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été institués pour prononcer sur toutes les matières contentieuses administratives, il en résulte que c'est aux conseils de préfecture à connaître de tout ce qui tient à la libre et sûre navigation sur les fleuves et rivières navi. gables.

respecté dans l'ancienne monarchie; mais aujourd'hui il est incontesté. Il ne s'oppose pas néanmoins aux concessions particulières que l'État est dans l'usage de faire, telles que les prises ou chutes d'eau pour les usines, perception de droits de navigation. Le gouvernement est même spécialement autorisé, par la loi des recettes du 16 juillet 1840, à attacher des redevances aux prises ou chutes d'eau dont la concession ne pouvait avoir lieu autrefois que gratuitement.

La police et la conservation des cours d'eau navigables et flottables, de même que leur propriété, appartiennent à l'État. L'administration a donc le pouvoir de les réglementer, et l'obligation de les entretenir et de les améliorer. C'est elle qui fixe la hauteur des eaux par rapport aux usines construites ou à construire, qui prescrit les travaux propres à assurer le service de la navigation, et a le droit d'interdire les constructions qui seraient de nature à contrarier les intérêts existants. De là il suit qu'aucun établissement ne peut être formé sur les cours d'eau navigables, sans l'autorisation du gouvernement.

Les concessions faites par l'État sont d'ailleurs essentiellement révocables, si l'intérêt de la navigation venait à l'exiger.

Il en est autrement des concessions et possessions qui remontent à une époque antérieure à 1556; elles ont été maintenues par les lois des 22 novembre 1790 et 14 ventôse an VII, et ne pourraient être enlevées aux propriétaires actuels qu'en vertu de la loi d'expropriation pour cause d'utilité publique, et à charge d'indemnité préalable.

Il appartient également à l'administration de révoquer ou retirer les concessions accordées sur les rivières navigables, lorsque les conditions de la concession ne sont pas exécutées.

C'est le préfet nommément qui, dans chaque département, règle les établissements d'usines, et leur emplacement, la dimension des déversoirs, biefs et autres ouvrages d'art, et la hauteur des eaux des moulins construits et à construire, de manière qu'elle ne nuise à personne.

C'est le préfet qui ordonne le curage des rivières navigables, règle le mode d'exécution et le paiement des frais qui en résultent.

C'est lui qui détermine les temps, saisons et heures de la pêche, et les engins qui peuvent être employés.

Quant aux contraventions commises sur les fleuves et rivières navigables ou flottables, elles doivent être constatées, poursuivies et réprimées par la voie administrative. C'est la disposition de l'art. 1er de la loi du 29 floréal an X.

Or, comme les conseils de préfecture ont

Ils répriment donc notamment :

1o Les embarras par dépôt, construction ou enlèvement de gazons sur les chemins de halage;

2o Le dépôt de chanvre ou de lin dans l'eau pour le faire rouir;

3o Les plantations destinées à consolider les ensablements le long des rivières, si elles nuisent au service de la navigation.

Les peines qu'ils prononcent sont d'ailleurs tirées d'anciens règlements ou édits; on leur a reproché longtemps d'être arbitraires ou exorbitantes. Mais la loi du 23 mars 1842 a mis fin à cet état de choses en disposant, pour les amendes arbitraires, qu'elles ne pourraient désormais varier qu'entre un minimum de 16 francs et un maximum de 300 francs. Quant aux autres, elles peuvent être modérées, suivant les circonstances, jusqu'au 20o, sans toutefois descendre au-dessous de 16 francs.

Quelque étendue que soit la juridiction des conseils de préfecture en matière de cours d'eau navigables, il y a place encore pour les tribunaux ordinaires.

C'est à eux de prononcer sur les contesta. tions et contraventions qui naissent à l'occasion des fleuves et rivières navigables, lorsqu'elles n'intéressent que des particuliers.

Ils sont compétents:

1o Pour connaître de la revendication on répétition des épaves de rivières;

2o Pour statuer sur les délits de pêche, car ils sont de nature à entraîner des peines correc tionnelles ;

3o Pour décider si un terrain formé dans le cours d'une rivière navigable est une île qui appartient au domaine public, ou une alluvion qui accroît au propriétaire riverain.

Cours d'eau flottables seulement. Ce sont les rivières qui, n'ayant point assez d'eau pour transporter des bateaux et des marchandises, peuvent néanmoins servir au transport du bois qu'on confie à leur courant.

On distingue deux sortes de flottage.

