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cet univers puisse être autrement qu'elle est; car si elle est en ce moment d'une nécessité absolue, ce mot seul exclut toute autre manière d'être : or, certainement cette table sur laquelle j'écris, cette plume dont je me sers, n'ont pas toujours été ce qu'elles sont; ces pensées que je trace sur le papier n'existaient pas même il y a un moment, donc elles n'existent pas nécessairement. Or, si chaque partie n'existe pas d'une nécessité absolue, il est donc impossible que le tout existe par lui-même. Je produis du mouvement, donc le mouvement n'existait pas auparavant; donc le mouvement n'est pas essentiel à la matière; donc la matière le reçoit d'ailleurs, donc il y a un Dieu qui le lui donne. De même l'intelligence n'est pas essentielle à la matière; car un rocher ou du froment ne pensent point. De qui donc les parties de la matière qui pensent et qui sentent auront-elles reçu la sensation et la pensée? ce ne peut être d'elles-mêmes, puisqu'elles sentent malgré elles; ce ne peut être de la matière en général, puisque la pensée et la sensation ne sont point de l'essence de la matière; elles ont donc reçu ces dons de la main d'un Être suprême, intelligent, infini, et la cause originaire de tous les êtres.

Voilà en peu de mots les preuves de l'existence d'un Dieu, et le précis de plusieurs volumes; précis que chaque lecteur peut étendre à son gré.

Voici avec autant de brièveté les objections qu'on peut faire à ce système.

DIFFICULTÉS SUR L'EXISTENCE DE DIEU.

1° Si Dieu n'est pas ce monde matériel, il l'a créé (ou bien, si vous voulez, il a donné à quelque autre être le pouvoir de le créer, ce qui revient au même); mais en fesant ce monde, ou il l'a tiré du néant, ou il l'a tiré de son propre être divin. Il ne peut l'avoir tiré du néant qui n'est rien; il ne peut l'avoir tiré de soi, puisque ce monde en ce cas serait essentiellement partie de l'essence divine: donc je ne puis avoir d'idée de la création, donc je ne dois point admettre la création.

2o Dieu aurait fait ce monde ou nécessairement ou librement : s'il l'a fait par nécessité, il a dû toujours l'avoir fait; car cette nécessité est éternelle; donc, en ce cas, le monde serait éternel, et créé, ce qui implique contradiction. Si Dieu l'a fait librement par pur choix, sans aucune raison antécédente, c'est encore une contradiction; car c'est se contredire que de supl'Être infiniment sage fesant tout sans aucune raison qui le détermine, et l'Être infiniment puissant ayant passé une éternité sans faire le moindre usage de sa puissance.

poser

3o S'il paraît à la plupart des hommes qu'un être intelligent a imprimé le sceau de la sagesse sur toute la nature, et que chaque chose semble être faite pour une certaine fin, il est encore plus vrai aux yeux des philosophes que tout se fait dans la nature par les lois éternelles, indépendantes et immuables des mathématiques; la construction et la durée du corps humain sont une suite de l'équilibre des liqueurs et de

la force des leviers. Plus on fait de découvertes dans la structure de l'univers, plus on le trouve arrangé, depuis les étoiles jusqu'au ciron, selon les lois mathématiques. Il est donc permis de croire que ces lois ayant opéré par leur nature, il en résulte des effets nécessaires que l'on prend pour les déterminations arbitraires d'un pouvoir intelligent. Par exemple, un champ produit de l'herbe, parceque telle est la nature de son terrain arrosé par la pluie, et non pas parcequ'il y a des chevaux qui ont besoin de foin et d'avoine: ainsi du reste..

