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conjure de vivre paifibles dans le peu de temps que vous avez à jouir de la vie.

Rome eft bien éloignée de vous ; & elle eft riche; vous êtes pauvres ; envoyez-lui encore le peu d'argent que vous avez en lettres de change tirées par les Juifs. Dépouillez-vous pour l'Eglife romaine, vendez vos fourrures pour faire des préfens à NotreDame de Lorette à plus de quinze cents milles de Kaminieck mais n'inondez pas les environs de Kaminieck du fang de vos compatriotes; car nous pouvons vous affurer que Notre-Dame qui vint autrefois de Jérufalem à la Marche d'Ancone par 'les airs, ne vous faura aucun gré d'avoir défolé votre patrie.

Soyez encore très - perfuadés que fon fils n'a jamais commandé du mont des Olives, & du torrent de Cédron, qu'on fe maffacrât pour lui fur les bords de la Viftule.

Votre roi que vous avez choisi d'une voix unanime, a cédé dans une diète folemnelle aux inftances des plus fages têtes de la nation qui ont demandé la tolérance. Une puiffante impératrice le feconde dans cette entreprise, la plus humaine, la plus jufte, la plus glorieufe dont l'efprit humain puisse jamais s'honorer. Ils font les bienfaiteurs de l'humanité entière, n'en foyez pas les deftructeurs. Voudriez-vous n'être que des homicides fanguinaires fous prétexte que vous êtes catholiques?

Votre primat eft catholique auffi. Ce mot veut dire univerfel, quoiqu'en effet la religion catholique ne compofe pas la centième partie de l'univers ; mais ce fage primat a compris que la véritable manière

d'être univerfel eft d'embraffer dans fa charité tous les peuples de la terre, & d'être furtout l'ami de tous fes concitoyens. Il a fu que fi un homme peut en quelque forte, fans blafphème, reffembler à la Divinité, c'eft en chériffant tous les hommes dont DIEU eft également le père. Il a fenti qu'il était patriote polonais avant d'être ferviteur du pape qui eft le ferviteur des ferviteurs de DIEU. Il s'eft uni à plufieurs prélats qui tout catholiques univerfels qu'ils font, ont cru que l'on ne doit pas priver ses frères du droit de citoyens, fous prétexte qu'ils vont au jardin par une autre allée que vous.

Cette augufte impératrice qui vient d'établir la tolérance pour la première de fes lois dans le plus vaite empire de la terre, fe joint à votre roi, à votre primat, à vos principaux palatins, à vos plus dignes évêques, pour vous rendre humains & heureux. Au nom de DIEU & de la nature, ne vous obftinez pas à être barbares & infortunés.

Nous avouons qu'il y a parmi vous de très-favans moines qui prétendent que JESUS ayant été fupplicié à Jérufalem, la religion chrétienne ne doit être foutenue que par des bourreaux, & qu'ayant été vendu trente deniers par Judas, tout chrétien doit les intérêts échus de cet argent à notre faint père le pape fucceffeur de JESUS.

Ils fondent ce droit fur des raifons à la vérité très-plaufibles, & que nous refpectons.

Premièrement, ils difent que l'affemblée étant fondée fur la pierre, & Simon Barjone paysan juif, né auprès d'un petit lac juif, ayant changé fon nom en celui de Pierre, fes fucceffeurs font par conféquent

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la pierre fondamentale, & ont à leur ceinture les clefs du royaume des cieux & celles de tous les coffres-forts. C'eft une vérité dont nous fommes bien loin de difconvenir.

Secondement, ils difent que le juif Simon Barjone la Pierre, fut pape à Rome pendant vingt-cinq ans fous l'empire de Néron qui ne régna que onze années, ce qui eft encore inconteftable.

