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venir droit à son poste, se mit sur ses gardes. Le Chevalier s'arrêta dès qu'il fut à por tée. La vedette répondit au signe qu'il lui fit, et m'en fit un autre. M'étant déjà mis en marche sur les premiers mouvemens que j'avois vu faire au Chevalier, je fus bientôt à lui; et le voyant seul, je ne fis point de difficulté de le laisser approcher. Nous eûmes alors la conversation suivante.

Il me pria d'abord de faire en sorte qu'il pût avoir des nouvelles de quelques parens qu'il avoit dans l'armée; et en même temps me demandasi le duc d'Arscot étoit au siége.

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sieur, le voilà qui vient de mettre pied à terre, » sous ces arbres que vous voyez sur la » che de notre grand'garde. Il n'y a qu'un » moment qu'il étoit avec le prince d'Arem

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berg son frère, le baron de Limbec, et Louvigny. - Pourrois-je les voir sur pa» role? - Monsieur, s'il m'étoit permis de quitter mon poste, j'aurois l'honneur de » vous y accompagner; mais je vais leur en» voyer dire que M. le chevalier de Gram» mont souhaite de leur parler. — Monsieur, puis-je vous demander comment je suis » connu de vous? - Est-il possible que M. le » chevalier de Grammont ne reconnoisse pas

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» Lamotte, qui a eu l'honneur de servir si long-temps dans son régiment? - Quoi! » c'est toi, mon pauvre Lamotte? Vraiment,

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j'ai eu tort de ne pas te reconnoître, quoi» que tu sois dans un équipage bien différent » de celui que je te vis, la première fois, à Bruxelles, lorsque tu montrois à danser des » triolets à madame la duchesse de Guise; et

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j'ai peur que tes affaires ne soient pas en » aussi bon état qu'elles étoient la campagne

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d'après que je t'eus donné cette compagnie » dont tu parles. » Il me faisoit part des détails que j'ai eu l'honneur de vous exposer, quand le duc d'Arscot, suivi de ceux dont je viens de parler, arriva au galop.

Le chevalier de Grammont fut embrassé de toute la troupe, avant que de pouvoir leur parler. Bientôt arrivèrent une infinité d'autres connoissances, avec autant de curieux des deux partis, qui, le voyant sur la hauteur, s'y assembloient avec tant d'empressement, que les deux armées, sans dessein, sans trève, et sans supercherie, s'alloient mêler en conversation, si par hasard M. de Turenne ne s'en fût aperçu de loin.

Ce spectacle le surprit. Il y accourut; et le marquis d'Humières lui conta l'arrivée du

chevalier de Grammont, qui avoit voulu parler à la vedette avant que d'aller au quartier-général. Il ajoutoit qu'il ne comprenoit pas comment diable il avoit fait pour rassembler les deux armées autour de lui, depuis un moment qu'il les avoit quittés. « Effectivement, » dit M. de Turenne, voilà un homme bien extraordinaire; mais il est juste qu'il nous » vienne un peu voir, après avoir rendu sa première visite aux ennemis. » Et à ces mots, il fit partir un aide-de-camp pour rappeler les officiers de son armée, et pour dire au chevalier de Grammont l'impatience qu'il avoit de le voir.

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Il suffit, dit le Prince...... Et se tournant vers Gourville: Turenne osera-t-il m'attaquer? Il est le plus foible...... en soldats; son armée est inférieure en nombre à celle des Alliés. Mais vous-même, Prince, avez détruit l'infanterie espagnole; elle ne s'est pas relevée depuis la bataille de Rocroi...... Je n'ai négligé aucune précaution pour la sûreté de mes lignes. Quand on attaque sans les forcer, on ne se retire pas comme on veut. Plus les efforts sont vifs, et plus le désordre est grand dans la retraite. Je saurai profiter de ces avantages! Je veux,

s'écria la reine de Suède, dans un belliqueux enthousiasme, je veux marcher à vos côtés, en écharpe rouge! -La fille du grand Gustave pourroit commander une armée....... Cependant, Madame, daignez enfin vous expliquer sur l'objet de notre conversation, interrompue par l'arrivée de Gourville. Me traiterez-vous sur le pied de l'Archiduc? et dans nos entrevues, daignerez-vous m'accorder les mêmes honneurs ? Je crois lui faire grâce en le traitant d'égal. Je ne le puis.

Tout ou rien, Madame. Et il tourna le dos à la fille de Gustave, qui remonta sur son palefroi; et après avoir été saluer l'Archiduc, dirigea sa course vers les murs de Bruxelles.

CHAPITRE II I.

Le Petit-Fils de Pibrac. Influence des Quatrains. Anecdotes (1).

LA conversation changea, et prit un tour badin. Au fort de ses saillies, le Prince avisa le petit-fils de Pibrac qui l'avoit suivi, et qui

(1) Anecdotes littéraires.

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paroissoit alors triste et rêveur.-Méditerois-
tu, à l'exemple de ton vertueux père, quelque
quatrain moral? Peut-être. C'est chose
sérieuse qu'un quatrain. Plus que vous ne
pensez. Un quatrain a empêché mon grand-
père d'être chancelier de France. -Comment?
-La Cour de France fut si contente de la
manière dont Pibrac s'étoit conduit au Concile
de Trente, que Catherine de Médicis, ré-
gente du
royaume, lui fit écrire en Langue-
doc, de se rendre à la Cour pour être revêtu
de la dignité de Chancelier. Pibrac reçut cet
ordre à Toulouse, d'où il partit sur-le-champ.
Cependant un jaloux de sa gloire dit à la
Reine, qu'elle auroit un jour sujet de se re-
pentir de l'élévation de ce magistrat, qui
étoit dans des principes opposés au gouver-
nement qu'elle avoit établi en France avec
tant de soins et de peine. Médicis faisant
difficulté de croire ce qu'on lui disoit, on
lui fit lire le cinquante-quatrième quatrain :
Je hais ces mots de puissance absolue,

De pleins-pouvoirs, de propre mouvement:
Aux saints décrets ils ont premièrement,
Puis à nos lois la puissance solue.

La Reine ayant fait réflexion sur ces vers, il ne fut plus parlé de Pibrac.

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