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Ne dommage, ne vilénie.
Et puis maintenant il me nie,
Et drap & argent pleinement.
Ah Maiftre Pierre! vrayement,
Ce ribaud-cy m'embloit les laines-
De mes beftes, & toutes faines
Les faifoit mourir & périr,
Far les affomer & ferir

De gros baftons fur la cervelle.

Quand mon Drap fut fous fon effelfe,
Il fe mit au chemin grand erre,
Et me dit que jallaflè querre

Six écus d'or en fa maison.

LE JUGE.

Il n'y a rime ne raifon,

A tout ce que vous rafardés,
Qu'eft cecy? Vous entrelardés,

Puis d'un, puis d'autre ; somme toutes Par le fangbieu je n'y vois goutte. Quand il veut tirer quelque éclairciffement du Berger, le Berger ne répond que Béé, & Pathelin ne manque pas de dire que le Berger n'eft qu'un hébeté qui ne fçait parler qu'à fes Brebis, & qu'il n'y a pas de raifon à l'avoir fait ajourner. Le Drapier reparle toujours de fon Drap, & Pathelin ré-pond des Brebis. Enfin le Juge ennuyé,

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&

& les croyant tous fous, renvoye le Berger, & fe leve. Quand Pathelin demeuré feul avec le Berger lui demande fon payement, il n'en tire que ce même Bee qu'il lui avoit appris, & voilà la fin de la Piece.

A en juger par le langage, elle doit être à peu près du tems de Louis XII. mais il y a des chofes qui ne paroiffent pas indignes du Siecle de Moliere, ni de Moliere même. Une preuve qu'elle a eu un grand fuccès, c'eft qu'elle a donné de nouveaux mots à la Langue, & fait des Proverbes. Pathelin qui n'étoit qu'un nom fait à plaifir comme Tartuffe, eft devenu un mot de la Langue qui fignifie flatteur & trompeur, de la même maniere que Tartuffe fignifie préfentement un faux Dévot. Même Pathelin a une famille que Tartuffe n'a pas. Il a produit Pateliner & Patelinage. Revenons à nos Moutons, qui eft un Proverbe fi ufité, vient encore de la meme fource. C'eft ce que dit le Juge au Drapier qui oublie fes Moutons pour parler de fon Drap. Le plus grand honneur qui puiffe arriver à une Comedie, c'eft de faire des Proverbes. Il y a tout lieu de croire, qu'il s'en

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Tome IIL

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forme préfentement plufieurs, tirés des Comedies de Moliere; mais le tems n'y a pas encore mis la derniere main.

Jufqu'ici la Tragedie, & pour mieux dire, toute la conftitution du Theatre dans la Comedie même, avoit été entierement inconnue. Enfin fous le Régne de François I. les Grecs & les Latins fortirent, pour ainsi dire, de leurs Tombeaux, & revinrent nous donner des leçons. L'ignorance commença à fe diffiper, le goût des Belles-Lettres fe répandit, la face des chofes d'efprit fe renouvella, tous les Arts, toutes les Sciences fe ranimerent. On trouve fous François I. Antoine Foreftier Parifien qui a écrit des Comedies Françoises, & Jacques Bourgeois Auteur de la Comedie des Amours d'Eroftrate imprimée en 1545. & dédiée au Roi, Apparemment toutes ces Pieces font perdues. Les Amours d'Eroftrate, à en juger par le titre, pouvoient être un Ouvrage férieux; cependant felon le comte de Ronfard, la Tragedie un peu plus lente que les autres Mufes, peut-être parce qu'elle eft plus importante, ne reffufcita que fous le Régne de Henry II.

Alors Jodelle heureusement fonna,

D'une voix humble, & d'une voix hardie,
La Comedie avec la Tragedie,

Et d'un ton double, ore bas, ore haut,
Remplit premier le François efchaffaut.

Dit ce fameux Poete. Il ne comte pour rien les Comedies faites avant Jodelle, apparemment parce qu'elles étoient fans art, & fans aucune imitation des Anciens.

Cependant à ce que dit Pafquier, Jodelle n'avoit pas mis l'oeil aux bons livres ; mais en luy y avoit un naturel efmerveillable. Et ceux qui de ce temps-là jugeoient des coups difoient que Ronfard eftoit le premier des Poëtes, mais que Jodelle en eftoit le démon. S'il n'étoit pas fçavant, fon Siécle l'étoit, & les ignorans même d'un Siécle fçavant fe fentent un peu de la fcience de leur Siècle. Il part des gens habiles, pourvû qu'ils foient en affés grand nombre, une certaine lumiere qui éclaire tout ce qui eft autour d'eux, & dont on apperçoit quelques rayons réflechis fur tous les autres. Le bon goût qu'ils prennent par choix, s'établit chés les autres par mode, & les vrais principes paffent de ceux qui les ont

découverts, à ceux qui ne peuvent tout au plus que les entendre.

La premiere de toutes les Tragedies Françoises, eft la Cleopatre de Jodelle. Elle eft d'une fimplicité fort convenable à fon ancienneté. Point d'action point de jeu, grands & mauvais difcours partout. Il y a toujours fur le Theatre un Choeur à l'antique, qui finit tous les Actes, & s'acquitte bien du devoir d'être moral & embrouillé ; mais pour donner une idée plus jufte de cette Piece, en voici un plan Scene par Scene affés exact & affés court. Il y a un Prologue adreffé à Henri II.

Acte I. Scene I. L'Ombre d'Antoine plaint fes malheurs, & annonce que Cleopatre mourra bien-tôt. Scene II. Cleopatre dit à Iras & à Charmion fes Confidentes qu'elle a vû Antoine en fonge. Elle ne doute pas qu'Octávien ne la deftine au Triomphe, & elle veut abfolument éviter ce deshonneur. Enfuite le Choeur a un beau fujet de moralifer fur l'inconftance de la fortune.

Acte II.. Octavien, Agrippe, Proculée. Longue Hiftoire & peu néceffaire de toutes les guerres paffées. Réfolution de faire vivre Cleopatre pour

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