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nous, & de répandre nos portraits dans toute la nature. Ces bonnes Gens du quatorze ou du quinzième Siècle n'avoient garde de s'imaginer qu'il y cût des Prédications fans texte & fans divifion, & des repas fans Benedicite, Nous qui fçavons que les Juifs ne nous reffembloient pas tant, nous ne pouvons nous empêcher de rire en les voyant representés tout-à-fait à la Françoife; mais quand nous voyons que l'on donne notre maniere de traiter l'amour à des Grecs,à des Romains, & qui pis eft, à des Turcs, pourquoi cela ne nous paroît-il pas burlefque ? C'eft que nous n'en fçavons pas affes,& comme nous ne connoiffons guere les véritables mœurs de ces Peuples, nous ne trouvons point étrange qu'on les faffe galans à notre maniere, il faudroit pour en rire des Gens plus éclairés; la chofe eft affés rifible, mais il manque des rieurs.

Comme les Comedies de la Paffion ne font pas trop connues, je croi qu'il fera à propos d'en expofer quelques traits les plus particuliers, & les plus propres à en faire connoître le cara

Aere.

Elles font affes variées. Il y a jufqu'à des Scenes plaifantes. Quand Satan qui avoit été chargé par Lucifer de tenter J. C. revient aux Enfers fans avoir' réuffi, Lucifer le fait étriller d'impor tance par les autres Diables, le pauvre Satan en demeure eftropié, & certai nement quand on le voyoit boiter fur le Theatre & fe traîner avec peine, toute l'Affemblée rioit de bon cœur.

La fille de la Chananée poffedée du Diable, dit des extravagances fort plaifamment imaginées, & l'Auteur, tout Saint qu'il étoit, ayant à faire parler ane fille qui eft hors de fon bon fens, n'a pas voulu perdre l'occafion d'égayer' la Scene par des difcours affes libres. I a crû peut-être que fans cela le vraifemblable n'y feroit pas. Cependant if a eu une conduite toute differente fur la Madeleine, car quoiqu'il garde fon caractere avec affés de foin, & que dans les difcours qu'il lui fait tenir, il marque en Profe par Apoftille le nom des fept Pechés mortels qu'elle fe vante d'avoir commis, il la fait fort refervée fur celui dont elle a été le plus foup çonnée, & pour fe juftifier de ce qu'elle néglige ce peché, elle dit,

De folatieux touchements,

Et autres plaifants couchements,
Cela gift en ma voulenté.

Après quoi elle croit fon honneur fauvé, puifqu'il n'a tenu qu'à elle d'éprouver les Plaifans couchements. C'est cette difpofition de la Madeleine, trèsfunefte pour fes Amans, qui fait dire à une de fes Femmes de Chambre,

Pour mettre Mignons en alaine,
Voicy fine efpice fucrée,'

Et tel y laiffera la laine

Qui n'en n'aura ja la grupée.

Rodigon Comte de la Cour d'Herode vient voir la Madeleine qui lui dit d'abord,

Voulés-vous trois heures on quatre
Danfer, chanter, ou vous ébattre

A beaux dés, au glic, ou au flux ?

Mais Ródigon prend le parti de dire une Ballade dont le refrain eft joli, On n'a jamais ce qu'Amours ont coufté.

En voici un couplet plus agréable & mieux tourné, qu'il n'appartient à ce tems-là.

C'est l'Ordonnance d'Amour, ne leur déplaife,

Soucy de nuict, & de jour le malaife,
En tel éfmoy faut qu'Amour fe pourchaffe ;
Qui aymera de fon gibier la Chasse;
Il en fera tout-à-coup rebouté,

Tel y défpend deux fois plus qu'il n'amasse,
On n'a jamais ce qu'Amours ont coufté.

A la fin de la Scene, il eft marqué en Profe. Rodigon en prenant congé, pourra baifer Madeleine & fes Damoiselles.

La mort de Judas eft un morceau auffi fingulier qu'il y en ait dans tout l'Ouvrage. Il vient déteftant la trahifon qu'il a faite, il invoque tous les Diables Léviatan, Belphegor, Cacodémon, Béhemot, & le Ribaud Almodeus, & pour n'en manquer aucun, ily joint Thefiphone, Alecto, Megere, &c. Aux cris de Judas Défefperance accompagnée d'une troupe de Diables, fort de l'Enfer, elle lui propofe de l'y mener, & auffi-tôt Judas chicanne avec elle. Mais, lui dit-il, J'ay fait confeffion

En tant que j'ay dit peccavi,
Et fi fis fatisfaction,

En tant que les deniers rendy,

Puis j'eûs telle contrition

Qu'à peu que mon cœur ne fendy.

Défefperance,bonne Theologienne,

lui répond.

Confeffion inftituas

Sans dévotion de pensée,
Et tout l'argent reftituas,
Non pas à partie offensée,

De cœur contrit t'évertuas,

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Ne vault rien, ta grace eft paffée.

Enfuite pour le mettre en gout de fe tuer, elle lui dit :

Or tiens, regarde mes atours.
Suis-je pas pourveue d'outils,,
Bien ingenieux, & fubtils

Se ung Homme eft cauteleux & fin,
Pour le mettre bientoft à fin?
Choyfiffe fur moi des plus beaux,
Voicy Dagues, voicy Couteaux,.
Forcettes, Poinçons, Allumelles,
Advise, choifi des plus belles, &c..

Judas prend le parti de se pendre ;; mais en gagnant toujours du tems par des difcours inutiles, que Défefperance veut abreger. Depesche-tay, dit-elle car tout fe gate. Quand il eft pendu,

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