Le flottage à trains, qui se fait en réunissant les morceaux de bois au moyen de liens. Ces sortes d'agrégations s'appellent trains et forment de longs radeaux dirigés par les mari. niers qui les montent.

Cette espèce de flottage ne peut s'exercer que dans les rivières assez importantes et dont le lit n'offre pas d'accident.

Toute rivière navigable est flottable : néanmoins, l'intérêt de la navigation exige qu'on n'y puisse exercer le droit de flottage que

sous la condition préalable d'une autorisation administrative.

L'autre espèce de flottage, dit à bûches perdues, consiste à jeter le bois dans le courant et à le faire surveiller par des hommes dont la mission est d'empêcher qu'il ne s'amoncelle et n'interrompe le cours de l'eau.

Les cours d'eau flottables seulement sont des dépendances du domaine public, comme les rivières navigables elles-mêmes.

Toutefois, il faut distinguer entre les rivières flottables avec trains et radeaux et les cours d'eau flottables à bûches perdues seulement. Ceux-ci doivent être mis sur la même ligne que les rivières non navigables ni flottables; le lit seulement en appartient à l'État, tandis que l'usage des eaux en est réglé comme celui de ces rivières.

En conséquence, le droit de pêcher dans les cours d'eau flottables à bûches perdues appartient aux riverains, de même que le curage est à leur charge.

C'est à l'administration qu'il appartient de faire la déclaration de flottabilité d'une rivière, de même que celle de navigabilité.

L'une et l'autre déclarations donnent également lieu à indemnité au profit des riverains à raison des terrains dont ils sont privés, soit pour le chemin de halage et le marchepied, soit pour les dépôts de bois que les flotteurs peuvent faire sur leurs terrains avant de les lancer à l'eau.

Cette indemnité est fixée dans la même forme et suivant les mêmes conditions qu'en cas de déclaration de navigabilité.

Au surplus, la déclaration dont il vient d'être parlé et les conséquences qu'elle entraîne ne s'appliquent qu'aux cours d'eau flottables à trains ou radeaux ; car ceux qui ne sont flottables qu'à búches perdues étant assimilés, quant à l'usage, aux rivières non navigables ni flottables, le flottage en est entièrement subordonné aux droits des riverains (articles 644 et 645 du Code civil), contre lesquels il n'est d'ailleurs admis ni possession ni prescription.

L'ordonnance de décembre 1672 et un arrêté du Directoire de l'an V donnent au marchepied dû par les riverains des rivières flottables la largeur de quatre pieds pour le flottage à bûches perdues.

Si donc les flotteurs foulent le terrain au delà de cette limite, il y a lieu à une demande en indemnité contre eux à raison du préjudice causé.

Quant au flottage avec trains ou radeaux, le marchepied varie de largeur, suivant que le flottage à lieu avec ou sans trait de che

vaux.

Au premier cas, la rivière étant considé rée comme navigable, le chemin de halage est

de vingt-quatre pieds, tandis que, dans le second, il est seulement de dix pieds.

Nous ne pouvons entrer ici dans le détail des autres droits accordés aux adjudicataires de coupes de bois sur les propriétaires riverains des cours d'eau qui sont utilisés pour l'approvisionnement de Paris; l'ordonnance de 1672 et la loi du 28 juillet 1824 déterminent avec soin les priviléges et obligations des unes et des autres.

III. Cours d'eau non navigables ni flottables. On désigne ainsi les cours d'eau qui, bien qu'impropres à la navigation et au flottage, sont néanmoins utiles à l'agriculture, qu'ils fécondent, et à l'industrie, dont ils multiplient les forces motrices.

C'est une question très-controversée dans notre droit que de savoir à qui appartiennent les cours d'eau non navigables ni flottables : font-ils partie du domaine public, sauf les droits de jouissance reconnus par la loi aux riverains; ou bien sont-ils absolument la propriété des riverains?

Nous pensons, nous, avec le plus grand nombre des auteurs, qu'ils appartiennent aux riverains; mais l'opinion contraire a pour elle bien des autorités et des arguments puissants.

Au surplus, ce n'est pas le lieu d'approfondir ici une question sur laquelle il a été tant écrit ; il suffit de la signaler, en renvoyant aux traités spéciaux: Garnier, Régime des eaux, tom. I, no 59 et suivants; Daviel, Des cours d'eau, tom. II, no 529 et suivants.

