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SUR

L'ÉTUDE QUI PRÉCÈDE

Par M. le Docteur CHIPAULT.

Séance du 20 Juillet 1877.

MESSIEURS,

Déjà depuis longtemps j'aurais dû vous rendre compte d'un travail important que M. le docteur Charpignon vous a lu sous le titre de Documents historiques sur l'opération de la taille à Orléans. Je vous prie de m'excuser. La cause de ce retard est tout entière dans le plaisir que j'éprouvais à étudier ce remarquable travail et aussi dans l'embarras où je me suis trouvé d'écrire un rapport sur des faits qui ne prêtent guère à la discussion.

Le mémoire de notre savant collègue est très-étendu et plein de recherches intéressantes; il est divisé en quatre périodes dont l'analyse rapide est utile pour qu'il soit possible d'apprécier tous les détails et aussi d'apporter quelques modifications aux conclusions de l'auteur.

Dans la première période, avant 1731, la taille se faisait rarement à Orléans, et sans le voyage de frère Jacques, en 1698, c'est à peine s'il nous resterait quelques traces de cette opération. M. Charpignon nous apprend que la taille se pratiquait alors par le grand appareil et que tous les efforts tentés par le moine chirurgien pour substituer à cette méthode la taille latérale qu'il voulait généraliser, restèrent inutiles. Et ce fut justice; les chirurgiens du temps rejetèrent la méthode nouvelle, non par esprit d'ani

mosité contre le lithotomiste ambulant, mais bien parce qu'à Orléans comme à Paris qu'il venait de quitter, frère Jacques n'avait eu que des insuccès dans ses opérations. C'est qu'alors, son cathéter n'ayant pas de cannelure, il opérait sans guide certain et faisait des fausses routes nombreuses dans la vessie et le rectum. Abreuvé d'ennuis, le novateur ne se laissa pas décourager; il travailla sans relâche et finit par découvrir la cause de ses insuccès; il ajouta une cannelure au cathéter et le pauvre moine acquit bien vite une grande célébrité.

Quoiqu'il en soit, le voyage de frère Jacques à Orléans avait été pour les chirurgiens de la ville un stimulant, et, dans la crainte que de nouveaux opérateurs ambulants vinssent tailler les calculeux de la région, ils demandèrent aux administrateurs de l'Hôtel-Dieu que la salle des taillés fût agrandie et organisée d'une manière plus convenable. Cette demande faite à plusieurs reprises resta sans résultat.

C'est alors, 1730, que Noël s'adressa au duc d'Orléans, protecteur des intérêts de la ville, pour obtenir ce que les administrateurs ne voulaient pas accorder. Le duc d'Orléans accueillit avec faveur la demande de Me Noël, et, dans une lettre qu'il fit écrire le 11 avril 1731, par son chancelier M. d'Argenson, au Procureur du roi, il créa une salle spéciale pour l'opération de la taille et chargea de ce service le chirurgien Noël.

Dans cette lettre que M. Charpignon nous a transmise, il est ordonné, entre autres stipulations, que le Procureur du roi devait avoir un registre sur lequel seraient relatés les noms des taillés et des opérateurs ainsi que les résultats de l'opération. C'est sur ce registre que notre collègue a trouvé tous les documents qui constituent la seconde période de son travail.

Cette période qui s'étend de 1731 à 1767 est la plus importante. Pendant 36 ans, 304 opérations de taille furent

pratiquées avec 189 guérisons, 39 fistules et 76 morts. M. Charpignon compte 228 guérisons et 76 morts; c'est une erreur, et elle vient de ce qu'il met les fistuleux au nombre des guéris, et pourtant M. Charpignon ne manque pas de nous dire que la fistule était alors une conséquence fréquente de la lithotomie. Or un taillé qui reste fistuleux ne saurait être considéré comme 'guéri.

Notre collègue nous parle ensuite des principaux opérateurs, de Noël, de son neveu Delacroix et de Leblanc; il nous dit leur habileté à extraire la pierre de la vessie, en quatre, trois, deux et même une minute. Mais pourquoi M. Charpignon ne parle-t-il pour Noël que des opérations qu'il a faites de 1731 à 1738, quand je vois sur le registre sa dernière taille à la date du 15 octobre 1744? M. Charpignon nous dit que Noël ne perdit que 14 opérés sur 77; et je trouve qu'il a 114 opérés avec 70 guérisons, 18 fistules et 29 morts.

Cette rectification qui n'atténue en rien la valeur du travail de notre collègue, m'amène à vous parler des statistiques de Delacroix et de Leblanc qui méritent d'être indiquées. Ainsi Delacroix pratiqua 103 tailles avec 72 guérisons, 13 fistules et 20 morts; Leblanc en fit 37 avec 20 guérisons, 4 fistules et 13 morts.

