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meurent dans les années les plus favorables, et dix 1 en conservent pour toujours de fâcheux restes. Voilà donc la cinquième partie des hommes que cette maladie tue ou enlaidit sûrement. De tous ceux qui sont inoculés en Turquie ou en Angleterre, aucun ne meurt, s'il n'est infirme et condamné à mort d'ailleurs; personne n'est marqué, aucun n'a la petite vérole une seconde fois, supposé que l'inoculation ait été parfaite. Il est donc certain que, si quelque ambassadrice francaise avait rapporté ce secret de Constantinople à Paris, elle aurait rendu un service éternel à la nation; le duc de Villequier, père du duc d'Aumont d'aujourd'hui, l'homme de France le mieux constitué et le plus sain, ne serait pas mort à la fleur de son âge; le prince de Soubise, qui avait la santé la plus brillante, n'aurait pas été emporté à l'âge de vingt-cinq ans ; Monseigneur, grand-père de Louis XV, n'aurait pas été enterré dans sa cinquantième année; vingt mille personnes mortes à Paris de la petite vérole en 1723, vivraient encore. Quoi donc! est-ce que les Français n'aiment point la vie? est-ce que leurs femmes ne se soucient point de leur beauté? En vérité, nous sommes d'étranges gens! Peut-être dans dix ans prendra-t-on cette méthode anglaise, si les curés et les médecins le permettent; ou bien les Français, dans trois mois, se serviront de l'inoculation par fantaisie, si les Anglais s'en dégoûtent par inconstance.

J'apprends que depuis cent ans les Chinois sont dans cet usage; c'est un grand préjugé que l'exemple d'une nation qui passe pour être la plus sage et la

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mieux policée de l'univers. Il est vrai que les Chinois s'y prennent d'une façon différente; ils ne font point d'incision, ils font prendre la petite vérole par le nez comme du tabac en poudre cette façon est plus agréable, mais elle revient au même, et sert également à confirmer que, si on avait pratiqué l'inoculation en France, on aurait sauvé la vie à des milliers d'hommes'.

« Il y a quelques années qu'un missionnaire jésuite ayant lu cet article, et se trouvant dans un canton de l'Amérique où la petite vérole exerçait des ravages affreux, s'avisa de faire inoculer tous les petits sauvages qu'il baptisait ; ils lui dûrent ainsi la vie présente et la vie éternelle. Quels dons pour des sauvages 2!

« Un évêque de Worcester a depuis peu prêché à Londres l'inoculation; il a démontré en citoyen combien cette pratique avait conservé de sujets à l'état ; il l'a recommandée en pasteur charitable. On prêcherait à Paris contre cette invention salutaire, comme on a écrit vingt ans contre les expériences de Newton: tout prouve que les Anglais sont plus philosophes et plus hardis que nous. Il faut bien du temps pour qu'une certaine raison et un certain courage d'esprit franchissent le pas de Calais.

« Il ne faut pourtant pas s'imaginer que depuis Douvres jusqu'aux îles Orcades on ne trouve que des philosophes; l'espèce contraire compose toujours le grand nombre: l'inoculation fut d'abord combattue à

Fin de l'article en 1734, 1739, 1742, 1748, 1751; le reste fut, comme on le verra, ajouté en 1752 et 1756. B.

2 Fin de l'article en 1752. Le reste a été ajouté en 1756. B.

Londres; et, long-temps avant que l'évêque de Worcester annonçât cet évangile en chaire, un curé s'était avisé de prêcher contre : il dit que Job avait été inoculé par le diable. Ce prédicateur était fait pour être capucin, il n'était guère digne d'être né en Angleterre. Le préjugé monta donc en chaire le premier, et la raison n'y monta qu'ensuite : c'est la marche ordinaire de l'esprit humain ',>>

LETTRE XII2.

Sur le chancelier Bacon.

Il n'y a pas long-temps que l'on agitait dans une compagnie célèbre cette question usée et frivole, quel

