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Voilà bien des raisons de douter que ce grand ministre soit l'auteur de ce livre. Je me souviens d'avoir entendu dire dans mon enfance, à un vieillard très instruit, que le Testament politique était de l'abbé Bourzeis, l'un des premiers académiciens, et homme très médiocre. Mais je crois qu'il est plus aisé de savoir de qui ce livre n'est pas, que de connaître son auteur. Remarquez ici quelle est la faiblesse humaine. On admire ce livre, parcequ'on le croit d'un grand ministre. Si on savait qu'il est de l'abbé Bourzeis, on ne le lirait pas. En rendant ainsi justice à tout le monde, en pesant tout dans une balance exacte, élevez-vous surtout contre la calomnie 2.

On a vu, soit en Hollande, soit ailleurs, de ces ouvrages périodiques destinés en apparence à instruire, mais composés en effet pour diffamer; on a vu des auteurs que l'appât du gain et la malignité ont transformés en satiriques mercenaires, et qui ont vendu publiquement leurs scandales, comme Locuste vendait les poisons. Parmi ceux qui ont ainsi déshonoré les lettres et l'humanité, qu'il me soit permis d'en citer un qui, pour prix du plus grand service qu'un homme puisse peut-être rendre à un autre homme, s'est déclaré pendant tant d'années mon plus cruel ennemi. On l'a vu imprimer publiquement, distribuer, et vendre lui-même un libelle infame, digne de toute la sévérité des lois; on l'a vu ensuite de la même main dont il avait écrit et distribué ces calom

1 Le Mercure porte : « Son auteur; et en rendant ainsi justice, etc.» B. 2 On lit dans le Mercure: « Contre la calomnie. Parlez avec courage con«tre ces injustices, et faites sentir, etc. » B.

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nies, les désavouer presque avec autant de honte qu'il les avait publiées. « Je me croirais déshonoré, dit-il <«< dans sa déclaration donnée aux magistrats; je me «< croirais déshonoré, si j'avais eu la moindre part à «< ce libelle, entièrement calomnieux, écrit contre un << homme pour qui j'ai tous les sentiments d'estime, etc. Signé l'abbé DESfontaines. »

C'est à ces extrémités malheureuses qu'on est réduit lorsqu'on fait de l'art d'écrire un si détestable usage.

J'ai lu dans un livre qui porte le titre de Journal, qu'il n'est pas étonnant que les jésuites prennent quelquefois le parti de l'illustre Wolf, parceque les jésuites sont tous athées.

Parlez avec courage contre ces exécrables injustices, et faites sentir à tous les auteurs de ces infamies, que le mépris et l'horreur du public seront éternellement leur partage.

SUR LES LANGUES.

Il faut qu'un bon journaliste sache au moins l'anglais et l'italien; car il y a beaucoup d'ouvrages de génie dans ces langues, et le génie n'est presque jamais traduit. Ce sont, je crois, les deux langues de l'Europe les plus nécessaires à un Français. Les Italiens sont les premiers qui aient retiré les arts de la barbarie; et il y a tant de grandeur, tant de force d'imagination jusque dans les fautes des Anglais, qu'on ne peut trop conseiller l'étude de leur langue.

Il est triste que le grec soit négligé en France; mais il n'est pas permis à un journaliste de l'ignorer. Sans cette connaissance, il y a un grand nombre de mots

français dont il n'aura jamais qu'une idée confuse; car depuis l'arithmétique jusqu'à l'astronomie, quel est le terme d'art qui ne dérive de cette langue admirable? A peine y a-t-il un muscle, une veine, un ligament dans notre corps, une maladie, un remède, dont le nom ne soit grec. Donnez-moi deux jeunes gens, dont l'un saura cette langue et dont l'autre l'ignorera; que ni l'un ni l'autre n'ait la moindre teinture d'anatomie; qu'ils entendent dire qu'un homme est malade d'un diabetes, qu'il faut faire à celui-ci une paracentèse, que cet autre a une ankilose ou un bubonocèle; celui qui sait le grec entendra tout d'un coup de quoi il s'agit, parcequ'il voit de quoi ces mots sont composés; l'autre ne comprendra absolument rien.

