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,, arrêts dément l'autre ; j'avoue que fi j'ai fait , mourir le père fur la roue, j'ai eu tort de me ,, borner à bannir le fils, & j'avoue qu'en effet j'ai ,, à me reprocher le bannissement du fils, la mort ,, effroyable du père, & les fers dont j'ai chargé ,, une mère respectable & le jeune Lavaisse pendant " fix mois.

,, Si nous n'avons pas voulu montrer la procé,, dure à ceux qui nous l'ont demandée, c'est qu'elle était effacée par nos larmes ; ajoutons à ces ,, larmes la réparation qui est due à une honnête

famille que nous avons précipitée dans la défo"lation & dans l'indigence; je ne dirai pas dans ,, l'opprobre, car l'opprobre n'eft pas le partage

des innocens; rendons à la mère le bien que ce " procès abominable lui a ravi. J'ajouterais, deman"dons - lui pardon; mais qui de nous oferait ,, foutenir fa présence?

,, Recevons du moins des remontrances publiques, " fruit lamentable d'une publique injuftice; nous " en fefons au roi quand il demande à fon peuple "des fecours abfolument indifpenfables, pour , défendre ce même peuple du fer de ses ennemis; "ne foyons pas étonnés que la terre entière nous ,, en faffe quand nous avons fait mourir le plus ,, innocent des hommes; ne voyons-nous pas que ›› ces remontrances font écrites de fon fang?,,

Il eft à croire que les juges ont fait plufieurs fois en fecret ces réflexions. Qu'il ferait beau de s'y livrer! & qu'ils font à plaindre fi une faufse honte les a étouffées dans leur cœur!

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DECLARATION JURIDIQUE

De la fervante de Mme Calas, au fujet de la nouvelle calomnie qui perfecute encore cette vertueufe famille. (6)

L'AN 1767, le dimanche 29 mars, trois heures de relevée, nous Jean-François Hugues conseiller du roi, commiffaire enquêteur, examinateur au châtelet de Paris, fur la réquifition qui nous a été faite de la part de Jeanne Viguiere, ci-devant domestique des fieur & dame Calas, de nous tranfporter au lieu de fon domicile pour y recevoir fa déclaration fur certains

(6) En 1767 la fervante catholique de l'infortuné Calas s'étant caffè la jambe, les zėlės imaginèrent de répandre le bruit qu'elle était morte des fuites de fa chute, & qu'elle avait déclaré en mourant que son maître était coupable du meurtre de fon fils. Ce bruit fut adopté avidement par les pénitens & le refle de la populace de Toulouse. Fréron, dont la plume était vendue à toutes les calomnies que l'efprit de fanatifme avait interêt d'accréditer, infera cette nouvelle dans fes feuilles périodiques. Il importait de la détruire non-feulement pour l'honneur de la famille de Calas, mais pour fauver celle de Sirven, qui demandait alors justice contre un jugement également ridicule & inique, que le fanatifme avait infpiré à un juge imbécille.

Cette anecdote eft une preuve de ce que le faux zèle ose se permettre, de la baffeffe avec laquelle les infeâes de la littérature se prêtent à ces infames manœuvres, de ce qu'enfin on aurait à craindre même dans notre fiècle, fi le zèle éclairé qui anime les amis de l'humanité pouvait ceffer un moment d'avoir les yeux ouverts fur les crimes du fanatifme, & les manoeuvres de l'hypocrific.

Nous avons cru devoir joindre ici cette déclaration aux autres pièces relatives à l'affaire de Calas: elle eft également néceffaire, & pour completer cette funefte hiftoire, & pour montrer que c'est moins à l'erreur personnelle des juges, qu'à l'atrocite de l'efprit perfécuteur qu'il faut attribuer le meurtre de ce père infortunė.

