Page images
PDF
EPUB

INTRODUCTION

Il serait illusoire, après le beau travail biographique placé par M. Paul de Raynal en tête des Euvres de son oncle', de songer à écrire une vie de Joubert. L'auteur des Pensées se trouve bien là trait pour trait; il y est vivant de cette vie sage et tout intérieure qui fut la sienne et dans laquelle un membre seul de sa famille avait qualité pour introduire le public. Je n'essaierai donc pas de redire ce qu'une plume si autorisée a dit déjà en termes excellents.

Aussi bien, l'écrivain dont j'ai à parler n'est plus obscur aujourd'hui. Nous n'en sommes plus, Dieu merci, au temps où SainteBeuve devait, sous peine de provoquer une interrogation presque générale, commencer un article de revue par ces mots : « Qu'estce donc que M. Joubert? » Le nom de l'aimable penseur est maintenant en possession d'une notoriété, j'allais dire d'une célébrité

(1) Euvres de J. Joubert, Pensées et Correspondance; 2 vol. in-12. Paris, Didier.

incontestable : les deux volumes de ses œuvres sont, à cette heure, d'une pratique journalière pour les esprits délicats; on le cite partout avec faveur et l'on fait appel à ses décisions d'artiste et de critique comme à celles d'un juge consommé.

Sans entrer dans les détails que comporte une biographie complète, il y aura pourtant quelque intérêt et, peut-être aussi, quelque utilité à retracer les traits saillants et comme les grandes lignes de la vie de Joubert. Tout en nous appliquant à en caractériser les diverses périodes, nous aurons quelque chance de découvrir comment il fut amené à composer un nouveau livre de Pensées alors que notre littérature, si riche en ce genre d'écrits, semblait devoir décourager à l'avance tout audacieux qui serait tenté de courir la carrière fournie par les maîtres immortels des siècles précédents.

Or, je trouve dans la vie de Joubert trois phases très-distinctes: l'une, de jeunesse, vers laquelle il reportait plus tard son âme avec délices; la seconde, où il s'éprouve dans la lutte et qui correspond à son séjour à Paris, la ville de ses rêves, urbem quam dicunt Lutetiam; la dernière enfin, de tranquillité et de calme bienfaisant, qui commence à son ma

riage, en pleine Terreur, pour s'étendre, sans bruit ni secousse, jusqu'à la date néfaste de 1824.

Né à Montignac, en 1754, Joubert passa ses premières années au sein de la famille. C'est là, sous l'oeil vigilant d'une mère d'élite qui suivait les progrès de son premier fils, que cet enfant doux » acquit, avec l'instruction sommaire qu'on donnait alors dans les petites villes, le trésor bien autrement estimable de principes moraux qu'appuyaient journellement de bons exemples et d'excellents conseils. Confié, à quatorze ans, aux Pères de la Doctrine chrétienne qui enseignaient les belles-lettres à Toulouse, il fit, sous leur direction, des progrès si rapides et si soutenus que, ses études terminées, il dut céder aux sollicitations de ses maîtres et enseigner à son tour. Le jeune homme se prêta volontiers à une proposition qui devait favoriser singulièrement son infatigable ardeur pour l'étude ; et, dès lors, nous le retrouvons partagé entre le soin d'apprendre pour lui-même et celui d'apprendre aux autres, soin qui ressemble fort au premier si, comme il l'assure, enseigner, c'est apprendre deux fois.

Tout entier à l'étude de la docte antiquité

dont il s'assimilait les chefs-d'œuvre, Joubert oubliait trop qu'il devait ménager sa santé, quand une fatigue générale dont il fut pris subitement le contraignit à compter davantage avec ses forces. Ni les instances des vieux Pères, ni l'affection de ses élèves, qu'il avait aisément conquise dès le premier jour, ne purent le retenir plus longtemps. Forcé de songer au repos sans retard, le jeune maître vint à Montignac se remettre de ses fatigues.

Là, grâce à cette panacée par excellence qu'on nomme les soins d'une mère, et aussi, sans doute, à la vigueur de ses vingt-deux ans, le malade ne tarda pas à éprouver un mieux sensible: il put, sans imprudence, revenir par instants à ses études favorites et oublier, dans la compagnie des anciens, les heures parfois longues de la convalescence.

Cependant le souci de son avenir ne laissait pas que de le préoccuper un peu. Incapable de se vouer désormais à l'enseignement, il se demandait où il pourrait découvrir une place honorable qui, tout en ménageant ses forces, répondît à son insatiable ambition de voir et de connaître.

La capitale lui apparut alors comme le théâtre le plus propre à se produire. Aussi, deux ans à peine s'étaient-ils écoulés depuis sa

« PreviousContinue »