Plusieurs mauvais journalistes ont osé donner la préférence à l'Iliade de La Motte sur l'Iliade d'Homère. Certainement, s'ils avaient lu Homère en sa langue, ils eussent vu que la traduction est autant audessous de l'original, que Segrais est au-dessous de Virgile.

2

Un journaliste versé dans la langue grecque pourra-t-il s'empêcher de remarquer, dans les traductions que Tourreil a faites de Démosthène, quelques faiblesses au milieu de ses beautés ? « Si quelqu'un, dit « le traducteur, vous demande: Messieurs les Athéniens, avez-vous la paix? Non, de par Jupiter, ré

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1 Le Mercure porte seulement : « Malade d'une péripneumonie ; celui qui

sait le grec, etc.»> B.

2 Le Mercure porte : « La traduction est plus au-dessous de l'original, que

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pondez-vous; nous avons la guerre avec Philippe.» Le lecteur, sur cet exposé, pourrait croire que Démosthène plaisante à contre-temps; que ces termes familiers et réservés pour le bas comique, messieurs les Athéniens, de par Jupiter, répondent à de pareilles expressions grecques. Il n'en est pourtant rien, et cette faute appartient tout entière au traducteur. Ce sont mille petites inadvertances pareilles qu'un journaliste éclairé peut faire observer, pourvu qu'en même temps il remarque encore plus les beautés.

Il serait à souhaiter que les savants dans les langues orientales nous eussent donné des journaux des livres de l'Orient. Le public ne serait pas dans la profonde ignorance où il est de l'histoire de la plus grande partie de notre globe; nous nous accoutumerions à réformer notre chronologie sur celle des Chinois; nous serions plus instruits de la religion de Zoroastre, dont les sectateurs subsistent encore, quoique sans patrie, à peu près comme les Juifs et quelques autres sociétés superstitieuses répandues de temps immémorial dans l'Asie. On connaîtrait les restes de l'ancienne philosophie indienne; on ne donnerait plus le nom fastueux d'Histoire universelle à des recueils de quelques fables d'Égypte, des révolutions d'un pays grand comme la Champagne, nommé la Grèce, et du peuple romain qui, tout étendu et tout victorieux qu'il a été, n'a jamais eu sous sa domination tant d'états que le peuple de Mahomet, et qui n'a jamais conquis la dixième partie du monde.

Mais aussi, que votre amour pour les langues

étrangères ne vous fasse pas mépriser ce qui s'écrit dans votre patrie; ne soyez point comme ce faux délicat à qui Pétrone fait dire :

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« Ales phasiacis petita Colchis,

Atque afræ volucres placent palato....
Quidquid quæritur optimum videtur.»

On ne trouva de poëte français dans la bibliothèque de l'abbé de Longuerue, qu'un tome de Malherbe. Je voudrais, encore une fois, en fait de belleslettres, qu'on fût de tous les pays, mais surtout du sien. J'appliquerai à ce sujet des vers de M. de La Motte; car il en a quelquefois fait d'excellents:

C'est par l'étude que nous sommes
Contemporains de tous les hommes,
Et citoyens de tous les lieux.

DU STYLE D'UN JOURNALISTE.

Quant au style d'un journaliste, Bayle est peutêtre le premier modèle, s'il vous en faut un; c'est le plus profond dialecticien qui ait jamais écrit; c'est presque le seul compilateur qui ait du goût. Cependant dans son style toujours clair et naturel, il y a trop de négligence, trop d'oubli des bienséances, trop d'incorrection. Il est diffus: il fait, à la vérité, conversation avec son lecteur comme Montaigne; et en cela il charme tout le monde; mais il s'abandonne à une mollesse de style, et aux expressions triviales

I

Il y a dans le Mercure : « On ne trouva dans la bibliothèque de l'abbé de Longuerue, après sa mort, aucun poëte français. Je voudrais, etc. » B.

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