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ÉCLAIRCISSEMENTS

NÉCESSAIRES

DONNÉS PAR M. De Voltaire le 20 MAI 1738,

SUR

LES ÉLÉMENTS DE LA PHILOSOPHIE DE NEWTON'.

Ayant enfin reçu un exemplaire de mes Éléments de Newton, je me suis cru dans la nécessité indispensable de donner les éclaircissements suivants, qui doivent servir d'introduction, et que les libraires doivent distribuer avec un très grand errata à ceux qui ont lu ce livre.

Éclaircissement sur la lumière.

1° J'entends dire qu'on trouve une espèce de contradiction au chapitre deuxième, où je parle de cette belle

1 Ces Éclaircissements, envoyés par Voltaire à divers journaux, imprimés dans les Mémoires de Trévoux (juillet 1738), furent mis par lui en tête de l'édition qu'il donna à Londres (Paris), des Éléments de la philosophie de Newton, qui n'était que la réimpression de celle de Hollande, toutefois avec l'addition du xxvi chap. C'est donc à l'édition de Hollande que se rapportent ces Éclaircissements. Ils pouvaient, en 1738, être considérés comme une préface. Les changements et nombreuses augmentations faits depuis par l'auteur, font que ces Eclaircissements ne sont plus qu'une pièce historique; aussi Voltaire lui-même ne les avait-il pas reproduits dans l'édition de 1741, la première qui contienne les trois parties des Éléments. En conservant les Éclaircissements, je les place à la date que leur a assignée Voltaire; et je crois me conformer à ses intentions en les séparant des Eléments, qui font partie du volume XXXVIII. B.

expérience que fait sans doute M. Nollet: expérience par laquelle la lumière rejaillit et passe du fond d'un cristal en haut ; je dis que cette lumière rejaillit aussi du vide même. Il n'y a là aucune contradiction, la chose n'est pas moins certaine qu'étonnante; il est indubitable qu'un rayon de lumière, tombant sous un certain angle comme de 42 degrés sur un cristal, n'entre que très peu dans l'air qui touche le fond de ce cristal, mais rentre presque tout entier dans le verre, comme si l'air le repoussait; il est certain que si on trouve le moyen de pomper l'air derrière ce cristal, alors il ne passe aucun rayon, et que ce vide, en ce cas, semble plus puissant que l'air pour repousser toute cette lumière, qu'on croirait devoir trouver un accès si facile et dans l'air et dans l'espace purgé d'air.

Ce phénomène admirable dont j'ai parlé, parcequ'il me semble qu'il n'était pas assez généralement connu en France; ce mystère, dis-je, est une des plus puissantes démonstrations de cette attraction tant combattue; car, si vous concevez bien qu'un trait de lumière qui entrerait dans l'eau n'entre presque point dans l'air, et que si l'air est ôté, ce rayon repasse presque tout entier dans ce cristal dont il était prêt à s'échapper, vous concevez invinciblement qu'il y a dans ce cristal une puissance qui force ce rayon à repasser dans sa substance; et tout géomètre qui examinera le mouvement de ce rayon, et l'espèce de courbe qu'il décrit lorsqu'il commence à remonter à travers de ce verre, verra que du sommet de cette courbe il doit rejaillir avec la même vitesse qu'il était tombé. Remarquez encore soigneusement que cette expérience

n'a rien de commun avec celle de la réfraction dans le vide au bout d'une lunette; l'expérience de la réfraction dans le vide ne se fait point au même angle que celle dont je parle, et c'est probablement ce qui a trompé ceux qui ont critiqué cet endroit. Ils n'ont pas distingué le rejaillissement du vide, et la réfraction qui s'opère dans le vide.

Sur une vérité importante d'optique.

2o Il y a un fait d'une physique plus singulière et plus intéressante; c'est au chapitre sixième où j'ose affirmer que toutes les lois de l'optique n'influent point physiquement sur la manière dont nous voyons. Je ne prétends point assurément contredire en cela les mathématiques dans un ouvrage dont elles sont le fondement: mais je prétends démontrer que l'Auteur de la nature a établi encore d'autres lois, et qu'un homme qui ne connaîtrait les rapports que des lignes, des surfaces et des solides, serait très loin de connaître la nature".