Quelque opinion que l'on adopte, «< celui dont la propriété borde une eau courante, autre que celle qui est déclarée dépendance du domaine public, peut s'en servir à son passage pour l'irrigation de ses propriétés.

<< Celui dont elle traverse l'héritage peut même en user dans l'intervalle qu'elle y parcourt, mais à la charge de la rendre, à la sortie de ses fonds, à son cours ordinaire. »

Telle est la disposition de l'article 644 du code civil; et l'article 645 ajoute:

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<< S'il s'élève une contestation entre les propriétaires auxquels ces eaux peuvent être utiles, les tribunaux, en prononçant, doivent «< concilier l'intérêt de l'agriculture avec le << respect dû à la propriété ; et dans tous les cas, « les règlements particuliers et locaux sur le « cours et l'usage des eaux doivent être ob<< servés. »

Toutefois, le droit attribué aux riverains ne s'appliquait qu'à ceux dont les héritages se trouvaient en contact immédiat avec le cours d'eau.

Celui dont la propriété était plus reculée a été longtemps dans l'impossibilité d'utiliser les eaux voisines de son fonds, en forçant le voisin qui les touche à laisser faire sur ses terres

les travaux nécessaires pour conduire les eaux sur l'héritage le plus éloigné.

Mais il n'en est plus de même aujourd'hui; la loi du 29 avril 1845 sur les irrigations a mis un terme à cet état de choses si dommageable, et rendu un service inappréciable à l'agriculture.

Voici textuellement les dispositions de cette loi:

Art. 1er. Tout propriétaire qui voudra se servir, pour l'irrigation de ses propriétés, des caux naturelles ou artificielles dont il a le droit de disposer, pourra obtenir le passage de ces eaux sur les fonds intermédiaires, à la charge d'une juste et préalable indemnité.

Sont exceptés de cette servitude les maisons, cours, jardins, parcs et enclos attenant aux habitations.

Art. 2. Les propriétaires des fonds inférieurs devront recevoir les eaux qui s'écouleront des terrains ainsi arrosés, sauf l'indemnité qui pourra leur être due.

Seront également exceptés de cette servitude les maisons, cours, jardins, parcs et enclos attenant aux habitations.

Art. 3. La même faculté de passage sur les fonds intermédiaires, pourra être accordée au propriétaire d'un terrain submergé en tout ou en partie, à l'effet de procurer aux eaux nuisibles leur écoulement.

Art. 4. Les contestations auxquelles pourront donner lieu l'établissement de la servitude, la fixation du parcours de la conduite d'eau, de ses dimensions et de sa forme, et les indemnités dues, soit au propriétaire du fonds traversé, soit à celui du fonds qui recevra l'écoulement des eaux, seront portées devant les tribunaux, qui, en prononçant, devront concilier l'intérêt de l'opération avec le respect dù à la propriété.

Il sera procédé devant les tribunaux comme en matière sommaire, et, s'il y a lieu à expertise, il pourra n'être nommé qu'un seul expert.

Art. 5. Il n'est aucunement dérogé par les présentes dispositions aux lois qui règlent la police des eaux.

Ainsi, depuis cette loi comme auparavant, le droit qu'ont les propriétaires riverains d'user des eaux à leur passage, peut être modifié dans l'intérêt public, en vertu de règlements administratifs. L'article 714 du Code civil, qui attribue aux lois de police le pouvoir de régler la jouissance des eaux sans distinction, et la teneur de l'article 645 précité du même Code, ne laissent aucun doute à cet égard.

Les iles et atterrissements qui se forment dans les rivières non navigables ni flottables appartiennent aux propriétaires riverains du côté où l'île s'est formée: si l'île n'est pas formée d'un seul côté, elle appartient aux propriétaires riverains des deux côtés, à partir de la ligne qu'on suppose tracée au milieu de la rivière.

Quant au propriétaire qui a une source dans son fonds, il peut en user à sa volonté, creuser

des bassins, des canaux, des étangs pour retenir les eaux, sauf le droit que le propriétaire du fonds inférieur pourrait avoir acquis par titre ou par prescription.

Toutefois, comme l'intérêt public doit tonjours l'emporter sur l'intérêt particulier, le propriétaire ne peut en changer le cours, lorsqu'il fournit aux habitants d'une commune, village ou hameau, l'eau qui leur est nécessaire. Mais il faut qu'il y ait nécessité, et dans ce cas-là même il est dû une indemnité, laquelle est réglée par experts, à moins que les habitants n'aient acquis ou prescrit antérieurement l'usage du cours d'eau.

