Page images
PDF
EPUB

malheureux prédicans depuis l'année 1745. Les billets .de confeffion ont excité mille troubles; & enfin un malheureux fanatique de la lie du peuple, ayant affaffiné fon roi en 1757, a répondu devant le parlement, à fon premier interrogatoire, (a) qu'il avait commis ce parricide par principe de religion, & il a ajouté ces mots funeftes: Qui n'eft bon que pour foi n'eft bon à rien. De qui les tenait-il? qui fefait parler ainfi un cuiftre de collége, un miférable valet? (b) Il a foutenu à la torture, non-feulement que fon affaffinat était une œuvre méritoire, (c) mais qu'il l'avait entendu dire à tous les prêtres dans la grand'falle du palais où l'on rend la justice.

La contagion du fanatisme fubfifte donc encore. Ce poison est fi peu détruit, qu'un prêtre (d) du pays des Calas & des Sirven a fait imprimer, il y a quelques années, l'apologie de la St Barthélemi. Un autre (e) a publié la juflification des meurtriers du curé Urbain Grandier; & quand le traité auffi utile qu'humain de la tolérance a paru en France, on n'a pas ofé en permettre le débit publiquement. Ce traité a fait à la vérité quelque bien, il a diffipé quelques préjugés, il a infpiré de l'horreur pour les perfécutions & pour le fanatifme; mais dans ce tableau des barbaries religieufes, l'auteur a omis bien des traits qui auraient rendu le tableau plus terrible, & l'inftruction plus frappante.

On a reproché à l'auteur d'avoir été un peu trop

(a) Pag. 131 du procès de Damiens.

(b) Pag. 135. (6) Pag. 405.

(d) L'abbé de Caveirac. (e) L'abbé de la Menardaye.

loin, lorfque, pour montrer combien la perfécution est déteftable & infenfée, il introduit un parent de Ravaillac propofant au jéfuite le Tellier d'empoifonner tous les janféniftes. Cette fiction pourrait en effet paraître trop outrée à quiconque ne fait pas jufqu'où peut aller la rage folle du fanatifme. On fera bien furpris quand on apprendra que ce qui eft une fiction dans le Traité de la tolérance, eft une vérité hiftorique.

On voit en effet dans l'Hifloire de la réformation de Suiffe, que pour prévenir le grand changement qui était prêt d'éclater, des prêtres fubornèrent à Genève, en 1536, une servante, pour empoifonner trois principaux auteurs de la réforme, & que le poifon n'ayant pas été affez fort, ils en mirent un plus violent dans le pain & le vin de la communion publique, afin d'exterminer en un feul matin tous les nouveaux réformés, & de faire triompher l'Eglife de Dieu. (ƒ)

L'auteur du Traité de la tolérance n'a point parlé des fupplices horribles dans lefquels on a fait périr tant de malheureux aux vallées du Piémont. Il a paffé fous filence le maffacre de fix cents habitans de la Valteline,. hommes, femmes, enfans que les catholiques égorgèrent un dimanche, au mois de feptembre 1620. Je ne dirai pas que ce fut avec l'aveu & avec le fecours de l'archevêque de Milan Charles Borromée, dont on a fait un faint. Quelques écrivains paffionnés ont affuré ce fait que je fuis très-loin de croire, mais je dis qu'il n'y a guère dans l'Europe de ville & de bourg où le fang n'ait coulé pour des querelles de religion;

(f) Ruchat, tom. I, pag. 2, 4, 5, 6 & 7. Rofet, tom. III, p. 13. Savion, tom. III, pag. 126. Miff. Choust, pag. 26, avec les preuves du procès.

je dis que l'efpèce humaine en a fenfiblement diminué, parce qu'on maffacrait les femmes & les filles, auffibien que les hommes je dis que l'Europe ferait plus peuplée d'un tiers, s'il n'y avait point eu d'argumens théologiques. Je dis enfin que loin d'oublier ces temps abominables, il faut les remettre fréquemment fous nos yeux, pour en infpirer une horreur éternelle, & que c'eft à notre fiècle à faire amende honorable par la tolérance, pour ce long amas de crimes que l'intolérance a fait commettre pendant feize fiècles de barbarie.