A côté des grands maîtres, il est équitable de ne pas oublier quelques autres chirurgiens moins célèbres assurément, mais aussi heureux; ainsi Marsolan, avec 7 opérations, 6 guérisons et 1 fistuleux. Ménard avec 8 opérations, 4 guérisons, 1 fistuleux et 3 morts; enfin de Saint-Martin avec 24 opérations, 14 guérisons, 2 fistuleux et 8 morts.

Si nous ajoutons que pendant cette période les médecins Artérié, Villac et Hardouineau étaient chargés de délivrer les certificats constatant les résultats des opérations, nous aurons rappelé les noms de tous ceux qui furent chargés du service de la taille de 1731 à 1767. .

Sur les 304 taillés dont nous parle M. Charpignon, je regrette vivement, en raison de l'importance de l'âge pour cette opération, que notre collègue n'entre dans aucun détail; il est vrai qu'il compte 202 enfants au-dessous de 14 ans, mais la répartition suivant l'âge n'est pas faite, et elle présente le plus grand intérêt; ainsi sur les 202 enfants, le registre permet de compter: 1 enfant de 20 mois; 16 de 3 ans; 13 de 4 ans ; 34 de 5 ans ; 22 de 6 ans; 26 de 7 ans ; 23 de 8 ans; 18 de 9 ans; 18 de 10 ans; 10 de 11 ans; 15 de 12 ans ; 6 de 13 ans. Sur ces 202 enfants opérés, il y a eu 142 guéris, 20 fistuleux et 40 morts.

Il est utile d'ajouter qu'au-dessus de 14 ans les chiffres sont les suivants : de 14 à 30 ans, 61 opérés; de 30 à 50 ans, 32 seulement et de 50 à 70 ans, 9 opérés, de sorte qu'après 30 ans, il y eut 41 opérés. Sur ces 102 adultes taillés il y a eu 19 fistules et 36 morts.

M. Charpignon ne parle pas du sexe. Et pourtant sur les 304 taillés, il n'y en a que 12 du sexe féminin; et sur ces 12 on compte 9 enfants; 2 femmes de 40 ans et 1 de 28 ans; avec 7 guérisons, 3 fistules et 2 morts.

Messieurs, je vous demande pardon de tous ces détails, ils sont très-utiles; l'histoire de la taille ne saurait être faite sans tenir compte de l'àge des sujets et de leur sexe puisque les méthodes opératoires sont différentes; et si M. Charpignon ne terminait pas son travail par cette réflexion « qu'il s'abstiendra de considérations scientifiques et pratiques qui eussent été nécessaires pour traiter le sujet d'une manière complète », je serais entraîné à comparer les méthodes entre elles et à parler aussi des procédés de chaque méthode, ce qui constituerait un nouveau travail dans celui de mon collègue. Revenons à l'historique du service des taillés.

D'après les documents que nous a fournis M. Charpignon, l'opération de la lithotomie fut presque toujours pratiquée

de manière à faire honneur aux chirurgiens d'Orléans, et de 1731 à 1759 il n'y eut que des éloges à leur adresser; mais l'année 1760 fut malheureuse; sur 11 opérés, il y eut 4 guérisons seulement, 2 fistuleux et 5 morts. L'émotion fut grande, et l'on proposa d'envoyer les calculeux à Paris. L'année suivante fut aussi malheureuse; sur 4 opérés il y eut 3 morts et une guérison; aussi en 1762 la salle des taillés resta abandonnée, il ne se présenta personne. Mais en 1763, Delacroix, Leblanc et de Saint-Martin ramenèrent la confiance en faisant plusieurs opérations heureuses; les cinq dernières de 1767 furent des succès. Néanmoins, Delacroix vieillissait; sentant sa valeur chirurgicale faiblir, il s'adjoignit Leblanc dont la réputation était déjà faite. En 1773, Delacroix mourut et la place de lithotomiste était disputée à Leblanc par plusieurs compétiteurs.

L'histoire de cette compétition nous est racontée avec beaucoup d'intérêt par notre savant collègue, d'après une pièce datée du 21 août 1773, qu'il a trouvée dans le registre des délibérations du collège de chirurgie. Dans cette pièce qui est un extrait du Registre du Conseil de Mgr le duc d'Orléans, il est ordonné, entre autres stipulations, que l'opération de la taille sera à l'avenir confiée aux sieurs Leblanc, Ballay et Bertrand, et que l'allocation sera partagée proportionnellement au nombre des guérisons.

Aucun des procès-verbaux de cette période de 1773 a 1789 ne nous est resté; mais l'un de ces trois lithotomistes, Leblanc, nous a laissé un ouvrage très-important intitulé : Précis d'opérations chirurgicales, dans lequel il a consacré à la taille plusieurs chapitres avec planches. Leblanc qui avait accepté la taille latérale et qui avait inventé plusieurs instruments pour la pratiquer, opérait avec lenteur, assimilant la vessie à l'utérus dans l'accouchement. M. Charpignon rend à Leblanc un juste hommage en disant qu'il a illustré l'Ecole d'Orléans et maintenu au loin la ré

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