C'est aussi l'intérêt public qui, malgré le droit de propriété des riverains, conduit à reconnaître la nécessité de l'autorisation du gouvernement pour l'établissement des usines sur toute espèce de cours d'eau. Il est possible, en effet, qu'un très-grand nombre de riverains y soient intéressés; et c'est d'ailleurs à la société qu'il appartient de protéger l'agriculture.

Aussi la loi des 12-20 août 1790 charget-elle les administrations de rechercher les moyens de procurer le libre cours des eaux, et d'empêcher que les prairies ne soient submergées par la trop grande élévation des écluses des moulins, et des autres ouvrages d'art établis sur les cours d'eau.

Le titre 2 du Code rural de 1790 donne également aux directoires de districts la mission de fixer la hauteur des eaux des moulins et usines, de manière qu'elle ne nuise à per

sonne.

Enfin une ordonnance rendue en conseil d'État le 30 mars 1821 décide que les moulins nouveaux et autres usines, ainsi que tout règlement général concernant dans son ensemble un cours d'eau, lors même qu'il n'est ni navigable ni flottable, doivent être autorisés par ordonnances royales; et telle est maintenant la règle universellement admise.

Championnière, De la propriété des eaux courantes, du droit des riverains et de la valeur des concessions féodales, 2 vol. in-8°.

Chardon, Traité du droit d'alluvion, in-8°. Daviel, Traité de la legislation et de la pratique des cours d'eau, z vol. in-8°.

Decamps, Manuel des propriétaires riverains, in-12.

Dubreuil, Tardif et Cohen, Analyse raisonnée de la législation des eaux, 2 vol. in-8°.

Garnier, Régime ou tratté des rivières et cours d'eau de toute espèce, avec supplément, 4 vol. in-8°.. Nadault de Buffon, Des usines sur les cours d'eau, 2 vol. in-8°.

Rives, De la propriété des cours d'eau, in-9°. Violet, Essai pratique sur l'établissement et le contentieux des usines hydrauliques, in-8°. G. DE VILLEPIN.

COURSIER. (Hydraulique.) On appelle Coursier le chenal qui mène l'eau sur les roues hydrauliques dites roues à aubes.

Il est quelquefois contenu entre des plan-, ches ou madriers disposés à cet effet, mais plus souvent entre deux murs appelés bajoyers, qui servent d'appui à la roue. Sa largeur, qui varie avec la quantité d'eau qu'il doit conduire, ne dépasse celle de la roue que de quelques centimètres, afin que toute l'eau agisse sur les aubes. Par la même raison, le fond est un arc de cercle dont le rayon ne dépasse le rayon extérieur de la roue que d'un ou deux centimètres, ce qu'il faut pour que les extrémités des aubes ne le touchent pas. Cette partie du coursier est quelquefois construite en madriers soutenus par deux rangées de pilotis, mais plus souvent en pierres de taille reliées avec la maçonnerie des bajoyers, et jointes avec du ciment de chaux et de brique, de strass, de pouzzolane, etc. On a essayé même de le couler en fonte, mais sans beaucoup de succès. Il était, en effet, difficile que le modèle d'une pièce d'une aussi grande surface et d'une épaisseur aussi petite que celle qu'on lui donnait, ne se déformât pas quand on le mettait dans le sable. Il en résultait qu'il n'était presque jamais circulaire et qu'on était obligé de le buriner; opération qui donnait toujours lieu à un surcroît de dépense, et occasionnait souvent des ruptures.

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A l'origine du coursier, il y a une vanne qui s'élève ou s'abaisse suivant que la roue est en dessous ou de côté, pour permettre l'arrivée de l'eau dans les aubes. Cette vanne est en bois, en fonte ou en fer dans tous les cas, comme elle est toujours très-pesante, et que, d'un autre côté, l'eau, en appuyant sur elle, la fait adhérer assez fortement avec ses appuis pour que la résistance que le frottement oppose à son mouvement soit considérable, elle est armée de cremaillères engrenant avec un treuil assez puissant pour qu'un seul homme puisse la manœuvrer. Elle glisse sur un châssis ou dans des rainures ménagées dans la maçonnerie des bajoyers; son ouverture et sa disposition doivent d'ailleurs être réglées en considération des effets de la contraction de la veine fluide, et de manière à ce qu'il retarde le moins possible la vitesse de l'eau à son arrivée sur les aubes.

CHARLES RENIER.