Qu'on ne dife donc point qu'il ne reste plus de traces du fanatifme affreux de l'intolérantifme; elles font encore par-tout, elles font dans les pays mêmes qui paffent pour les plus humains. Les prédicans luthériens & calviniftes, s'ils étaient les maîtres, feraient peut-être auffi impitoyables, auffi durs, auffi infolens qu'ils reprochent à leurs antagonistes de l'être. La loi barbare qu'aucun catholique ne peut demeurer plus de trois jours dans certains pays proteftans, n'eft point encore révoquée. Un italien, un français, un autrichien ne peut pofféder une maison, un arpent de terre dans leur territoire, tandis qu'au moins on permet en France qu'un citoyen inconnu de Genève ou de Schaffouse achète des terres feigneuriales. Si un français au contraire voulait acheter un domaine dans les républiques proteftantes dont je parle, & fi le gouvernement fermait fagement les yeux, il y a encore des ames de boue qui s'élèveraient contre cette humanité tolérante,

De ce qui fomente principalement l'intolérance, la haine & l'injuftice.

UN des grands alimens de l'intolérance, & de la haine des citoyens contre leurs compatriotes, eft ce malheureux ufage de perpétuer les divifions par des monumens & par des fêtes. Telle eft la proceffion annuelle de Toulouse, dans laquelle on remercie DIEU folemnellement de quatre mille meurtres : elle a été défendue pár plufieurs ordonnances de nos rois, & n'a point été encore abolie. On infulte dévotement chaque année la religion & le trône par cette cérémonie barbare; l'infulte redouble à la fin du fiècle avec la folemnité. Ce font-là les jeux féculaires de Toulouse: elle demande alors une indulgence plénière au pape en faveur de la proceffion. Elle a befoin fans doute d'indulgence, mais on n'en mérite pas quand on éternife le fanatisme.

La dernière cérémonie féculaire fe fit en 1762, au temps même où l'on fit expirer Calas fur la roue. On remerciait DIEU d'un côté, & de l'autre on maffacrait l'innocence. La poftérité pourra-t-elle croire à quel excès fe porte de nos jours la fuperstition dans cette malheureuse folemnité?

D'abord les favetiers, en habit de cérémonie, portent la tête du premier évêque de Toulouse, prince du Péloponéfe, qui fiégeait inconteftablement à Toulouse avant la mort de JESUS-CHRIST. Enfuite viennent les couvreurs chargés des os de tous les enfans qu'Hérode fit égorger, il y a dix-fept cents foixante & fix ans ; &c quoique ces enfans aient été enterrés à Ephèfe, comme

les onze mille vierges à Cologne, au vu & au fu de tout le monde, ils n'en font pas moins enchâffés à Toulouse.

Les fripiers étalent un morceau de la robe de la vierge.

Les reliques de St Pierre & de St Paul font portées par les frères tailleurs.

Trente corps morts paraiffent enfuite dans cette marche. Plût-à-DIEU qu'on s'en tînt à ces fpectacles! La piété trompée n'en eft pas moins piété. Le fot peuple peut à toute force remplir fes devoirs (furtout quand la police eft exacte) quoiqu'il porte en proceffion les os des quatorze mille enfans tués par l'ordre fenfé d'Hérode dans Bethleem. Mais tant de corps morts, qui ne fervent en ce jour qu'à renouveler la mémoire de quatre mille citoyens égorgés en 1562, ne peuvent faire fur les cerveaux des vivans qu'une impreffion funefte. Ajoutez que les pénitens blancs & noirs, marchans à cette proceffion avec un mafque de drap fur le vifage, reffemblent à des revenans qui augmentent l'horreur de cette fête lugubre. On en fort la tête remplie de fantômes, le cœur faifi de l'efprit de fanatifme, & rempli de fiel contre fes frères que cette proceffion outrage. C'est ainfi qu'on fortait autrefois de la chambre des méditations chez les jéfuites; l'imagination s'enflamme à ces objets, l'ame devient atroce & implacable.

Malheureux humains! ayez des fêtes qui adouciffent les mœurs, qui portent à la clémence, à la douceur, à la charité. Célébrez la journée de Fontenoi, où tous les ennemis bleffés furent portés avec les nôtres

« PreviousContinue »