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combien l'esprit français, au commencement du XVIIIe siècle, emprunta lui-même à l'étranger, et que de choses il rendit puissantes, en les répétant. Je décris l'essor du génie dans la décadence sociale, le mélange d'erreurs hardies et de vérités fécondes qui se produisirent tout à coup, sous un gouvernement trop faible pour résister aux unes et pour profiter des autres; enfin le caractère nouveau que prit notre littérature, considérée non plus comme le premier des arts, mais comme la première des puissances, dans un siècle où toutes les autres avaient failli.

L'histoire littéraire du XVIIIe siècle, si souvent traitée, et quelquefois avec une précision supérieure, n'était pas épuisée, et ne le sera pas après ce livre. On la recommencera. Aujourd'hui même, elle anime d'un intérêt nouveau, sous le point de vue moral, les vives et spirituelles leçons d'un professeur de la Faculté des lettres (1), dont j'aime encore plus le succès que je ne redoute sa concurrence; et, il y a quelques années, elle inspirait, dans une chaire du Collège de France, de brillantes improvisations devenues un livre de philosophie sur l'influence politique de la France en Europe.

C'est que le XVIIIe siècle, quoiqu'il ait malheureusement plus détruit que fondé, a laissé partout des tra

(1) M. Saint-Marc Girardin.

ces durables. Ses idées, ses opinions, ses espérances, en partie corrigées, en partie réalisées, forment le fonds principal de la société présente. On pourra donc souvent blâmer ou contredire les écrivains de cette époque; mais on ne peut cesser de s'occuper d'eux; et l'opinion indépendante qui les juge atteste leur puissance. En introduisant, même au prix de l'erreur, la libre discussion, en la portant partout, ils préparaient la loi de notre temps, cette loi qui doit ramener le sentiment religieux par la plus complète liberté de conscience, et la stabilité sociale par le plus haut degré de liberté civile.

Ils ont surtout marqué par leur exemple, par leur ascendant démesuré, comme par les fautes et la dégradation des pouvoirs de leur temps, quelle place l'intelligence a besoin d'occuper à la tête de cette nation, et combien la réalité des Institutions représentatives est nécessaire à la pensée des Français, autant qu'à leurs intérêts et à leurs droits.

Toutes les choses qui rappellent cette vérité devaient plaire à l'époque où elles furent prononcées. En les reproduisant comme je les ai dites, et les mêlant aux questions de goût et de morale, à l'examen comparé des génies français et étrangers, à l'histoire de la civilisation étudiée dans l'histoire de l'art, je ne me flatte pas de retrouver l'intérêt vif et passager qui s'attachait à ces séances littéraires. La voix vivante

n'y est plus. L'auditoire dispersé serait aujourd'hui plus sévère : l'âge et les événements l'ont mûri.

Je serai content si, parmi tant de jeunes gens d'alors, aujourd'hui citoyens utiles, quelques-uns hommes célèbres, il en est qui, jetant les yeux sur ce livre, ne rougissent pas trop de ce qu'ils approuvaient autrefois, et qui, pardonnant aux fautes, ou peut-être aux corrections du style, pour le fond même du travail, veuillent bien reconnaître des sentiments qu'ils conservent encore, et des conseils dont ils ont profité. C'est toujours à eux que je dédie cet ouvrage.

Une seule remarque reste à faire sur la forme même de cette édition corrigée; on y a laissé parfois l'indication des témoignages d'assentiment qu'excitaient les paroles du professeur. Ce ne sont pas des souvenirs pour la vanité, mais des dates pour l'opi nion. En voyant ce qui, même faiblement exprimé, plaisait à l'esprit français dans une époque de lutte imminente, on reconnaît ce qui lui plaît encore, dans une époque d'affermissement et de progrès. On retrouve les opinions que quinze années d'un nouvel ordre politique ont fortifiées et tempérées par l'expérience. Celui qui leur a toujours été fidèle, dans des situations fort diverses, n'a rien à y changer, rien à y supprimer aujourd'hui.

Août 1840.

DE

LA LITTÉRATURE

AU XVIIIE SIÈCLE.

PREMIERE LEÇON.

Vue générale de ce Cours.

MESSIEURS,

Nous commençons ensemble une grande étude, le. XVIe siècle, époque de décadence et d'empire, où le génie français a dominé l'Europe et préparé le changement du monde. Fidèles au titre de ce cours, nous ne chercherons le XVIIIe siècle que dans les lettres, dans les œuvres de l'art et de la pensée; mais les lettres, alors, étaient tout, et comprennent l'histoire de la société, dont elles devenaient la seule puissance. En parcourant avec vous ce vaste sujet, déjà traité par d'habiles écrivains, sous l'impression du grand procès politique et religieux que le XVIIIe siècle avait laissé à ses premiers successeurs, nous ne voulons ni réveiller des controverses, ni essayer une lutte inégale. Mais

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