4° Si l'arrangement des parties de ce monde, et tout ce qui se passe parmi les êtres qui ont la vie sentante et pensante, prouvait un Créateur et un maître, il prouverait encore mieux un être barbare: car si l'on admet des causes finales, on sera obligé de dire que Dieu, infiniment sage et infiniment bon, a donné la vie à toutes les créatures pour être dévorées les unes par les autres. En effet, si l'on considère tous les animaux, on verra que chaque espèce a un instinct irrésistible qui le force à détruire une autre espèce. A l'égard des misères de l'homme, il y a de quoi faire des reproches à la Divinité pendant toute notre vie. On a beau nous dire que la sagesse et la bonté de Dieu ne sont point faites comme les nôtres; cet argument ne sera d'aucune force sur l'esprit de bien des gens, qui répondront qu'ils ne peuvent juger de la justice que par l'idée même qu'on suppose que Dieu leur en a donnée, que l'on ne peut mesurer qu'avec la mesure que l'on a, et qu'il est aussi impossible que nous ne croyions pas très barbare un être qui se condui

MÉLANGES. I.

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rait comme un homme barbare, qu'il est impossible que nous ne pensions pas qu'un être quelconque a six pieds, quand nous l'avons mesuré avec une toise, et qu'il nous paraît avoir cette grandeur.

Si on nous réplique, ajouteront-ils, que notre mesure est fautive, on nous dira une chose qui semble impliquer contradiction; car c'est Dieu lui-même qui nous aura donné cette fausse idée: donc Dieu ne nous aura faits que pour nous tromper. Or, c'est dire qu'un être qui ne peut avoir que des perfections jette ses créatures dans l'erreur, qui est, à proprement parler, la seule imperfection; c'est visiblement se contredire. Enfin, les matérialistes finiront par dire: Nous avons moins d'absurdités à dévorer dans le système de l'athéisme que dans celui du déisme; car d'un côté il faut, à la vérité, que nous concevions éternel et infini ce monde que nous voyons, mais de l'autre il faut que nous imaginions un autre être infini et éternel, et que nous y ajoutions la création, dont nous ne pouvons avoir d'idée. Il nous est donc plus facile, concluront-ils, de ne pas croire un Dieu que de le

croire.

RÉPONSE A CES OBJECTIONS.

Les arguments contre la création se réduisent à montrer qu'il nous est impossible de la concevoir, c'est-à-dire d'en concevoir la manière, mais non pas qu'elle soit impossible en soi; car, pour que la création fût impossible, il faudrait d'abord prouver qu'il est impossible qu'il y ait un Dieu; mais, bien loin de prouver cette impossibilité, on est obligé de recon

naître qu'il est impossible qu'il n'existe pas. Cet argument, qu'il faut qu'il y ait hors de nous un être infini, éternel, immense, tout puissant, libre, intelligent, et les ténèbres qui accompagnent cette lumière, ne servent qu'à montrer que cette lumière existe; car de cela même qu'un être infini nous est démontré, il nous est démontré aussi qu'il doit être impossible à un être fini de le comprendre.

Il me semble qu'on ne peut faire que des sophismes et dire des absurdités quand on veut s'efforcer de nier la nécessité d'un être existant par lui-même, ou lorsqu'on veut soutenir que la matière est cet être. Mais lorsqu'il s'agit d'établir et de discuter les attributs de cet être, dont l'existence est démontrée, c'est tout autre chose.

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Les maîtres dans l'art de raisonner, les Locke, les Clarke, nous disent : « Cet être est un être intelligent; <«< car celui qui a tout produit doit avoir toutes les per<«< fections qu'il a mises dans ce qu'il a produit, sans quoi l'effet serait plus parfait que la cause »; ou bien d'une autre manière: « Il y aurait dans l'effet «< une perfection qui n'aurait été produite par rien, «< ce qui est visiblement absurde. Donc, puisqu'il y a « des êtres intelligents, et que la matière n'a pu se « donner la faculté de penser, il faut que l'être exis<«< tant par lui-même, que Dieu soit un être intelli«< gent. » Mais ne pourrait-on pas rétorquer cet argument et dire: « Il faut que Dieu soit matière, » puisqu'il y a des êtres matériels; car, sans cela, la matière n'aura été produite par rien, et une cause aura produit un effet dont le principe n'était pas en elle? On

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