Troisièmement, ils affirment d'après les plus graves hiftoriens chrétiens qui imprimèrent leurs livres dans ce temps-là, livres connus dans tout l'univers, publiés avec privilége, déposés dans la bibliothèque d'Apollon palatin, & loués dans tous les journaux ; ils affirment, dis-je, que Simon Barjone Cépha la Pierre, arriva à Rome quelque temps après Simon vertu de Dieu, ou vertu - Dieu le magicien, que Simon vertu - Dieu envoya d'abord un de fes chiens faire fès complimens à Simon Barjone, lequel lui envoya fur le champ un autre chien le faluer de sa part; (a) qu'enfuite les deux Simons difputèrent à qui refsusciterait un mort; que Simon vertu - Dieu ne reffufcita le mort qu'à moitié, mais que Simon Barjone le reffufcita entièrement. Cependant felon la maxime dimidium facti qui bene cepit habet, Simon vertu-Dieu ayant opéré la moitié de la réfurrection prétendit que le plus fort étant fait, Simon Barjone n'avait pas eu grand'peine à faire le refte, & qu'ils devaient tous deux partager le prix. C'était au mort d'en juger; mais comme il ne parla point, la difpute reftait indécise. Néron, pour en décider, propofa aux deux reffufciteurs un prix (a) Voyez le Dictionnaire philofophique. Politique & Légif. Tom. II.

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pour celui qui volerait le plus haut fans ailes. Simon vertu - Dieu vola comme une hirondelle; Barjone la Pierre, qui n'en pouvait faire autant, pria le CHRIST ardemment de faire tomber Simon vertu - Dieu & de lui caffer les jambes. Le CHRIST n'y manqua pas. Néron, indigné de cette fupercherie, fit crucifier la Pierre la tête en-bas. C'eft ce que nous racontent Abdias, Marcellus & Egefippus contemporains, les Thucydides & les Xénophons des chrétiens. C'eft ce qui a été regardé comme voifin d'un article de foi, vicinus articulo fidei, pendant plufieurs fiècles, ce que les balayeurs de l'églife de St Pierre nous difent encore, ce que les révérends pères capucins annoncent dans leurs miffions, ce qu'on croit fans doute à Kaminieck.

Un jéfuite de Thorn m'alléguait avant-hier que c'eft le faint ufage de l'Eglife chrétienne, & que JESUS-DIEU, la feconde perfonne de DIEU, a dit charitablement, je fuis venu apporter le glaive & non la paix, je fuis venu pour divifer le fils & le père, la fille & la mère &c., qui n'écoute pas l'affemblée foit comme un paien ou un receveur des deniers publics. L'impératrice de Ruffie, le roi de Pologne, le prince primat n'écoutent pas l'affemblée, donc on doit facrifier le fang de l'impératrice, du roi & du primat au fang de JESUS répandu pour extirper de la terre le péché qui la couvre encore de toutes parts.

Ce bon jefuite fortifia cette apologie en m'apprenant qu'ils eurent en 1724 la confolation de faire pendre, décapiter, rouer, brûler à Torn un très-grand nombre de citoyens, parce que de jeunes écoliers avaient pris chez eux une image de la Vierge

mère de DIEU, & qu'ils l'avaient laiffée tomber dans la boue.

Je lui dis que ce crime était horrible, mais que le châtiment était un peu dur, & que j'y aurais défiré plus de proportion. Ah! s'écria-t-il avec enthoufiafme, on ne peut trop venger la famille a Dieu des vengeances; il ne faurait fe faire juftice lui-même, il faut bien que nous l'aidions. Ce fut un fpectacle admirable, tout était plein; nous donnâmes au fortir du théâtre un grand fouper aux juges, aux bourreaux, aux géoliers, aux délateurs, & à tous ceux qui avaient coopéré à ce faint œuvre. Vous ne pouvez vous faire une idée de la joie avec laquelle tous ces meffieurs racontaient leurs exploits; comme ils fe vantaient, l'un d'avoir dénoncé un de fes parens dont il était héritier, l'autre d'avoir fait revenir les juges à fon opinion quand il conclut à la mort; un troifième & un quatrième d'avoir tourmenté un patient plus long-temps qu'il n'était ordonné. Tous nos pères étaient du fouper; il y eut de très-bonnes plaifanteries; nous citions tous les paffages des pleaumes qui ont rapport à ces exécutions (b) Le Seigneur jufte coupera leurs têles.

(c) Heureux celui qui éventrera leurs petits enfans encore à la mamelle & qui les écrafera contre la pierre &c.

Il m'en cita une trentaine de cette force, après quoi il ajouta: Je n'ai qu'un regret, c'est de n'avoir pas été inquifiteur; il me femble que j'aurais été bien plus utile à l'Eglife. Ah! mon révérend père, lui répondis-je, il y a une place encore plus digne de vous, c'est celle de maître des hautes-œuvres ; (b) P. CXXVIII. (c) Pf. CXXXVI.

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