COURTILLIÈRE. (Histoire naturelle.) Vulgairement taupe-grillon; insecte de l'ordre des Orthoptères, l'un des fléaux de nos jardins et de nos champs, fort remarquable par ses formes et par ses mœurs. Un gros corps d'une couleur brunâtre veloutée, traînant sur le sol, encore que l'animal trapu ne soit pas aussi lourd que le pourraient faire supposer ses contours; un corselet que termine une petite tête qui rappelle par ses formes, à la couleur près, la tête de certains crustacés, particulièrement des écrevisses, et surtout deux pattes anté

rieures, dont la contexture est absolument celle des mains de la taupe, donnent à la courtillière un aspect tout particulier. Ces pattes antérieures, propres à fouir, ont déterminé les habitudes de la créature que la nature en munit. Ses habitudes sont souterraines, et dénotent une sorte d'intelligence qu'on ne retrouve que chez peu d'autres insectes, obéis sant ordinairement au simple instinct. Cette intelligence se manifeste par les travaux de la courtillière, et surtout par la tendresse qu'elle porte à sa progéniture. On doit à M. Le Féburier une histoire excellente de ces curieuses petites bêtes, qu'il a parfaitement étudiées, et dont il a le premier présenté l'histoire dégagée de toute erreur. Avant lui, on croyait que les courtillières coupaient les racines des plantes pour s'en nourrir; il a prouvé qu'elles vivaient uniquement de proie vivante et de petits insectes qu'on les voit poursuivre activement dans le terreau de nos plates-bandes, ou dans le fumier accumulé pour les besoins de la ferme. Mais vivant à la manière, des taupes sous le sol, où elles se creusent des galeries, et qu'elles remuent pour y trouver les larves qui nuisent à la végétation, elles font encore bien plus de mal à celle-ci que leurs victimes, coupant sur leur passage les supports des plantes qui ne tardent point à mourir dans toute la ligne où les courtillières ont donné la chasse aux vermisseaux.

Cet animal passe l'hiver à une assez grande profondeur, et s'y engourdit. Aux approches du printemps, il creuse un trou vertical par lequel il sort de sa retraite ténébreuse et vient respirer un air nouveau. Ce conduit sera, pou le reste de l'année, la principale route du domicile de la courtillière ; mais des conduits obliques et latéraux y communiqueront à diverses hauteurs et s'étendront souvent très loin de son centre; au temps des amours, les mâles cantonnés, sur le soir, à l'orifice de leurs petits repaires, y font entendre un bruissement plus faible que celui que produit le grillon de nos cheminées, mais analogue. Ce bruit provient, selon les uns, du frottement produit par le corselet sur certaines parties du corps, selon d'autres, par l'agitation des petites ailes plissées et comme de gaze dont l'animal est muni. Quoi qu'il en soit, la femelle se montre bientôt sensible à l'appel; elle accourt; les caresses mutuelles sont vives et prolongées ; et dès que la courtillière se sent mère, elle ne songe plus qu'à la construction du nid, à la ponte, ainsi qu'à l'éducation de sa progéniture. Prévoyant tous les dangers, ce n'est pas sous une surface meuble qu'elle déposera le trésor de ses entrailles le berceau qu'elle doit construire courrait le risque d'être écrasé; elle ne le disposera point à l'extrémité de quelque galerie inclinée : l'eau d'une averse y pourrait pó

nétrer; c'est conséquemment dans le terrain battu d'une allée ou d'un sentier qu'elle élira domicile; à quelques pouces au-dessous de la croûte solide qui doit servir de voûte à son nid, elle creusera un appartement où doit conduire une route en spirale montante. C'est là qu'elle dépose de cent cinquante à deux cent vingt œufs, d'où sortent, un mois après, des petits tout blancs, qui ne diffèrent que par la couleur, la taille et l'absence d'ailes, de leur mère; celle-ci désormais ne les abandonnera plus, veillera à leur sûreté et saura pourvoir à tous leurs besoins. Ces petits grandissent lentement, subissent plusieurs mues; ce n'est qu'au printemps suivant que s'opère le dernier changement de peau. Alors poussent les ailes, et les courtillières deviennent adultes; elles abandonnent le trou qui les vit naître, quand celle qui leur donna la vie entend de nouveau les chants du måle.

