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AVIS AU PUBLIC

Sur les parricides imputés aux Calas & aux Sirven.

VOLLA donc en France deux accufations de parricides pour caufe de religion dans la même année, & deux familles juridiquement immolées par le fanatifme. Le même préjugé qui étendait Calas fur la roue à Toulouse, traînait à la potence la famille entière de Sirven, dans une jurisdiction de la même province; & le même défenfeur de l'innocence, M. Elie de Beaumont, avocat au parlement de Paris, qui a justifié les Calas, vient de juftifier les Sirven par un mémoire figné de plufieurs avocats; mémoire qui démontre que le jugement contre les Sirven eft encore plus abfurde que l'arrêt contre les Calas.

Voici en peu de mots le fait, dont le récit fervira d'inftruction pour les étrangers qui n'auront pu lire encore le factum de l'éloquent M. de Beaumont.

En 1761, dans le temps même que la famille proteftante des Calas était dans les fers, accufée d'avoir affaffiné Marc-Antoine Calas qu'on fuppofait vouloir embraffer la religion catholique, il arriva qu'une fille du fieur Paul Sirven, commiffaire à terrier du pays de Caftres, fut préfentée à l'évêque de Caftres par une femme qui gouverne fa maison. L'évêque apprenant que cette fille était d'une famille calvinifte, la fait enfermer à Caftres, dans une espèce de couvent qu'on appelle la maison des régentes. On inftruit à coups de

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fouet cette jeune fille dans la religion catholique, on la meurtrit de coups, elle devient folle, elle fort de fa prifon, & quelque temps après, elle va fe jeter dans un puits, au milieu de la campagne, loin de la maison de fon père, vers un village nommé Mazamet. Auffitôt le juge du village raifonne ainfi On va rouer à Touloufe Calas, & brûler fa femme, qui fans doute ont pendu leur fils de peur qu'il n'allât à la messe; je dois donc, à l'exemple de mes fupérieurs, en faire autant des Sirven qui fans doute ont noyé leur fille pour la même cause. Il est vrai que je n'ai aucune preuve que le père, la mère & les deux fœurs de cette fille l'aient affaffinée; mais j'entends dire qu'il n'y a pas plus de preuves contre les Calas, ainfi je ne rifque rien. Peut-être c'en ferait trop pour un juge de village de rouer & de brûler; j'aurai au moins le plaifir de pendre toute une famille huguenote, & je ferai payé de mes vacations fur leurs biens confifqués. Pour plus de fureté, ce fanatique imbécille fait vifiter le cadavre par un médecin auffi favant en phyfique que le juge l'eft en jurifprudence. Le médecin tout étonné de ne point trouver l'eftomac de la fille rempli d'eau & ne fachant pas qu'il eft impoffible que l'eau entre dans un corps dont l'air ne peut fortir, conclut que la fille a été affommée & enfuite jetée dans le puits. Un dévot du voisinage affure que toutes les familles proteftantes font dans cet ufage. Enfin, après bien des procédures auffi irrégulières que les raisonnemens étaient abfurdes, le juge décrète de prife de corps le père, la mère, les fœurs de la décédée. A cette nouvelle Sirven affemble fes amis; tous font certains de fon innocence, mais l'aventure des Calas rempliffait toute

la province de terreur : ils confeillent à Sirven de ne point s'expofer à la démence du fanatifme: il fuit. avec fa femme & fes filles ; c'était dans une faifon rigoureuse. Cette troupe d'infortunés eft dans la néceffité de traverser à pied des montagnes couvertes de neige; une des filles de Sirven, mariée depuis un an, accouche fans fecours dans le chemin, au milieu des glaces. Il faut que, toute mourante qu'elle eft, elle emporte fon enfant mourant dans fes bras. Enfin, une des premières nouvelles que cette famille apprend quand elle eft en lieu de fureté, c'est que le père & la mère font condamnés au dernier fupplice, & que les deux fœurs déclarées également coupables font bannies à perpétuité; que leur bien eft confifqué, & qu'il ne leur refte plus rien au monde que l'opprobre & la mifère.

