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des

I

Ces beaux lieux, du pape bénis,
Semblent habités par les diables,
Et les habitants misérables
Sont damnés dans le paradis.

Je ne suis pas de l'avis de milord Harvey. Il y a pays en Italie qui sont très malheureux, parceque des étrangers s'y battent depuis long-temps à qui les gouvernera; mais il y en a d'autres où l'on n'est ni gueux ni si sot qu'il le dit.

si

LETTRE XXI2.

Sur le comte de Rochester et M. Waller.

Tout le monde connaît la réputation 3 du comte de Rochester. M. de Saint-Évremond en a beaucoup parlé; mais il ne nous a fait connaître du fameux Rochester que l'homme de plaisir, l'homme à bonnes fortunes. Je voudrais faire connaître en lui l'homme

1 Au lieu de ce dernier alinéa, on lit dans l'édition de 1734:

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· Peut-être dira-t-on que ces vers sont d'un hérétique; mais on traduit « tous les jours, et même assez mal, ceux d'Horace et de Juvénal, qui << avaient le malheur d'ètre païens. Vous savez bien qu'un traducteur ne doit pas répondre des sentiments de son auteur. Tout ce qu'il peut faire, c'est de prier Dieu pour sa conversion; et c'est ce que je ne manque pas de faire pour celle de milord. »

Dans l'édition de 1739, il n'y avait aucune ligne de prose après les vers. Ce qui suit aujourd'hui les vers formait une note en 1751, mais fesait partie du texte en 1752. B.

2 Cette lettre formait, dans l'édition de Kehl, l'article ROCHESTER ET WALLER du Dictionnaire philosophique. B. - 3 « Connaît de réputation le

«comte de Rochester. » B.

de génie et le grand poëte. Entre autres ouvrages qui brillaient de cette imagination ardente qui n'appartenait qu'à lui, il a fait quelques satires sur les mêmes sujets que notre célèbre Despréaux avait choisis. Je ne sais rien de plus utile pour se perfectionner le goût que la comparaison des grands génies qui se sont exercés sur les mêines matières.

Voici comme M. Despréaux parle contre la raison humaine dans sa satire sur l'homme :

Cependant à le voir, plein de vapeurs légères,
Soi-même se bercer de ses propres chimères,
Lui seul de la nature est la base et l'appui,
Et le dixième ciel ne brille que pour lui.
De tous les animaux il est, dit-il, le maître;
Qui pourrait le nier? poursuis-tu. Moi, peut-être...
Ce maître prétendu qui leur donne des lois,
Ce roi des animaux, combien a-t-il de rois?

Voici à peu près comme s'exprime le comte de Rochester dans sa satire sur l'homme; mais il faut que le lecteur se ressouvienne toujours que ce sont ici des traductions libres de poëtes anglais, et que la gêne de notre versification et les bienséances délicates de notre langue ne peuvent donner l'équivalent de la licence impétueuse du style anglais.

Cet esprit que je hais, cet esprit plein d'erreur,
Ce n'est pas ma raison, c'est la tienne, docteur.
C'est ta raison frivole, inquiète, orgueilleuse,
Des sages animaux rivale dédaigneuse,

Qui croit entre eux et l'ange occuper le milieu,
Et pense être ici-bas l'image de son Dieu.

Vil atome importun, qui croit, doute, dispute,
Rampe, s'élève, tombe, et nie encor sa chute;

Qui nous dit: Je suis libre, en nous montrant ses fers,

Et dont l'œil trouble et faux croit percer l'univers;
Allez, révérends fous, bienheureux fanatiques,
Compilez bien l'amas de vos riens scolastiques.
Pères de visions et d'énigmes sacrés,
Auteurs du labyrinthe où vous vous égarez,
Allez obscurément éclaircir vos mystères,
Et courez dans l'école adorer vos chimères.
Il est d'autres erreurs, il est de ces dévots,
Condamnés par eux-même à l'ennui du repos.
Ce mystique encloîtré, fier de son indolence,
Tranquille au sein de Dieu, qu'y peut-il faire? Il pense.
Non, tu ne penses point, tu végètes, tu dors;
Inutile à la terre, et mis au rang des morts,

Ton esprit énervé croupit dans la mollesse :
Réveille-toi, sois homme, et sors de ton ivresse.
L'homme est né pour agir, et tu prétends penser?

Que ces idées soient vraies ou fausses, il est toujours certain qu'elles sont exprimées avec une énergie qui fait le poëte.

