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Hardy fuivoit une Troupe errante de Comediens qu'il fourniffoit de Pie-ees. Quand il leur en falloit une nouvelle, elle étoit prête au bout de huit jours, & le fertile Hardy fuffifoit à tous les befoins de fon Theatre. Si quelqu'un s'étonne de cette abondance & de cette facilité, je le renvoye à un Auteur Dramatique nommé Magnon, qui dans la Préface de Jeanne de Naples Tragedie de fa façon imprimée en 1656. dit que ces Pieces lur couftent prefque moins de peine à les faire, que l'on n'en prendra à les lire & pour te le faire voir, dit-il au Lecteur, je veux bien t'avertir dans un temps où l'on croit eftre épuifé dans la façon d'un Sonnet, que je projette un travail de deux cent mille Vers & d'autant de Profe à proportion.... Mon entreprife eft de te produire en dix volumes, chasun de vingt mille Vers, une fcience univerfelle, mais fi bien conçûë & fi bien expliquée, que les Bibliotheques ne te ferviront plus que d'un ornement inutile.

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Hardy commençoit à être vieux, & bien-tôt fa mort auroit fait une grande bréche au Theatre, lorfqu'un petit évenement arrivé dans une Maifon Bourgeoise d'une Ville de Provin

ce lui donna un Illuftre Succeffeur. Un jeune homme mene un de fes Amis chés un fille dont il étoit amoureux, le nouveau venu s'établit chés la Demoifelle fur les ruines de fon Introduc→ teur, le plaifir que lui fait cette avan→ ture le rend Poëte, il en fait une Co→ medie, & voilà le grand Corneille.

Cependant de tous ceux qui ont travaillé après Hardy, M. Corneille n'est pas à la rigueur le plus ancien. Mairet dans fa Préface du Duc d'Offonne imprimée en 36. dit : J'ai commencé de fi bonne beure à faire parler de moi, qu'à ma vingt-fixième année, je me trouve le plus ancien de tous nos Poëtes Dramatiques. Je compofai ma Chriseide à 16. ans au fortir de ma Philofophie, Silvie à 17.... Si mes premiers Ouvrages ne furent guere bons, au moins on ne peut nier qu'ils n'ayent été l'heureufe femence de beaucoup d'autres meilleurs » produits par les fécondes plumes de Meffieurs de Rotrou, Scudery, Corneille & du Ryer, que je nomme ici fuivant l'ordre du temps qu'ils ont commencé d'écrire après moi....

La Chronologie des Pieces de Theatre eft affès difficile à établir, parce qu'en ces tems-là on ne les imprimoit que plufieurs années après qu'on les

avoit jouées, & d'ailleurs on n'est samais bien sûr d'avoir la premiere Edition. Après cela débrouille qui vou dra la Chronologie des Rois Affyriens, ou les Dynasties d'Egypte.

Il n'y a tout au plus qu'une ou deux Pieces de Mairet, ou de Rotrou qui ayent pû préceder la premiere de M. Corneille, & ces Pieces-là étoient dans le goût de Hardy qui régnoit alors fur le Theatre. On en peut juger par la Silvie feconde Piece de Mairet, fameufe encore aujourd'hui, ne fût-ce que par le Dialogue de Philene & de Silvie, tant récité par nos peres & nos meres à la bavette. Ainfi c'est à M. Corneille que commence le changement arrivé au Theatre, & je n'en écrirai plus l'Hiftoire que par rapport à la Vie de M. Corneille, qui va être mon principal objet.

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VIE

DE

M. CORNEILLE,

PIERRE Corneille nâquit à Rouen

en 1606. de Pierre Corneille Avocat du Roi à la Table de Marbre, & de Marthe le Pefant, dont la famille fubfifte encore avec éclat dans les grandes Charges. Il fit fes études aux Jéfuites de Rouen, & il en a toujours confervé une extrême reconnoiffance pour la Societé. Il fe mit d'abord au Barreau, fans goût & fans fuccès; mais comme il avoit pour le Theatre un génie prodigieux, ce génie jufque-là caché éclata bien-tôt, & cette légere occafion que nous avons rapportée, fut fuffifante pour développer des talens inconnus à lui-même jusqu'à ce moment, ou toujours retenus dans une ef pece de contrainte..

Sa premiere Piece fut donc Melite. La Demoiselle qui en avoit fait naître le fujet, porta long-tems dans Rouen le nom de Melite, nom glorieux pour elle, & qui l'affocioit à toutes les louanges que reçût fon Amant.

Melite fut jouée en 1625. avec un grand fuccès. On la trouva d'un carac tere nouveau, on y découvrit un ef prit original, on conçut que la Comedie alloit fe perfectionner, & fur la confiance que l'on eut au nouvel Auteur qui paroiffoit, il fe forma une nouvelle Troupe de Comediens.

Je ne doute pas que ceci ne furprenne. La plupart des gens trouvent les fix ou fept premieres Pieces de M. Corneille fi indignes de lui qu'ils les voudroient retrancher de fon Recueil, & les faire oublier à jamais. Il est certain que ces Pieces ne font pas belles; mais outre qu'elles fervent à l'Hiftoire du Theatre, elles fervent beaucoup auffi à la gloire de M. Corneille.

Il y a une grande difference entre la beauté de l'Ouvrage & le mérite de l'Auteur. Tel Ouvrage qui eft fort médiocre, n'a pû partir que d'un génie fublime, & tel autre Ouvrage qui eft

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