C'est ce qu'on peut voir plus au long dans le chefd'œuvre de M. de Beaumont, avec les preuves complètes de la plus pure innocence & de la plus déteftable injuftice.

La Providence qui a permis que les premières tentatives qui ont produit la juftification de Calas, mort fur la roue en Languedoc, vinffent du fond des montagnes & des déferts voifins de la Suiffe, a voulu encore que la vengeance des Sirven vînt des mêmes folitudes. Les enfans de Calas s'y réfugièrent, la famille de Sirven y chercha un afile dans le même temps. Les hommes compatiffans & vraiment religieux, qui ont eu la confolation de fervir ces deux familles infortunées, & qui les premiers ont refpecé leurs défaftres & leur vertu, ne purent alors faire préfenter des requêtes pour les Sirven comme pour les Calas,

parce que le procès criminel contre les Sirven s'inftruifit plus lentement & dura plus long-temps. Et puis comment une famille errante,à quatre cents milles de fa patrie, pouvait-elle recouvrer les pièces néceffaires à fa juftification? que pouvaient un père accablé, une femme mourante, & qui en effet eft morte de sa douleur, & deux filles auffi malheureuses que le père & la mère? Il fallait demander juridiquement la copie de leur procès; des formes peut-être néceffaires, mais dont l'effet eft fouvent d'opprimer l'innocent & le pauvre, ne le permettaient pas. Leurs parens intimidés n'ofaient même leur écrire; tout ce que cette famille put apprendre dans un pays étranger, c'eft qu'elle avait été condamnée au fupplice dans fa patrie. Si on favait combien il a fallu de foins & de peines pour arracher enfin quelques preuves juridiques en leur faveur, on en ferait effrayé. Par quelle fatalité eft-il fi aifé d'opprimer & fi difficile de fecourir?

On n'a pu employer pour les Sirven les mêmes formes de juftice dont on s'eft fervi pour les Calas parce que les Calas avaient été condamnés par un parlement, & que les Sirven ne l'ont été que par des juges fubalternes, dont la fentence reffortit à ce même parlement. Nous ne répéterons rien ici de ce qu'a dit l'éloquent & généreux M. de Beaumont; mais ayant confidéré combien ces deux aventures font étroitement unies à l'intérêt du genre-humain, nous avons cru qu'il eft du même intérêt d'attaquer dans fa fource le fanatifme qui les a produites. Il ne s'agit que de deux familles obfcures; mais quand la créature la plus ignorée meurt de la même contagion qui a long-temps désolé la terre, elle avertit le monde entier que ce

poison fubfifte encore. Tous les hommes doivent fe tenir fur leurs gardes; & s'il eft quelques médecins, ils doivent chercher les remèdes qui peuvent détruire les principes de la mortalité univerfelle.

Il fe peut encore que les formes de la jurisprudence ne permettent pas que la requête des Sirven foit admife au confeil du roi de France, mais elle l'eft par le public; ce juge de tous les juges a prononcé. C'est donc à lui que nous nous adreffons; c'eft d'après lui que nous allons parler.

Exemples du fanatisme en général.

LE genre-humain a toujours été livré aux erreurs: toutes n'ont pas été meurtrières. On a pu ignorer que notre globe tourne autour du foleil; on a pu croire aux difeurs de bonne aventure, aux revenans; on a pu croire que les oiseaux annoncent l'avenir, qu'on enchante les ferpens, que l'on peut faire naître des animaux bigarrés, en présentant aux mères des objets diversement colorés; on a pu fe perfuader que dans le décours de la lune la moëlle des os diminue, que les graines doivent pourrir pour germer &c. Ces inepties au moins n'ont produit ni perfécutions, ni difcordes, ni meurtres,

Il eft d'autres démences qui ont troublé la terre, d'autres folies qui l'ont inondée de fang. On ne fait point affez, par exemple, combien de miférables ont été livrés aux bourreaux par des juges ignorans, qui les condamnèrent aux flammes tranquillement & fans fcrupule, fur une accufation de forcellerie. Il n'y a

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