Je me garderai bien d'examiner la chose en philosophe, et de quitter ici le pinceau pour le compas. Mon unique but dans cette lettre est de faire connaître le génie des poëtes anglais 2.

I

On a beaucoup entendu parler du célèbre Waller en France. La Fontaine, Saint-Évremond, et Bayle, ont fait son éloge; mais on ne connaît de lui que son nom. Il eut à peu près à Londres la même réputation que Voiture eut à Paris, et je crois qu'il la méritait mieux. Voiture vint dans un temps où l'on sortait de la barbarie, et où l'on était encore dans l'ignorance. On voulait avoir de l'esprit, et on n'en avait pas en

Les mots dans cette lettre avaient été supprimés, et sont rétablis ici pour les raisons expliquées dans ma note, page 240. B. — 2 1734. « Poëtes « anglais, et je vais continuer sur Caton. On a beaucoup entendu.» B.

core; on cherchait des tours au lieu de pensées : les faux brillants se trouvent plus aisément que les pierres précieuses. Voiture, né avec un génie frivole et facile, fut le premier qui brilla dans cette aurore de la littérature française. S'il était venu après les grands hommes qui ont illustré le siècle de Louis XIV', il aurait été obligé d'avoir plus que de l'esprit. C'en était assez pour l'hôtel de Rambouillet, et non pour la postérité. Despréaux le loue 2, mais c'est dans ses premières satires; c'est dans le temps où le goût de Despréaux n'était pas encore formé il était jeune et dans l'âge où l'on juge des hommes par la réputation, et non point par eux-mêmes. D'ailleurs Despréaux était souvent bien injuste dans ses louanges et dans ses censures. Il louait Segrais3, que personne ne lit; il insultait Quinault 4, que tout le monde sait par cœur; et il ne dit rien de La Fontaine. Waller, meilleur que Voiture, n'était pas encore parfait. Ses ouvrages galants respirent la grace; mais la négligence les fait languir, et souvent les pensées fausses les défigurent. Les Anglais n'étaient pas encore parvenus de son temps à écrire avec correction. Ses ouvrages sérieux sont pleins d'une vigueur qu'on n'attendrait pas de la mollesse de ses autres pièces. Il a fait un éloge funèbre de Cromwell, qui, avec ses défauts, passe pour un chef-d'œuvre. Pour entendre cet ouvrage, il faut savoir que Cromwell mourut le jour d'une tempête extraordinaire.

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11734. «Louis XIV, ou il aurait eté inconnu, ou l'on n'aurait parlé de lui

que pour le mépriser, ou il aurait corrigé son style. M. Despréaux le

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La pièce commence ainsi :

Il n'est plus, c'en est fait, soumettons-nous au sort:
Le ciel a signalé ce jour par des tempêtes,
Et la voix du tonnerre, éclatant sur nos têtes,
Vient d'annoncer sa mort.

Par ses derniers soupirs il ébranle cette ile,
Cette ile que son bras fit trembler tant de fois,
Quand, dans le cours de ses exploits,

Il brisait la tête des rois,

Et soumettait un peuple à son joug seul docile.
Mer, tu t'en es troublée. O mer! tes flots émus
Semblent dire en grondant aux plus lointains rivages
Que l'effroi de la terre, et ton maitre, n'est plus.
Tel au ciel autrefois s'envola Romulus,

Tel il quitta la terre au milieu des orages,

Tel d'un peuple guerrier il reçut les hommages :
Obéi dans sa vie, à sa mort adoré,

Son palais fut un temple, etc.

C'est à propos de cet éloge de Cromwell que Waller fit au roi Charles H cette réponse qu'on trouve dans le dictionnaire de Bayle. Le roi, à qui Waller venait, selon l'usage des rois et des poëtes, de présenter une pièce farcie de louanges, lui reprocha qu'il avait fait mieux pour Cromwell. Waller répondit : « Sire, nous <«< autres poëtes, nous réussissons mieux dans les fic« tions que dans les vérités. » Cette réponse n'était pas si sincère que celle de l'ambassadeur hollandais, qui, lorsque le même roi se plaignait que l'on avait moins d'égards pour lui que pour Cromwell, répondit: « Ah! «sire, ce Cromwell était tout autre chose. » Il y a des courtisans, même en Angleterre, et Waller l'était; mais je ne considère les gens après leur mort que par

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11734. « Tout autre chose. Mon but n'est pas de faire un commentaire « sur le caractère de Waller ni de personne : je ne considère. » B.

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