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jambe droite, il a remarqué fracture complète des deux os de la jambe ; qu'il a continué de la voir & de la panfer depuis ce temps, & lui adminiftrer tous les fecours relatifs à fon état ; qu'elle n'a jamais été en danger de perdre la vie par l'effet de ladite chute, qu'il n'y a eu qu'une excoriation fur la crête du tibia, & que la malade a toujours été de mieux en mieux; qu'il eft à fa connaiffance que ledit père Irénée a confeffé ladite Viguiere depuis ledit acccident; laquelle déclaration il fait pour rendre hommage à la vérité, & a figné en la minute des préfentes.

Eft auffi furvenu & comparu par-devant nous, en la chambre où nous fommes, Pierre-Guillaume Garilland, religieux, prêtre de l'ordre des auguftins de la province de France, établis à Paris près la place des victoires, nommé en religion Irénée de Ste Thérèse, définiteur de la fufdite province, demeurant audit couvent; lequel nous a dit, déclaré & certifié que ladite Jeanne Viguiere vient à lui fe confeffer depuis trois ans ou environ; que chaque année elle s'eft acquittée du devoir pafcal, & que diverfes fois dans le courant defdites années, pour fatisfaire à fa piété, vu fa conduite régulière, il lui a permis la fainte communion; qu'enfin depuis le fâcheux accident qui eft arrivé à ladite Viguière, il eft venu la confeffer, & a continué de remarquer en elle les mêmes fentimens de religion & de piété comme par le paffé; laquelle déclaration ledit révérend père Irénée nous fait pour rendre hommage à la vérité & a figné à la minute.

Sur quoi, nous confeiller du roi, commiffaire au châtelet, fufdit & fouffigné, avons donné acte à ladite Viguière, audit fieur Botentuit & audit révérend père

Irénée

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Irénée, de leur déclaration ci-deffus, pour fervir & valoir ce que de raifon ; & avons figné en la minute reftée en nos mains. Hugues commiffaire, figné.

N. B. Cette calomnie avait été publiée dans tout le Languedoc, & elle était répandue dans Paris par le nommé Fréron, pour empêcher M. de Voltaire de pourfuivre la juftification des Sirven accufés du même crime que les Calas. Tous ceux qui auront lu cette feuille authentique font priés de la conferver comme un monument de la rage abfurde du fanatifme.

LETTRE

A M. d'Alembert fur les Calas & les Sirven.

J'AI

Premier mars 1765.

'AI dévoré, mon cher ami, le nouveau mémoire de M. de Beaumont fur l'innocence des Calas ; je l'ai admiré, j'ai répandu des larmes, mais il ne m'a rien appris; il y a long-temps que j'étais convaincu, & j'avais eu le bonheur de fournir les premières

preuves.

Vous voulez favoir comment cette réclamation de toute l'Europe contre le meurtre juridique du malheureux Calas, roué à Touloufe, a pu venir d'un petit coin de terre ignoré, entre les Alpes & le mont Jura, à cent lieues du théâtre où se passa cette fcène épouvantable.

Rien ne fera peut-être mieux voir la chaîne
Politique & Légif. Tome II.

R

infenfible qui lie tous les événemens de ce malheureux monde.

Sur la fin de mars 1762, un voyageur qui avait paffé par le Languedoc, & qui vint dans ma retraite à deux lieues de Genève, m'apprit le fupplice de Calas, & m'affura qu'il était innocent. Je lui répondis que fon crime n'était pas vraisemblable, mais qu'il était moins vraisemblable encore que des juges euffent fans aucun intérêt fait périr un innocent par le fupplice de la roue.

