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PRÉFACE.

En faisant réimprimer aujourd'hui cette Histoire littéraire de la France au XVIIIe siècle, je n'ai plus à justifier la forme de mon travail, et la succession un peu lente qui en a réuni les diverses parties. Dans l'origine, le plus grand nombre de ces Leçons, immédiatement publié par la sténographie, profita de la faveur qu'excitaient deux Cours célèbres, auxquels le mien était associé. Toutefois, plusieurs années après, quelque chose de la même faveur s'est retrouvé pour les deux tomes inédits que j'ai ajoutés à ma première publication; et le Cours entier a obtenu, pour ainsi dire, un succès posthume. C'était un motif de corriger encore mon ouvrage; et c'est aussi la preuve peutêtre que j'avais écrit et parlé à une époque très favorable pour la vraie et complète appréciation du xvII® siècle.

Vingt ans auparavant, à l'issue de la Révolution, au commencement de l'Empire, le débat contradictoire sur la littérature du XVIIIe siècle avait été une dernière arène laissée à demi ouverte par la main qui fermait toutes les autres. Là s'étaient donné rendez-vous tous

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les procès d'opinion que traîne à sa suite un grand changement social; et comme il n'y avait plus de politique ailleurs, il y en avait eu beaucoup dans la critique littéraire. De remarquables écrits sur le xviii siècle n'étaient que des plaidoyers pour ou contre. De là était arrivé qu'il n'y avait pas encore de postérité pour ce siècle mémorable, et qu'à son égard le blâme et l'éloge s'exprimaient avec une partialité toute contemporaine. Voltaire, longtemps après sa mort, trouvait des critiques et des admirateurs plus passionnés que de son vivant. C'est que, de part et d'autre, on le rendait responsable de plus de choses même qu'il n'en avait fait, et qu'on lui imputait à faute ou à gloire, non-seulement ses écrits, mais les actes de son temps et du nôtre.

A l'entrée du XIXe siècle, la protestation indirecte d'une partie de la société contre la victoire souvent irrégulière et violente du grand nombre, la lutte plus timide de l'esprit de liberté contre l'excès du pouvoir, se réfugiaient également dans la controverse sur les écrivains du XVIIIe siècle. Leurs noms étaient un symbole. Le regret ou l'aversion du passé, l'admiration ou la défiance du présent, exagéraient également le blâme ou l'éloge de ces écrivains : car, par une circonstance remarquable, bien qu'elle s'explique aisément, l'ancen et le nouveau pouvoir étaient devenus solidaires dans cette question; et la dictature née de la révolu

tion n'était pas moins mécontente des libres penseurs de l'ancien régime, que la monarchie jadis ébranlée 'par eux. D'autre part, ce qui restait de l'esprit généreux de 1789, trompé dans ses espérances, calomnié dans ses revers, réduit à l'inaction sous le pouvoir absolu, semblait n'avoir plus d'autre gage de lui-même que les écrits et les vœux de l'âge précédent. Il s'y attachait d'autant plus; il les défendait, et il se défendait par eux, plus qu'il ne les jugeait. C'est en ce sens, peut-être, “qu'à une époque déjà éloignée le Tableau littéraire du XVIIe siècle était demandé par la seconde classe de l'Institut. Depuis, les vicissitudes sociales ont plus d'une fois ranimé la même controverse. Plus d'une fois encore, les noms célèbres du XVIIIe siècle, exaltés ou rabaissés à dessein, sont devenus des instruments de guerre politique entre les partis. La réaction ressuscitait l'erreur; et tel philosophe justement oublié, Helvétius ou d'Holbach, reprit quelque importance, grâce au crédit renaissant des jésuites.

La vérité ne peut changer, cependant, au gré de ces aspects divers; et un jugement impartial sur le caractère du dernier siècle devait insensiblement se former. La question d'art et de goût devait se dégager de la question sociale, et celle-ci se diviser, de manière à ne pas confondre les deux choses qui se ressemblent le moins, le scepticisme et la liberté.

Enfin, il restait à marquer l'influence que la littérature du XVIIIe siècle avait exercée sur l'Europe et sur le monde. Dans la gloire de l'empire, on semblait oublier que le règne de nos idées avait précédé celui de nos armes; on eût craint, pour ainsi dire, que l'un ne fît tort à l'autre; on parlait à peine de ce privilége qu'avaient eu les livres français de dominer au loin, dans l'inertie politique de l'ancien gouvernement, et de représenter à eux seuls toute l'activité extérieure de la France.

Ce point de vue devait s'offrir plus tard à qui retracerait, dans un tableau suivi et détaillé, l'histoire littéraire du XVIIIe siècle. C'est ainsi que la dernière partie de ce Cours a nécessairement compris plusieurs points de littérature et d'histoire étrangère : non-seulement j'ai signalé le contre-coup du génie français au dehors, dans plusieurs productions célèbres d'Angleterre et d'Italie; il m'a fallu montrer les idées de la France agissant sur les Institutions des autres Etats, avant de se réaliser dans les nôtres, et le génie spéculatif de nos écrivains agrandissant l'éloquence politique des peuples libres, avant qu'il y eût parmi nous une assemblée nationale. Ces digressions apparentes n'étaient qu'un exemple de l'influence exté rieure des lettres françaises au XVIII° siècle.

Mais d'abord j'avais à retracer tout ce qui a précédé cette influence et la rendait irrésistible. Je fais voir

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