Je dis donc qu'il se forme, selon les lois de l'optique, un angle une fois plus grand dans votre œil quand vous voyez un homme à dix pas, que quand vous le voyez à vingt pas. Je dis que l'optique nous apprend qu'un objet est vu d'autant plus grand, qu'il est vu sous un plus grand angle. Malgré cette loi mathématique, un homme vous paraît précisément de la même grandeur à dix pas et à vingt pas. Je demande comment ce sen

aN. B. Que pages 78-79, il y a toujours 4 pour 2, et 2 pour 4: le lecteur peut corriger ces erreurs ; mais un carton serait mieux.

timent contredit ainsi le mécanisme de nos organes et les lois de la géométrie. J'affirme enfin que la simple géométrie ne résoudra jamais ce problème. Un des philosophes des plus estimables de l'Europe m'écrivit l'année passée que je m'avançais trop, et qu'il ne serait point du tout embarrassé à expliquer géométriquement ce problème. J'ose prendre la liberté de lui dire qu'il n'en rendra jamais raison géométriquement, et que, s'il ne résout point cette difficulté, personne ne pourra la résoudre. Je crois que cette impossibilité est aussi bien démontrée que celle du mouvement perpétuel, ou de la quadrature du cercle.

Voici ma démonstration soumise à un examen d'autant plus rigoureux et plus aisé, qu'elle est plus simple. Placez-vous à la tête de deux files de vingt soldats, tous d'égale grandeur et tous à égale distance les uns des autres; il est bien certain que les derniers soldats sont vus sous un angle vingt fois plus petit que les premiers. Il n'est pas moins certain que tous ces soldats vous paraissent également grands; quelque forme qu'on donne à l'œil, quelque supposition qu'on fasse, que votre cristallin s'allonge ou s'arrondisse, se recule ou s'avance, il est également arrondi ou aplati, ou éloigné ou rapproché, par rapport à tous ces soldats que vous regardez à-la-fois. S'il rend les angles dans votre rétine plus petits, tous les objets doivent diminuer à proportion de leur distance; s'il les rend plus grands, tous les objets doivent s'agrandir proportionnellement. Imaginez tous les moyens possibles pour tâcher d'avoir dans votre œil l'angle formé par le dernier soldat vingt fois plus grand, il faut qu'alors l'angle

formé par le premier soldat devienne vingt fois plus grand aussi qu'il n'était; c'est une contradiction dans les termes que l'œil puisse se modifier au même instant d'une façon pour les objets à vingt pas, et d'une autre pour les objets à un pas. Donc il est démontré impossible de trouver une règle mathématique pour expliquer comment, avec un angle deux fois plus grand, vous voyez cependant un objet de la même dimension que celui qui vous paraît sous un angle deux fois plus petit; donc il faut de nécessité recourir aux autres lois dont je parle.

Sur un cas très singulier de catoptrique.

3° Voici un cas très singulier, entre autres, où l'expérience dément une des plus grandes lois de la catoptrique; elle mérite toute l'attention des philosophes.

(Fig. 1) Soit, par exemple, votre montre X réfléchie dans ce miroir concave; par toutes les lois de l'optique, vous devez voir votre montre dans l'endroit où son rayon réfléchi se réunira avec une autre ligne nommée cathète, passant du point d'incidence au centre de la sphère du miroir concave. Mais ici ce cathète et ce rayon réfléchi peuvent se réunir à une distance infinie par exemple, soit votre œil en A, plus vous vous éloignez de ce point A, plus vous devez voir l'objet petit et éloigné, puisqu'il vient à vous par des rayons convergents, vous devez le voir comme un point, s'il est possible qu'il soit vu.

Il y a plus, vous devez ne le point voir du tout; car c'est derrière vous qu'est le point visible, le point qui

MÉLANGES. I.

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