Toutes ces petites manœuvres ont lieu aux dépens de l'agriculture, qui a cherché les moyens de détruire un insecte involontairement destructeur, fort habile à lui échapper. Les remèdes proposés contre ses ravages sont plus nuisibles que le mal; ainsi, des arrosages d'huile le secours des chats, qui aiment à croquer les courtillières et retournent la terre des jardins pour les attaquer, ont été abandonnés. Le meilleur moyen est d'établir, de distance en distance, de petits abreuvoirs dont les bords sont coupés à pic, et dans lesquels tombent les courtillières qui se noient en voulant boire.

BORY DE SAINT-VINCENT. COURTISANES. Une courtisane est une femme qui trafique de son amour, ou du moins de ses faveurs.

Par quel mystère physiologique la femme vend-elle à l'autre sexe des plaisirs qu'il serait tout aussi naturel qu'elle achetât, ses passions étant aussi vives, ses désirs aussi ardents, son tempérament aussi lascif, si encore elle n'a pas en tout ceci une supériorité marquée que bien des observateurs lui reconnaissent? Nous croyons assez difficile de résoudre cette question, et nous la laissons indécise.

Toujours est-il qu'aussi loin que remonte la mémoire humaine, nous voyons ce genre de commerce en usage. Abraham achète l'esclave dont il fait sa concubine; Jacob acquiert l'épouse qu'il aime, par quatorze années de servage et de travail. Jupiter se transforme en pluie d'or pour accomplir la plus difficile de ses séductions, et c'est par des présents que Pâris fait naître au cœur d'Hélène cet amour si fertile en malheurs. Partout l'homme achète les jouissances que lui promettent la beauté et la grâce qu'il convoite, et la courtisane joue son rôle dans toutes les histoires, a sa place chez tous les peuples, et se retrouve dans les

mœurs les plus opposées, dans les civilisations les plus différentes. Non contente de s'être assise sur les trônes de la terre, elle a eu ses palais aux demeures célestes, et les mythologies antiques, plus naïves et plus matérielles que les religions d'à présent, ont bâti des temples aux belles prostituées. Thèbes et Athèues adoraient l'aulétride Lamie sous le nom de Vénus Lamia. Dans l'Inde, on appelait filles des Dieux les musiciennes et les danseuses, qu'une sage prévoyance choisissait entre les plus charmantes, et dotait de toutes les grâces, de tous les talents, pour la plus grande satisfaction des voluptés humaines. Dans ce pays, où la civilisation précoce a d'abord pris un puissant essor, et s'est arrêtée à tout jamais dès que les autres nations se sont mises en marche vers un but pareil, les bayadères rappellent encore ces filles des Dieux dont nous parlions comme elles, elles reçoivent une éducation spéciale et se préparent dès leur enfance aux occupations de leur vie entière; comme elles, elles joignent tous les enchantements des arts à toutes les séductions corporelles : seulement, comme les peuples deviennent ingrats en vieillissant, elles sont moins bien récompensées ; et si elles récoltent encore des roupies et des sequins, elles n'amassent plus guère de vénération : ce n'est plus un hommage qu'elles reçoivent, c'est un salaire.

L'Égypte, qui se vantait d'être l'aïeule des nations, et qui n'était que la fille de l'Inde, eut aussi ses courtisanes, et chez elle aussi elles étaient en grand honneur. Tout le monde sait l'histoire de Rhodope, qui éleva une dés pyramides avec le prix de ses nuits amoureuses. Quand le Pharaon Amasis voulut, à son tour, acheter ce que ses sujets avaient payé si cher, il se trouva que Rhodope, lasse de cette vie d'orgies et de voluptés, voulait faire une fin; elle refusa donc de se vendre ne pouvant l'avoir pour maîtresse, le roi la prit pour femme.

Nous arrivons à la terre classique des courtisanes, la Grèce. Entre tous les sentiments qui vivaient au cœur de cette nation d'élite, et qui la poussèrent à accomplir les grandes choses qu'on nous raconte, il y en avait un qui dominait les autres et qui peut-être les faisait naître et grandir : c'était l'amour du beau. La fine organisation des Grecs appréciait vivement tout ce qui était élégant de forme et gracieux d'aspect; leur esprit impressionnable était prompt à se passionner pour ce qui leur plaisait, et volontaires comme des enfants, bien qu'ils fussent forts comme des hommes, ce qu'ils convoitaient ils prétendaient l'avoir, et tout de suite, et à tout prix. Cette disposition, jointe à leur complète ignorance des sentimentalités amoureuses, qui ne prirent naissance que longtemps après, leur eût fait inventer les

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