. Du Cerceau nous a conservé dans tous ses détails le charmant château des Montmorency, et le burin de Perelle nous a fait connaître les embellissements de Condé. Trouvant alentour les plus beaux bois, une

(1) Mss. de l'hôtel de Condé.

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vraie forêt avec un grand canal semblable à une rivière, des eaux abondantes, et d'immenses jardins (1), Condé en avait tiré des merveilles. Louis XIV avait fait bien d'autres merveilles à Versailles; cependant il trouva (8 juin 1684) « Chantilly un lieu délicieux (2). » Toute la cour répéta : « Chantilly est un lieu délicieux. » — « Il y a des lieux que l'on admire, écrit la Bruyère (3); il y en a d'autres qui touchent et où l'on aimerait à vivre. » Sans doute le roi goûtait le plaisir que trouvait Condé à se reposer dans un si beau lieu; il pensait aussi que sa fille légitimée, Me de Nantes, si elle épousait le duc de Bourbon, pourrait avoir là, un jour, une demeure vraiment royale. Le mariage, mis en question, fut débattu entre le roi et M. le Prince. Il est à croire qu'ils s'entendirent fort bien; car, quinze jours après, Condé vint à Versailles, et le mariage projeté fut définitivement arrêté.

Alors Bossuet, qui allait à la Trappe, passa par Versailles et présenta au roi ses félicitations sur la prise de Luxembourg. Condé n'eut jamais de plus grande joie (4) que d'entendre Bossuet en public, de le voir en particulier, de converser avec lui familièrement, à Chantilly, à la cour, partout. Il ne manqua pas cette occasion de le rencontrer et lui fit part du projet de mariage. M. de Meaux ne pouvait qu'approuver ce que le roi et Condé avaient décidé dans leur sagesse. Puisque le prince de Conti avait épousé M1le de Blois, fille de Mme de la Vallière, pourquoi le duc de Bourbon n'épouserait-il pas Mule de Nantes, fille de Mme de Montespan? Bossuet n'avait qu'à s'incliner en silence devant les desseins de Condé en fait de mariage. N'était-ce pas M. le Prince qui, pour lui donner une marque éclatante de son estime et de son affection, avait marié son frère, M. Antoine Bossuet, avec Mile Renée de Gauréaul du Mont, d'une très ancienne noblesse de Bourgogne et de Lorraine, et fille de Nicolas de Gauréaul du Mont, l'un de ses plus fidèles compagnons d'armes, qui depuis Rocroy l'avait suivi dans toutes ses campagnes et jusque dans l'exil? Mais ce n'était pas sur le projet de mariage que Condé voulait consulter Bossuet, c'était sur l'éducation du futur époux, qui était renversée et qu'il fallait relever.

Nous supposons que Bossuet voulut savoir où en était le duc de

(1) Victor Cousin.

(2) Dangeau, t. I, p. 23.

(3) Chap. IV, no 82.

(4) Mémoires de le Dieu, p. 100.

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