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eccléfiaftiques de Rome; il les força par l'évidence de la vérité à livrer les coupables au bras féculier; ils furent brûlés le 31 mai 1509 à la porte de Marfilly. Tout le procès eft encore dans les archives de Berne, & il a été imprimé plufieurs fois.

Des fuites de l'efprit de parti & du fanatifme.

Si une fimple dispute de moines a pu produire de fi étranges abominations, ne foyons point étonnés de la foule de crimes que l'efprit de parti a fait naître entre tant de fectes rivales: craignons toujours les excès où conduit le fanatifme. Qu'on laiffe ce monstre en liberté, qu'on ceffe de couper fes griffes & de briser fes dents, que la raison fi fouvent perfécutée fe taise, on verra les mêmes horreurs qu'aux fiècles paffes; le germe fubfifte; fi vous ne l'étouffez pas il couvrira

la terre.

Jugez donc enfin, lecteurs fages, lequel vaut le mieux, d'adorer DIEU avec fimplicité, de remplir tous les devoirs de la fociété fans agiter des queftions auffi funeftes qu'incompréhensibles, & d'être juftes & bienfefans fans être d'aucune faction, que de vous livrer à des opinions fantastiques, qui conduifent les ames faibles à un enthousiasme deftructeur & aux plus déteftables atrocités.

Je ne crois point m'être écarté de mon fujet en rapportant tous ces exemples, en recommandant aux hommes la religion qui les unit & non pas celle qui les divife; la religion qui n'eft d'aucun parti, qui forme des citoyens vertueux & non d'imbécilles scolaftiques; la religion qui tolère & non celle qui

perfécute; la religion qui dit que toute la loi consiste à aimer DIEU & fon prochain, & non celle qui fait de DIEU un tyran & de fon prochain un amas de victimes.

Ne fefons point reffembler la religion à ces nymphes de la fable, qui s'accouplèrent avec des animaux & qui enfantèrent des monftres.

Ce font les moines furtout qui ont perverti les hommes. Le fage & profond Leibnitz l'a prouvé évidemment. Il a fait voir que le dixième fiècle, qu'on appelle le fiècle de fer, était bien moins barbare que le treizième & les fuivans, où naquirent ces multitudes de gueux qui firent vœu de vivre aux dépens des laïques & de tourmenter les laïques. Ennemis du genre-humain, ennemis les uns des autres & d'euxmêmes, incapables de connaître les douceurs de la fociété, il fallait bien qu'ils la haïffent. Ils déploient entr'eux une dureté dont chacun d'eux gémit & que chacun d'eux redouble. Tout moine fecoue la chaîne qu'il s'eft donnée, en frappe fon confrère, & en eft frappé à fon tour. Malheureux dans leurs facrés repaires, ils voudraient rendre malheureux les autres hommes. Leurs cloîtres font le féjour du repentir, de la difcorde & de la haine. Leur jurifdiction fecrète eft celle de Maroc & d'Alger. Ils enterrent pour la vie dans des cachots, ceux de leurs frères qui peuvent les accufer. Enfin ils ont inventé l'inquifition.

Je fais que dans la multitude de ces miférables qui infectent la moitié de l'Europe, & que la féduction, l'ignorance, la pauvreté ont précipités dans des cloîtres à l'âge de quinze ans, il s'eft trouvé des hommes d'un rare mérite, qui fe font élevés au-deffus de leur état,

& qui ont rendu fervice à leur patrie. Mais j'ofe affurer que tous les grands-hommes, dont le mérite a percé du cloître dans le monde, ont tous été perfécutés par leurs confrères. Tout favant, tout homme de génie y effuie plus de dégoûts, plus de traits de l'envie, qu'il n'en aurait éprouvé dans le monde. L'ignorant & le fanatique, qui foutiennent les intérêts de la beface, y ont plus de confidération que n'en aurait le plus grand génie de l'Europe; l'horreur qui règne dans ces cavernes paraît rarement aux yeux des féculiers; & quand elle éclate, c'est par des crimes qui étonnent. On a vu au mois de mai de cette année, huit de ces malheureux qu'on nomme capucins, accufés d'avoir égorgé leur fupérieur dans Paris.