J'appris le lendemain qu'un des enfans de ce malheureux père s'était réfugié en Suiffe affez près de ma chaumière. Sa fuite me fit préfumer que la famille était coupable. Cependant je fis réflexion que le père avait été condamné au fupplice comme ayant feul affaffiné fon fils pour la religion, & que ce père était mort âgé de foixante-neuf ans. Je ne me fouviens pas d'avoir jamais lu qu'aucun vieillard cût été poffédé d'un fi horrible fanatifme. J'avais toujours remarqué que cette rage n'attaquait d'ordinaire que la jeuneffe, dont l'imagination ardente, tumultueufe & faible s'enflamme par la fuperftition. Les fanatiques des Cévènes étaient des fous de vingt à trente ans, stylés à prophétifer dès l'enfance. Prefque tous les convulfionnaires que j'avais vus à Paris en très-grand nombre étaient de petites filles & de jeunes garçons. Les vieillards chez les moines font moins emportés & moins fufceptibles des fureurs du zèle que ceux qui fortent du noviciat. Les fameux affaffins armés par le fanatifme ont tous été de jeunes gens, de même que tous ceux qui ont prétendu être poffédés; jamais on n'a vu exorcifer un

vieillard. Cette idée me fit douter d'un crime qui d'ailleurs n'eft guère dans la nature. J'en ignorais les circonftances.

Je fis venir le jeune Calas chez moi. Je m'attendais à voir un énergumène tel que fon pays en a produit quelquefois. Je vis un enfant fimple, ingénu, de la phyfionomie la plus douce & la plus intéreffante, & qui en me parlant fefait des efforts inutiles pour retenir fes larmes. Il me dit qu'il était à Nîmes en apprentiffage chez un fabricant, lorsque la voix publique lui avait appris qu'on allait condamner dans Toulouse toute fa famille au fupplice; que prefque tout le Languedoc la croyait coupable, & que pour fe dérober à des opprobres fi affreux, il était venu fe cacher en Suiffe.

Je lui demandai fi fon père & fa mère étaient d'un caractère violent; il me dit qu'ils n'avaient jamais battu un feul de leurs enfans, & qu'il n'y avait point de parens plus indulgens & plus tendres.

J'avoue qu'il ne m'en fallut pas davantage pour préfumer fortement l'innocence de la famille. Je pris de nouvelles informations de deux négocians de Genève d'une probité reconnue, qui avaient logé à Toulouse chez Calas. Ils me confirmèrent dans mon opinion. Loin de croire la famille Calas fanatique & parricide, je crus voir que c'étaient des fanatiques qui l'avaient accufée & perdue. Je favais depuis long-temps de quoi l'efprit de parti & la calomnie font capables.

Mais quel fut mon etonnement lorsqu'ayant écrit en Languedoc fur cette étrange aventure, catholiques & proteftans me répondirent qu'il ne fallait

pas douter du crime des Calas. Je ne me rebutai point. Je pris la liberté d'écrire à ceux même qui avaient gouverné la province, à des commandans de provinces voifines, à des miniftres d'Etat ; tous me confeillèrent unanimement de ne me point mêler d'une fi mauvaise affaire; tout le monde me condamna & je perfiftai: voici le parti que je pris.

La veuve de Calas, à qui pour comble de malheur & d'outrage on avait enlevé fes filles, était retirée dans une folitude où elle fe nourriffait de fes larmes, & où elle attendait la mort. Je ne m'informai point fi elle était attachée ou non à la religion proteftante, mais feulement fi elle croyait un DIEU rémunérateur de la vertu & vengeur des crimes. Je lui fis demander fi elle fignerait au nom de ce DIEU que fon mari était mort innocent; elle n'héfita pas. Je n'hésitai pas non plus. Je priai M. Mariette de prendre au confeil du roi fa défenfe. Il fallait tirer madame Calas de la retraite & lui faire entreprendre le voyage de Paris.

On vit alors que s'il y a de grands crimes fur la terre, il y a autant de vertus ; & que fi la fuperftition produit d'horribles malheurs, la philofophie les repare.

Une dame dont la générofité égale la haute naiffance, (*) qui était alors à Genève pour faire inoculer fes filles, fut la première qui fecourut cette famille infortunée; des français retirés en ce pays la fecondèrent. Des anglais qui voyageaient fe fignalèrent; & comme le dit M. de Beaumont, il y eut un combat de

(*) Madame la ducheffe d'Enville.

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