I

Depuis le temps où cet article a été écrit, on a disputé beaucoup en France sur l'inoculation. Voici quels sont à peu près les points de la question, qu'on peut regarder comme bien éclaircis: 1o La petite vérole naturelle attaque l'homme à tous les âges, et il est très rare d'y échapper dans une longue carrière. 2o La petite vérole naturelle est beaucoup plus dangereuse que l'inoculation; et les progrès que la médecine a faits en cinquante ans dans l'art d'inoculer sans danger sont plus certains et plus grands, à proportion, que ceux qu'elle a pu faire dans l'art de traiter la petite vérole naturelle. 3o Il est très rare, pour le moins, d'avoir deux fois la petite vérole naturelle : il est aussi rare de l'avoir après l'inoculation, lorsque l'inoculation a véritablement fait contracter la maladie. 4° L'établissement général de l'inoculation serait très avantageux à une nation; il conserverait des hommes, et en préserverait d'autres des infirmités qui sont trop souvent la suite de la petite vérole naturelle. 5° L'inoculation est en général avantageuse à chaque particulier: mais, comme celui qui se fait inoculer s'expose à un danger certain et prochain pour se soustraire à un danger incertain et éloigné, chacun doit se déterminer d'après son courage et les circonstances où il se trouve. K.

2 Dans le Dictionnaire philosophique de l'édition de Kehl, cette lettre formait la seconde section de l'article BACON. B.

était le plus grand homme, de César, d'Alexandre, de Tamerlan, ou de Cromwell. Quelqu'un répondit que c'était sans contredit Isaac Newton. Cet homme avait raison; car, si la vraie grandeur consiste à avoir reçu du ciel un puissant génie, et à s'en être servi pour s'éclairer soi-même et les autres, un homme comme M. Newton, tel qu'il s'en trouve à peine en dix siècles, est véritablement le grand homme; et ces politiques et ces conquérants dont aucun siècle n'a manqué, ne sont d'ordinaire que d'illustres méchants. C'est à celui qui domine sur les esprits par la force de la vérité, non à ceux qui font des esclaves par violence 1, c'est à celui qui connaît l'univers, non à ceux qui le défigurent, que nous devons nos respects.

2 Le fameux baron de Verulam, connu en Europe sous le nom de Bacon, était fils d'un garde des sceaux, et fut long-temps chancelier sous le roi Jacques Ia. Cependant, au milieu des intrigues de la cour et des occupations de sa charge, qui demandaient un homme tout entier, il trouva le temps d'être grand philosophe, bon historien, et écrivain élégant; et, ce qui est encore plus étonnant, c'est qu'il vivait dans un siècle où l'on ne connaissait guère l'art de bien écrire, encore moins la bonne philosophie. Il a été, comme c'est l'usage

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21734. « Puis donc que vous exigez que je vous parle des hommes célèbres qu'a portés l'Angleterre, je commencerai par les Bacon, les Locke, les Newton, etc. ; les généraux et les ministres viendront à leur tour.

« Il faut commencer par le fameux comte de Verulam, connu en Europe « sous le nom de Bacon, qui était son nom de famille. Il était fils, etc. » — Bacon n'était pas comte, mais baron de Verulam et vicomte de Saint-Alban. On voit que Voltaire a corrigé son erreur sur la qualité de comte. B.

parmi les hommes, plus estimé après sa mort que de son vivant. Ses ennemis étaient à la cour de Londres, ses admirateurs étaient les étrangers. Lorsque le marquis d'Effiat amena en Angleterre la princesse Marie, fille de Henri-le-Grand, qui devait épouser 2 le roi Charles, ce ministre alla visiter Bacon, qui, étant alors malade au lit, le reçut les rideaux fermés. Vous ressemblez aux anges, lui dit d'Effiat; on entend toujours parler d'eux, on les croit bien supérieurs aux hommes, et on n'a jamais la consolation de les voir.

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"

On sait comment Bacon3 fut accusé d'un crime qui n'est guère d'un philosophe, de s'être laissé corrompre par argent. On sait comment 4 il fut condamné par la chambre des pairs à une amende d'environ quatre cent mille livres de notre monnaie, à perdre sa dignité de chancelier et de pair.

5

Aujourd'hui les Anglais révèrent sa mémoire au point qu'à peine avouent-ils qu'il ait été coupable. Si on me demande ce que j'en pense, je me servirai pour répondre d'un mot que j'ai ouï dire à milord Bolingbroke. On parlait en sa présence de l'avarice dont le duc de Marlborough avait été accusé, et on en citait des traits sur lesquels on appelait au témoignage de milord Bolingbroke, qui, ayant été d'un parti contraire, pouvait peut-être avec bienséance dire

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11734. « Étaient dans toute l'Europe. » B.- 21734. « Épouser le prince de Galles.» B.-3 1734. «Vous savez, monsieur, comment. » B.- 41734. Vous savez comment.» B.-5 1734. «Au point qu'ils ne veulent point avouer « qu'il ait été. » B.- 6 1734. « Si vous me demandez. » B.—7 1734. « Ayant été son ennemi déclaré. » B.

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