Cependant par une fatalité étrange, des pères, des mères, des filles difent à genoux tous leurs fecrets à ces hommes, le rebut de la nature, qui, tous fouillés de crimes, fe vantent de remettre les péchés des hommes, au nom du DIEU qu'ils font de leurs propres mains.

Combien de fois ont-ils infpiré à ceux qu'ils appellent leurs pénitens, toute l'atrocité de leur caractère? C'eft par eux que font fomentées principalement ces haines religieufes qui rendent la vie fi amère. Les juges qui ont condamné les Calas & les Sirven fe confeffent à des moines: ils ont donné deux moines à Calas pour l'accompagner au fupplice. Ces deux hommes, moins barbares que leurs confrères, avouèrent d'abord que Calas en expirant fur la roue avait invoqué DIEU avec la réfignation de l'innocence: mais quand nous leur avons demandé une atteflation de ce fait, ils

l'ont

l'ont refufée; ils ont craint d'être punis par leurs fupérieurs pour avoir dit la vérité.

Enfin qui le croirait? après le jugement folemnel rendu en faveur des Calas, il s'eft trouvé un jéfuite irlandais (1) qui, dans la plus infipide des brochures, a ofé dire que les défenfeurs des Calas, & les maîtres des requêtes qui ont rendu juftice à leur innocence, étaient des ennemis de la religion.

Les catholiques répondent à tous ces reproches, que les proteftans en méritent d'auffi violens. Les meurtres de Servet & de Barnevelt, difent-ils, valent bien ceux du confeiller Dubourg. On peut opposer la mort de Charles I à celle de Henri III. Les fombres fureurs des presbytériens d'Angleterre, la rage des cannibales des Cévènes, ont égalé les horreurs de la St Barthélemi.

Comparez les fectes, comparez les temps, vous trouverez par-tout, depuis feize cents années, une mefure à peu près égale d'abfurdités & d'horreurs, par-tout des races d'aveugles fe déchirant les uns les autres dans la nuit qui les environne. Quel livre de controverfe n'a pas été écrit avec le fiel? & quel dogme théologique n'a pas fait répandre du fang? C'était la fuite néceffaire de ces terribles paroles : Quiconque n'écoute pas l'Eglife foit regardé comme un païen & un publicain. Chaque parti prétendait être l'Eglife; chaque parti a donc dit toujours: Nous

( 1 ) Cette brochure inconnue dont M. de Voltaire a déjà parlé, est vraisemblablement quelque ouvrage du bon Needham, qui fe croyant un grand homme, parce qu'il avait regardé du sperme & du jus de mouton par le trou de fon microscope, s'était mis à dire fon avis à tort & à travers fur l'autre monde & fur celui-ci.

Politique&Légif. Tom. II.

T

abhorrons les commis de la douane; il nous eft enjoint de traiter quiconque n'eft pas de notre avis, comme les contrebandiers traitent les commis de la douane quand ils font les plus forts. Ainfi par-tout le premier dogme a été celui de la haine.

Lorsque le roi de Pruffe entra pour la première fois dans la Siléfie, une bourgade proteftante, jalouse d'un village catholique, vint demander humblement au roi la permiffion de tout tuer dans ce village. Le roi répondit aux députés : Si ce village venait me demander la permiffion de vous égorger, trouveriezvous bon que je la lui accordaffe? Oh gracieuse majefté! répliquèrent les députés, cela eft bien différent, nous fommes la véritable Eglife.

Remèdes contre la rage des ames.

LA rage du préjugé qui nous porte à croire coupables tous ceux qui ne font pas de notre avis, la rage de la fuperftition, de la perfécution, de l'inquisition, est une maladie épidémique qui a régné en divers temps comme la pefte; voici les préfervatifs reconnus pour les plus falutaires. Faites-vous rendre compte d'abord des lois romaines jusqu'à Théodose, vous ne trouverez pas un feul édit pour mettre à la torture, ou crucifier, ou rouer ceux qui ne font accufés que de penfer différemment de vous, & qui ne troublent point la fociété par des actions de défobéiffance, & par des infultes au culte public autorisé par les lois civiles. Cette première réflexion adoucira un peu les fymptômes de la rage.

Raffemblez plufieurs paffages de Cicéron, &

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