Page images
PDF
EPUB

inventèrent l'appel comme d'abus, qui déférèrent au concile de Pife Jules II ce prêtre foldat, ce boute-feu de l'Europe, qui s'élevèrent fi hautement contre les crimes d'Alexandre VI, & qui depuis leur inftitution furent les gardiens des lois, & les organes de la juftice.

L'honneur de l'ancienne chevalerie gouvernait alors la grand'chambre, compofée originairement de nobles, égaux pour le moins à ces feigneurs étrangers qui vous ont fubjugués, qui vous tyrannifent & qui vous payent.

Vous avez vendu ma tête; le prix fera bien médiocre, la honte fera grande mais en vous vendant aux Guifes, vous vous êtes mis au-deffus de la honte.

Votre jugement contre quelques autres de nos confrères et moins cruel, mais il n'eft ni moins abfurde, ni moins ignominieux. Vous condamnez le fage Paul de Foix & l'intrépide Dufaur à demander pardon à DIEU, au roi & à la juftice, d'avoir dit qu'il faut convertir les réformateurs par des raisons, par des mœurs pures, & non par des fupplices. Et pour joindre le ridicule à l'atrocité de vos arrêts, vous ordonnez que Paul de Foix déclare devant les chambres affemblées que la forme eft inféparable de la matière dans l'euchariftie. Qu'a de commun ce galimatias péripatétique avec la religion chrétienne, avec les lois du royaume, avec les devoirs d'un magiftrat, avec le bon fens? De quoi vous mêlezvous? eft-ce à vous de faire les théologiens? n'eft-ce pas affez des abfurdités de Cujas & de Bartole, fans

y comprendre encore celles de Thomas d'Aquin, de Scot & de Bonaventure?

Ne rougiffez-vous pas de croupir aujourd'hui dans l'ignorance du quatorzième & du quinzième fiècles, quand le refte du monde commence à s'éclairer? Serez-vous toujours tels que vous étiez fous Louis XI, quand vous fîtes faifir les premières éditions imprimées de l'évangile & de l'imitation de JESUS-CHRIST, que vous apportaient de la basse Allemagne les inventeurs de ce grand art? vous prîtes ces hommes admirables pour des forciers ; vous commençâtes leur procès criminel leurs ouvrages furent perdus ; & le roi, pour fauver l'honneur de la France, fut obligé d'arrêter vos procédures & de leur payer leurs livres. Vous êtes depuis long-temps enfoncés dans la fange de notre antique barbarie. Il est triste d'être ignorans, mais il est affreux d'être lâches & corrompus.

Ma vie eft peu de chofe, je vous l'abandonne; votre arrêt eft digne du temps où nous fommes. Je prévois des temps où vous ferez encore plus coupables; & je meurs avec la confolation de n'être pas témoin de ces temps infortunés.

ON DOIT

TROMPER LE PEUPLE.

CEST

'EST une très-grande question, mais peu agitée, de favoir jufqu'à quel degré le peuple, c'est-à-dire neuf parts du genre-humain fur dix, doit être traité comme des finges. La partie trompante n'a jamais bien examiné ce problème délicat ; & de peur de se méprendre au calcul, elle a accumulé tout le plus de vifions qu'elle a pu dans les têtes de la partie trompée.

Les honnêtes gens qui lifent quelquefois Virgile, ou les Lettres provinciales, ne favent pas qu'on tire vingt fois plus d'exemplaires de l'almanach de Liége & du courrier boiteux, que de tous les bons livres anciens & modernes. Perfonne affurément n'a une vénération plus fincère que moi pour les illuftres auteurs de ces almanachs & pour leurs confrères. Je fais que depuis le temps des anciens Chaldéens, il y a des jours & des momens marqués pour prendre médecine, pour fe couper les ongles, pour donner bataille, & pour fendre du bois. Je fais que le plus fort revenu, par exemple, d'une illuftre académie confifte dans la vente des almanachs de cette espèce. Oferai-je, avec toute la foumiffion poffible, & toute la défiance que j'ai de mon avis, demander quel mal il arriverait au genre-humain, fi quelque puissant aftrologue apprenait aux paysans & aux bons bourgeois des petites villes, qu'on peut fans rien risquer

fe couper les ongles quand on veut, pourvu que ce foit dans une bonne intention? Le peuple, me répondra-t-on, ne prendrait point des almanachs de ce nouveau venu. J'ofe préfumer au contraire qu'il fe trouverait parmi le peuple de grands génies qui fe feraient un mérite de fuivre cette nouveauté. Si on me réplique que ces grands génies feraient des factions, & allumeraient une guerre civile, je n'ai plus rien à dire, & j'abandonne pour le bien de la paix mon opinion hasardée.

Tout le monde connaît le roi de Boutan. C'eft un des plus grands princes du monde. Il foule à fes pieds les trônes de la terre ; & fes fouliers, s'il en a, ont des fceptres pour agrafes. Il adore le diable, comme on fait, & lui eft fort dévot, auffi-bien que fa cour. Il fit venir un jour un fameux fculpteur de mon pays pour lui faire une belle ftatue de Belzebuth. Le sculpteur réuffit parfaitement; jamais le diable n'a été fi beau: mais malheureusement notre Praxitele n'avait donné que cinq griffes à fon animal, & les Boutaniers lui en donnaient toujours fix. Cette énorme faute du sculpteur fut relevée par le grandmaître des cérémonies du diable, avec tout le zèle d'un homme justement jaloux des droits de fon patron & de l'ufage immémorial & facré du royaume de Boutan. Il demanda la tête du fculpteur. Celui-ci répondit que ces cinq griffes pefaient tout juste le poids des fix griffes ordinaires; & le roi de Boutan, qui eft fort indulgent, lui fit grâce. Depuis ce temps le peuple de Boutan fut détrompé fur les fix griffes

du diable.

Le même jour fa majesté eut besoin d'être faignée.

Un chirurgien gafcon, qui était venu à fa cour dans un vaisseau de notre compagnie des Indes, fut nommé pour tirer cinq onces de ce fang précieux. L'aftrologue de quartier cria que la vie du roi était en danger, fi on le faignait dans l'état où était le ciel. Le gascon pouvait lui répondre qu'il ne s'agiffait que de l'état où était le roi de Boutan; mais il attendit prudemment quelques minutes ; & prenant fon almanach: Vous avez raifon, grand-homme, dit-il à l'aumônier de quartier, le roi ferait mort fi on l'avait faigné dans l'inftant où vous parliez ; le ciel a changé depuis ce temps-là, & voici le moment favorable. L'aumônier en convint. Le roi fut guéri; & petit-à-petit on s'accoutuma à faigner les rois quand ils en avaient besoin.

Un brave dominicain difait dans Rome à un philofophe anglais : Vous êtes un chien, vous enfeignez que c'eft la terre qui tourne, & vous ne fongez pas que Jofué arrêta le foleil. Hé, mon révérend père, répondit l'autre, c'eft auffi depuis ce temps-là que le foleil eft immobile. Le dominicain & le chien s'embraffèrent, & on ofa croire enfin, même en Italie, que la terre tourne.

Un augure fe lamentait du temps de Céfar avec un fénateur fur la décadence de la république. Il eft vrai que les temps font bien funeftes, difait le fénateur; il faut trembler pour la liberté romaine. Ah! ce n'eft pas là le plus grand mal, difait l'augure; on commence à n'avoir plus pour nous ce refpect qu'on avait autrefois; il femble qu'on nous tolère; nous ceffons d'être néceffaires. Il y a des généraux qui ofent donner bataille fans nous

« PreviousContinue »