faits, nous nous fommes en effet tranfportés rue neuve & paroiffe St Euftache, en une maison appartenante à M. Langlois confeiller au grand-confeil, dont le troifième étage eft occupé par la dame veuve du fieur Jean Calas marchand à Touloufe; & étant montés chez ladite dame Calas, elle nous a fait conduire dans une chambre au quatrième étage, ayant vue fur la rue, où étant parvenus nous avons trouvé ladite Jeanne Viguière dans fon lit, par l'effet de la chute dont va être parlé, ayant une garde à côté d'elle, que nous avons fait retirer; laquelle Jeanne Viguière, après ser→ ment par elle fait & prêté en nos mains de dire la vérité, nous a dit & déclaré que le lundi 16 février dernier, fur les quatre heures après-midi, étant fortie pour aller rue Montmartre, elle eut le malheur de tomber dans ladite rue, & de fe caffer la jambe droite; que plufieurs perfonnes étant accourues à fon fecours, elle fut transportée fur le champ chez ladite dame Calas fon ancienne maîtreffe, où elle a toujours confervé fa demeure depuis qu'elle eft à Paris, laquelle envoya chercher le fieur Botentuit oncle, maître en chirurgie, qui lui remit la jambe; que ladite dame Calas lui a donné une garde qui eft celle qui vient de fe retirer, laquelle ne l'a point quittée depuis cet accident; que le fieur Botentuit a continué de venir lui donner les foins dépendans de fon état, lefquels ont été fi heureux qu'elle n'a eu aucun accès de fièvre, qu'elle eft actuellement à fon quarante-unième jour, fans qu'il lui foit furvenu aucun autre accident ; qu'elle a reçu de ladite dame Calas tous les fecours qu'elle pouvait efpérer d'une ancienne maîtreffe, dont elle a éprouvé dans tous les temps mille marques de

bonté; qu'elle a appris avec la plus grande surprise qu'on avait débité dans le monde qu'elle Jeanne Viguiere était morte, & que dans fes derniers momens elle avait déclaré devant notaires qu'étant chez le feu fieur Jean Calas fon maître, elle avait embrassé la religion proteftante; & que par un prétendu zèle pour cette religion, elle avait, conjointement avec ledit fieur Calas, fa famille & le fieur Lavaiffe, donné la mort à Marc-Antoine Calas; qu'enfuite ayant été conftituée prifonnière, elle avait feint d'être toujours catholique, afin de n'être point foupçonnée de fauver fa vie, & par fon témoignage, celle de tous les autres accufés; mais que se trouvant au moment de mourir, elle était rentrée dans les fentimens de la foi catholique, & qu'elle s'était crue obligée de déclarer la vérité qu'elle avait cachéc, dont elle était, dit-on, fort repentante.

Que pour arrêter les fuites que pourrait avoir cette impofture, ladite Jeanne Viguiere a cru devoir recourir à notre ministère, & requérir notre tranfport, pour nous déclarer, comme elle le fait préfentement en fon ame & confcience, que rien n'eft plus faux que le bruit dont elle vient de nous rendre compte ; que fon accident ne l'a jamais mife dans aucun danger de mort, mais que quand cela aurait été, elle n'aurait jamais fait la déclaration qu'on ofe lui attribuer puisqu'il eft vrai, ainfi qu'elle l'a toujours foutenu & qu'elle le foutiendra jufqu'au dernier inftant de fa vie, que ledit feu fieur Jean Calas, la dame fon épouse, le fieur Jean-Pierre Calas & le fieur Lavaisse n'ont contribué en aucune manière à la mort de MarcAntoine Calas; qu'elle fe croit même obligée de nous déclarer que le feu fieur Jean Calas était moins capable

que perfonne d'un pareil crime, l'ayant toujours connu d'un caractère très-doux, & rempli de tendresse pour les enfans; que d'ailleurs le motif qu'on a donné à la mort de Marc-Antoine Calas & à la prétendue haine de fon père eft faux, puifque ladite Jeanne Viguiere a connaiffance que ce jeune-homme n'avait pas changé de religion, & qu'il avait continué jufqu'à la veille de fa mort les exercices de la religion proteftante. Que pour ce qui concerne elle Jeanne Viguière, elle n'a pas, grâces à DIEU, ceffé un feul inftant de faire profeffion de la religion catholique, apoftolique & romaine, dans laquelle elle entend vivre & mourir ; qu'elle a pour confeffeur le révérend père Irénée, auguftin de la place des victoires; que ledit révérend père Irénée, ayant été inftruit de fon accident, est venu la voir le dimanche 8 du préfent mois de mars; qu'il peut rendre compte de fes fentimens & de fa créance. De laquelle déclaration ladite Jeanne Viguière nous a requis & demandé acte, & lecture lui en ayant été faite par nous confeiller-commiffaire, elle a déclaré contenir vérité, & a déclaré ne favoir écrire ni figner, de ce interpellée suivant l'ordonnance, ainsi qu'il eft dit dans la minute.

Et à l'inftant eft furvenu & comparu par-devers nous, en la chambre où nous fommes, fieur PierreLouis Botentuit Langlois, maître en chirurgie & ancien chirurgien-major des armées du roi, demeurant rue Montmartre paroiffe St Euftache, lequel nous a attefté & déclaré que le 16 février dernier, entre sept & huit heures du foir, il a été requis & s'eft transporté chez ladite dame Calas, au fujet de l'accident qui venait d'arriver à ladite Jeanne Viguière; qu'ayant vifité sa

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